Interview : Junon

A l’occasion de la sortie de The Shadows Lenghten, leur premier EP sous le nom de Junon, Martin (guitare) et Arnaud (chant) ont pris le temps de répondre à mes questions.

Chronique de Junon

Bonjour et tout d’abord merci de prendre de votre temps pour mes questions ! Comment présenteriez-vous Junon à quelqu’un qui n’a jamais entendu parler de vous ?
Martin (guitare) : Salut, merci de nous accorder cette interview 😉 Junon en tant que tel n’existe que depuis quelques mois, mais en réalité c’est le nom que nous avons choisi pour la réformation de notre ancien groupe General Lee monté en 2002. Mis à part ce changement de nom, rien n’a vraiment changé. D’ailleurs nous n’avons nullement l‘intention de mettre de côté les titres composés avec General Lee sur les set-lists de nos prochains concerts. On reste le même groupe de potes, avec les mêmes envies, le style musical reste le même mais le changement de nom nous a donné davantage de latitude pour expérimenter des choses différentes et changer la dynamique de nos titres. On ne traine plus réellement cette étiquette Post-Hardcore qu’on nous a collé avec General Lee. Ce qui nous permet d’avoir plus de libertés et sans ressentir d’attentes particulières de la part des personnes qui nous suivent. 

Le nom du groupe fait écho à un titre de General Lee, quel est le lien entre votre formation actuelle et ce morceau ? D’où venait ce nom à la base ?
Martin : Junon est un titre « iconique » titré de EP The Sinister Menace sorti en 2003. Il est toujours resté très représentatif de ce que nous aimons composer et jouer et il nous a suivi comme une ombre depuis le début. Ce choix s’est donc imposé comme évidence afin de garder un lien avec General Lee, un renouveau sans oublier notre passé.

Comment décririez-vous l’évolution entre General Lee, la pause, et le son actuel de Junon ?
Martin : Durant les 10 premières années d’existence du groupe, nous avons bâti notre réputation sur une musique qualifiée de Post-Hardcore… Des titres mélancoliques, au développement progressif et au son massif. A partir de 2012 et l’album Raiders of the Evil Eye nous avons progressivement évolué vers un son plus impactant, plus dynamique, le style de nos toutes premières années mais mixés avec les ambiances de Hannibal Ad Portas et de Roads.
En 2015, notre dernier album Knives Out, Everybody! nous a laissé un goût amer dans la bouche. Nous avons mis énormément d’énergie dans cet album et nous en sommes très fiers, mais le résultat était bien trop différent de ce que les gens attendaient de nous : un album Punk, noisy, un grand défouloir, loin des ambiances plus léchées à la Hannibal ad Portas ou Roads. Il a reçu un accueil très mitigé car ce n’était pas du General Lee. C’est après quelques semaines de lassitude que nous avons décidé d’en rester là. Nous avons donc pris une pause de 4 ans, mais l’envie de se revoir pour jouer ensemble ne nous a jamais quitté. Fabien (guitare) et Perdi (basse) nous ont proposé de remonter le groupe… simplement jouer ensemble, répéter, peut-être composer deux ou trois titres et voir le résultat avec comme ligne directrice la mélancolie, des riffs lourds, des plans hardcore, finalement un mix de tout ce que nous avons pu créer avec General Lee. Nous n’aurions jamais pu composer les titres de Junon sans les quasiment 20 ans de General Lee derrière. On s’est nourri de cette longue expérience et de nos erreurs.
Comment définir le son de Junon ? Plus réfléchi et mature. Il se fait plus insidieux, moins direct et les titres proposent davantage de couches que les titres de Knives Out, Everybody!.

Votre premier EP sous ce nom, The Shadows Lenghten , vient de sortir. Vous en êtes satisfaits ?
Martin : Oui, très satisfait. De plus, Clément Decrock -le premier batteur de General Lee et également celui qui a enregistré tous les albums- a fait un sacré boulot. Nous avions prévu d’enregistrer plus tôt, mais suite au premier confinement nous avons dû reporter les séances studio à plus tard. Finalement ce n’est pas plus mal car entre temps nous avons composé Carcosa qui est devenu le premier single de l’EP.
Arnaud (chant) : C’est difficile d’avoir un avis tranché. A force d’avoir la tête dans le guidon j’ai tendance à ne plus entendre que les défauts avec forcément l’envie de refaire certaines prises afin de les améliorer. Par contre la composition et l’enregistrement ont été très spontanés ce qui donne une certaine fraîcheur à cet EP.

