Live Report : In Theatrum Denonium – Denain (59)

In Theatrum Denonium

Du Black Metal dans un théâtre, quelle drôle d’idée me direz-vous. Mais au In Theatrum Denonium, c’est devenue un rendez-vous actuel apprécié de tous. Après deux heures et demie de route, nous arrivons enfin dans la petite ville de Denain, dans les Hauts-de-France. Le théâtre se dresse devant nous, déjà décoré avec des bannières aux couleurs de la soirée.

Et en pénétrant dans le théâtre, c’est une véritable famille que je découvre. Tous les bénévoles sont souriants, accueillants, et le cadre est absolument magnifique. Le théâtre de Denain, qui s’apprête à recevoir cette déferlante de musique sombre, est absolument magnifique, et c’est ce cadre qui va donner toute sa saveur à la soirée. Devant le stand de merchandising, le violoniste Raphael Verguin nous interprète quelques petits extraits de musique classique devant les t shirts et autres CDs aux motifs blasphématoires. Mais il est temps de regagner la salle principale, dont les premiers rangs de fauteuils ont été retirés pour permettre aux plus téméraires de rester debout comme dans n’importe quelle salle. Les premiers spectateurs entrent et s’installent sur les fauteuils ou au balcon, alors qu’un rideau rouge est présent devant la scène.

Quelques minutes plus tard, le rideau se tire, et les musiciens s’installent très sobrement. Soudain, Stéphane Bayle (guitare/chant) s’avance devant nous et le show commence. Pour ceux qui ne connaissent pas Au Champs Des Morts, le premier contact avec le Black Metal atmosphérique des français est rude : un son glacial, sombre et qui respire la tristesse. Si le chanteur pose régulièrement son pied sur son retour, Cécile G. (basse) reste impassible en caressant sa basse, alors que Migreich (guitare) grimace en alignant ses riffs. Presque invisible derrière ses compagnons, Wilheim (batterie) offre un jeu carré et sans compromis, passant de passages atmosphériques doux mais mélancoliques, à un blast rapide et furieux. “Bonsoir Denain !” nous lance Stéphane pour introduire le titre suivant. “Nous sommes Au Champs Des Morts, et le prochain morceau est tiré de notre premier EP !”. Bien qu’ayant des difficultés avec les hurlements en français, ceux du frontman sont parfaits, et même son chant clair mélancolique voir plaintif, souvent accompagné de choeurs de la part de sa bassiste, prennent de l’ampleur dans le théâtre de Denain, et la rythmique mélancolique frappe  les spectateurs par sa justesse et le son tranchant se répand entre les rangées de sièges. Les harmoniques perçantes sont vécues comme un vrai déchirement par les musiciens, qui ressentent littéralement la musique, et leur énergie est communicative. Un peu trop d’ailleurs, puisqu’un spectateur tentera de passer un message personnel alors que le chanteur tente d’introduire le morceau suivant. “Il ne restera bientôt plus rien que le ciel et la terre Après le Carnage!” hurle Stéphane, accompagné d’une démarche théâtrale. Et ce même spectateur essayera de lancer un mouvement de lancer un petit mouvement de foule, qui sera vite réprimé par la sécurité, qui souhaite visiblement que le calme de la musique des français perdure. Les lumières servent parfaitement le jeu de scène des musiciens, ne nous laissant parfois qu’une image fantomatique des membres devant nous, et innondant la scène alors que les riffs du combo avancent jusqu’à la fin du set, avec entre autres une magnifique cover d’Immortal, Blashyrkh (Mighty Ravendark). “Il est temps de retourner dans le passé! A la gloire immortelle! Dans La Joie!” hurle le frontman avec une voix tremblante avant de commencer le dernier de leurs titres. La fosse entière headbangue en rythme avec les musiciens, qui sont littéralement habités par leur musique, le frontman allant même jusqu’à poser un genou à terre avant de se relever pour hurler de plus belle, avant de clore leur performance, suivie d’une nuée d’applaudissements amplement mérités pour une ouverture de cette qualité. Les rideaux se ferment alors devant nos yeux une fois les musiciens partis.
Setlist : Nos Décombres – Le Jour Se Lève – Le Sang, la Mort, la Chute – Après le Carnage – L’Etoile du Matin – Blashyrkh (Mighty Ravendark) – Dans la joie