Vous avez toujours étés inspirés par la littérature fantastique, mais y a t-il autre chose qui vous inspire pour écrire ? Que ce soit au niveau des paroles ou de l’instrumentale.
Arnaud : En effet, le cinéma et la littérature fantastique d’horreur, HP Lovecraft en tête, a toujours eu une grosse influence pour les textes de General Lee et de Junon. Pour les textes de l’EP, j’ai fait un parallèle entre la puissance irréelle et la terreur cosmique que provoquent les grands anciens chers à Lovecraft et les éléments de la terre qui peuvent nous balayer en un instant. Ces dieux invisibles que s’ils peuvent se montrer bienveillants et généreux avec l’être humain peuvent aussi tout reprendre et nous balayer en un instant. Quand j’entends parler que l’être humain est en train de détruite la planète ça me fait m’interroger. Pour moi l’être humain va à sa propre et unique perte par manque d’humilité et de respect face à la grandeur de la nature. Notre passage sur la terre ne représente qu’une fraction de seconde à l’échelle de l’univers. La terre reprendra ses droits sans aucun doute, balayant toute trace de notre passage.
Martin : Je pense que tous les albums de General Lee et maintenant de Junon sont différents. La base de l’inspiration reste la même mais elle est en constante évolution en fonction des groupes que l’on découvre, des films, de l’actualité, des expériences de la vie. C’est plutôt normal pour un groupe qui existe depuis 20 ans d’évoluer et ne pas ressortir toujours la même recette. 

Est-ce que vous avez déjà pensé à écrire un livre, ou à tourner un court-métrage avec votre musique et vos textes ?
Martin : Un livre non…un court métrage c’est quelque chose qui pourrait vraiment nous intéresser, après il faut avoir le temps de préparer ça au mieux et le budget qui va avec… nous avons une vie de famille, pour certains d’autres groupes, ce n’est pas dans nos priorités… par contre si un réalisateur lis cette interview et est intéressé par l’idée, on peut en discuter 😉

Le groupe est composé de trois guitaristes, ce qui est assez inhabituel, pourquoi avoir fait ce choix ?
Martin : Ça s’est fait assez naturellement au fil des années. Après l’album Hannibal ad Portas le groupe a souhaité développer et enrichir un peu plus son univers et ses ambiances… J’ai donc rejoint l’équipe en tant que troisième guitariste et François est arrivé au clavier pour la composition de Roads. Plus tard, Maxime, le guitariste originel, a quitté le groupe. Nous avons fonctionné à deux guitares un petit moment, puis Alexis est arrivé dans le groupe pour assurer mes parties en live car mon métier ne me permettait plus d’avoir une totale liberté pour les concerts. Comme je l’ai dit plus haut, General Lee était avant tout un groupe de potes. Nous avons une réelle alchimie et nous prenons énormément de plaisir à jouer ensemble à 3 guitares… Nous apportons chacun notre pâte et notre style dans la composition.

Comment vous est venu le goût de la musique ? Avec quel instrument est-ce que vous avez commencé à jouer ? Est-ce que vous avez fait des “erreurs de débutants” ?
Arnaud : Je suis le seul non musicien dans le groupe donc je prends la parole 😉
J’ai été bercé par la musique de mes parents dès mon plus jeune âge : Pink Floyd, Elton John, Neil Young et j’en passe. Mon plus grand choc je crois est la découverte de Reign in Blood de Slayer en arrivant au collège. Je n’ai pas du tout compris ce qui sortait des enceintes mais j’ai trouvé ça assez incroyable et j’ai ensuite enchaîné avec Metallica, les Guns and Roses, Nirvana, un parcours assez classique en cette belle année 1991. Le Grunge et le Rock Alternatif ont débarqué et c’est à ce moment-là que j’ai monté mon premier groupe influencé par les Smashings Pumpkins, Nirvana et Rage Against The Machine. Curieux mélange. Les choses sérieuses ont commencé avec la découverte du premier album de Korn suivi de toute la vague Néo-Metal. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à m’essayer au chant saturé, avec plus ou moins de réussite haha. Il me fallut une longue période de pratique pour ne plus me flinguer la voix au bout de 20 min. Je n’ai jamais pris de cours de chant donc j’ai dû m’adapter et trouver des techniques et autres combines pour ne plus finir aphone. Donc petit conseil à celles et ceux qui veulent s’y mettre, foncez mais au début ça va piquer haha.

Pensez-vous assurer un événement virtuel pour la sortie de l’album ?
Martin : Nous avions un peu évoqué le fait de faire un live streaming mais nous avons vite écarté l’idée…trop impersonnel et ce n’est pas l’idée qu’on se fait des concerts…les concerts c’est avant tout le partage d’énergie avec le public et entre nous.