Impossible de voir ce qui se trame sur scène jusqu’au lever de rideau. Mais une fois cet imposant voile rouge ôté, c’est un décor très froid, avec une boule à facettes lumineuse qui trône en plein milieu. Les trois membres de Darkspace s’installent alors que le sample introductif du premier morceau débute. Et la fosse est attentive au moindre mouvement de la part des trois musiciens grimés comme dans un film de science fiction. Au centre, Zorgh (basse/chant) scrute la foule de ses yeux noirs, comme si elle était un androïde de surveillance, alors qu’à ses côtés Wroth et Zhaaral (guitares/chant) alignent déjà quelques riffs à la fois lourds et atmosphériques. Certains fans sont déjà pris par la musique digne d’un film de science fiction des suisses, alors que d’autres s’étonnent de l’absence de batteur. Soudain, les voix des deux hommes rejoignent leur rythmique tranchante pour quelques cris. Parfois en alternance, parfois en simultané, mais l’enchaînement est divin. Observant toujours calmement la fosse, les musiciens débutent déjà le morceau suivant, qui semble plus énergique, plus martial, et s’ils restent impassibles, en particulier la bassiste (dont l’instrument très original est d’une beauté sans commune mesure), il est impossible de ne pas ressentir leur implication totale dans leur art. Le son de la salle, combiné à la froideur des membres, les lumières futuristes et le cadre donnent un mélange absolument sublime, que tous, initiés ou non, apprécient à sa juste valeur, alors que le temps s’écoule. S’avançant lentement vers son pied de micro, Zorgh pousse un hurlement surpuissant qui surprendra l’assemblée entière après un long sample durant lequel personne n’ose bouger, de peur de briser la communion intense qui s’est établie dans le théâtre. Dénotant avec les cris stridents de ses compères, la jeune femme offre une nouvelle dimension à la musique de Darkspace, qui s’abat sur nous comme un météore, et qui n’offre évidemment aucun refuge. Sur la deuxième partie de ce show, le comportement des musiciens ne change pas, mais leurs riffs deviennent plus violents, plus intenses, plus vicieux. Le sample de batterie s’affole, et si la rythmique est beaucoup plus rapide, les musiciens n’en sont pas plus actifs, affichant une froideur et un détachement qui durera jusqu’à la fin de ce set. Une heure, qui m’a paru durer à peine quelques minutes, tant leur univers est imposant. La sortie de scène est tout aussi glaciale que l’entrée, mais les applaudissements sont légions.
Setlist : Dark 1.2 – Dark 3.12 – Dark 3.15 – Dark 3.16 – Dark 4.20