Est-ce que le Covid a eu un impact sur la création de l’EP ? Qu’en est-il de vos vies personnelles ?
Martin : Nous sommes majoritairement basés sur Lille mais Vincent (basse) habite sur Nantes et Fabien (guitare) dans le Sud-Ouest. Dans le monde d’avant nous avions déjà eu l’occasion d’échanger à distance, mais avec le Covid nous n’avons pas eu d’autres choix. Ça à eu un impact certain sur le travail de composition, l’organisation pour le studio, les résidences, le tournage du clip… avec un retard indéniable à la clé.
Concernant nos vies personnelles, mis à part cette ambiance anxiogène et cette vie sociale au ralenti, nous sommes passés entre les gouttes pour le moment.

D’ailleurs, est-ce que vous avez des plans pour quand la crise cessera ?
Martin : Pour le moment on bosse la promotion de l’EP, on est très bien entourés d’ailleurs à ce niveau avec le super boulot de l’Agence Singularités. On commence également à s’envoyer quelques riffs de guitares car on compte bien enchaîner sur un premier album. De belles choses sont en train de se mettre en place mais pour l’instant on garde ça pour nous 😉

Entre vos débuts et votre retour, est-ce que vous avez senti des changements dans la scène française ? Qu’est-ce qui n’a pas changé, au contraire ?
Arnaud : Ces cinq dernières années un paquet de lieux alternatifs ont mis la clé sous la porte où on était salement mis en difficulté à cause de normes de sécurité devenues drastiques et ingérables et une politique culturelle ignorant les petits lieux, les bars, les squats, MJC. Des lieux où l’on pouvait se prendre des claques phénoménales à 5 euros l’entrée et 2 euros la bière. Il en existe encore fort heureusement et on y reviendra j’espère quand la crise sera passée. Désormais si un groupe veut tourner, il doit faire partie d’un réseau de salles, avoir le tourneur qui va bien et un réseau en béton. Ça force les groupes à se prendre en main et se professionnaliser plus rapidement car sans ça, l’accès aux plans intéressants devient de plus en plus difficile. Nous concernant, on a eu le nez creux de faire notre retour en plein Covid haha donc notre expérience du Hard en 2021 est encore lacunaire.

A quel plat français pourrait-on comparer la musique de Junon ? Pourquoi celui-ci en particulier ?
Arnaud : On vient tous du nord de la France donc difficile de passer à côté d’un plat d’Estaminet à base de tonnes de fromage fondu, mais vu qu’on a des végétariens expatriés dans le groupe ce sera accompagné d’une petite salade de chèvre chaud et miel sans oublier les pignons de pin pour la douceur.

Quelles sont tes passions en dehors de la musique ? Est-ce que ton métier est relié à l’univers du groupe ?
Arnaud : J’ai la fâcheuse manie de collectionner des musique de films d’horreur, épouvantes, fantastique, thriller etc…en vinyl et de ne plus savoir où les mettre par faute de place….Mon métier est d’une certaine façon relié au groupe mais de l’autre côté de la barrière puisque je suis co-programmateur et chargé de production au Poche de Béthune, un club à l’anglaise des Hauts de France où on a déjà accueilli entre autres Napalm Death, Nostromo, The Ocean, Psykup, Hypno5e, Hangman’s Chair, Celeste

Est-ce que tu as un conseil à donner à un groupe qui voudrait se lancer dans l’univers de musiques extrêmes ?
Martin : Il ne faut pas faire de la musique pour les autres… Il faut d’abord jouer avec les bonnes personnes, créer des liens forts, se faire plaisir et ne pas se mettre de barrières. Quand tu arrives à être connecté avec les autres, ça se ressent forcément dans la musique et sur scène.
Arnaud : Investissez dans des filtres d’oreilles de qualité afin d’éviter de vous flinguer les oreilles avant de commencer et faites ce que vous voulez sans vous souciez de ce que penseront les gens.

Dernière question : Je te laisse créer la tournée de tes rêves avec Junon en ouverture et trois autres groupes français ! Même question avec trois groupes internationaux.
Arnaud : Une tournée avec Gojira (même si pour moi ils n’ont plus l’étiquette de “groupe français” depuis bien longtemps), Birds in Row et Celeste par exemple serait pas mal du tout, histoire de se prendre des leçons de live tous les soirs. J’aurais payé cher pour voir Botch au moins une fois sur scène mais j’ai raté le coche donc je vais réparer ça en rêve et dire une tournée infernale avec Botch, Will Haven, Vision of Disorder, Coalesce, Breach et Daughters

Merci encore pour le temps que tu m’as accordé, je te laisse les mots de la fin !
Martin : Merci à celles et ceux qui ont pris le temps de lire cette longue interview que tu nous as concoctée. Si vous découvrez Junon et que vous n’avez jamais posé une oreille sur General Lee, tous nos albums sont disponibles sur notre page Bandcamp et très bientôt sur Spotify, en espérant que vous prendrez autant plaisir à les écouter qu’on a eu à les composer !

Laisser un commentaire