Derrière le rideau, c’est la messe noire de Darkened Nocturn Slaughtercult qui se prépare. Et nous assistons déjà à l’installation d’un pied de micro orné d’un crucifix inversé, qui suivra le lever de rideau. Horrn (batterie) se place à son poste sans un mot, alors qu’entre Onielar (guitare/chant), dans une tenue d’un blanc immaculé ornée d’un voile de la même couleur qui lui couvre le visage. Et c’est sous ses ordres que le début du show est lancé. Un son sale, malsain et gras envahit alors le théâtre, agrémenté des harmoniques précises de Velnias (guitare). De son côté, Adversarius (basse) headbangue en posant devant la fosse. Le guitariste et le bassiste intervertissent leurs places, alors que la meneuse reste statique en hurlant dans son micro, alignant ses riffs avec une quiétude impressionnante pour le style. “Salut France!” hurle t elle alors avant de retirer son voile après deux morceaux Old School impressionnants de noirceur, dévoilant un corpse paint effrayant qui va de pair avec celui de ses musiciens. Un nouveau titre est lancé, ce qui aura pour effet de réveiller la fosse, qui commence à mosher un peu sur cette rythmique martiale et implacable qui sévit ce soir. Et si les musiciens se déchainent, que ce soit en headbanguant ou en haranguant la fosse, c’est bel et bien la frontwoman qui attire les regards ce soir. Cette dernière profitera d’ailleurs d’une pause pour récupérer une coupe de sang sur l’autel placé juste devant la batterie pour en boire une gorgée, qu’elle vomira en convulsant légèrement, souillant ses vêtements et éclaboussant le public, visiblement en transe. Son chant glace le sang des spectateurs, qui en redemandent, acclamant le groupe à chaque pause, que le chanteuse introduit brièvement, après avoir bu et craché du sang. “Are you with us?” demande t elle entre deux hurlements. Et si la foule ne manque pas de lui répondre, les plus motivés moshent également un peu sur les passages les plus violents du concert. Les flashs lumineux hantent l’endroit, entrecoupés de lumières rouges, qui donnent l’impression que les longs cheveux blonds de la chanteuse prennent feu pendant qu’elle ouvre la porte des Enfers en jouant, alors que les musiciens headbanguent à ses côtés, se rejoignant parfois pour jouer côte à côte. La chanteuse crache régulièrement du sang sur le public, puis multiplie les actes blasphématoires, signant la fin d’un titre avec un signe de croix inversée avant d’aller boire à nouveau, comme possédée. “This is… Thanatos…” murmure t elle avant d’invoquer de nouveau les forces sombres pour hurler telle une banshee libérée de ses chaînes sur une fosse ensanglantée qui headbangue à se rompre le cou. Les harmoniques malsaines rejoignent une rythmique grasse jusqu’à ce que la chanteuse n’annonce “This is the last one…” avant d’aller chercher une coupe. Et les dernières gouttes de sang volent en direction du public, heureux d’être une dernière fois aspergé avant une Nocturnal March dantesque à la rythmique massive et très martiale. La chanteuse, couverte de sang, profitera des breaks pour se placer au plus près du public et de tendre sa guitare en jouant. Les derniers riffs s’éteignent alors qu’Onielar récupère un deuxième crucifix et le tend à l’envers devant une foule abasourdie par ce rituel impie hors du commun.
Setlist : Wicher Za Gorami – Beneath the Moon Scars Above – Coronated Spheres of Adversity – A Beseechment Twofold – Spectral Runlets of Tulwod – Das All-Eine – Exaudi Domine – In The Land Of the – In The Hue Of Night – Thanatos – Nocturnal March

Le changement de set étant plus long, j’en profite pour savourer une bière (locale !), et observer à nouveau le théâtre, plein à craquer pendant que les techniciens nettoient le sol de la scène du sang du concert précédent.. Si certains sont toujours dans les gradins pour observer le rideau rouge en attendant le show final, la plupart sont sortis pour boire ou manger un morceau, mais surtout assister au tirage au sort de la trvebola, qui récompensera l’heureux gagnant d’une guitare sept cordes. Mais je retourne me placer avant le tirage au sort, car je suis déterminé à en prendre plein les oreilles.

 

Pour le dernier lever de rideau de cette quatrième édition, c’est Amenra qui a la lourde charge de clore le festival. Et l’ambiance toute entière va changer, puisque les membres entrent sur scène sans un mot mais éclairés par un projecteur. Colin H. Van Eeckhout (chant) s’installe de dos sur un tapis, pendant que les musiciens effectuent leurs derniers réglages, à peine éclairés, et que de la fumée est projetée à intervalles réguliers. Mathieu J. Vandekerckhove (guitare) et Lennart Bossu (guitare) commencent alors un riff très atmosphérique, à la limite du larsen, qui monte lentement dans l’air, alors que les images défilent en arrière plan, et que personne sur scène ne bouge. Si Bjorn J. Lebon (batterie) a l’air littéralement endormi, il s’animera d’un coup pour frapper comme un beau diable sur son instrument, alors que Levy Seynaeve (basse) matraque son instrument. Les cris de Colin réveillent littéralement l’ensemble du théâtre sous les flashs violents qui traduisent à la perfection la musique des belges. Tanguant d’avant en arrière, le chanteur semble se battre contre des démons invisibles lorsqu’il chante, alors qu’il est très calme lors des parties en son clair. Mais dès que la saturation s’invite dans les riffs, ce n’est plus le même homme, et tout le groupe suit son exemple en headbanguant comme des forcénés. Puis l’intensité retombe, et la scène comme le public passent à nouveau dans une sorte de léthargie contemplative, toujours éclairés du seul projecteur au balcon. Car oui, Amenra c’est une tornade qui prend le temps de poser un univers grandiose et empli d’émotions avant d’exploser soudainement, et le lieu rend tout à fait hommage à la situation. Colin ne se retournera que brièvement sur le deuxième morceau, plus intense, avant de s’agenouiller et de frapper l’un contre l’autre deux tubes de métal à l’unisson avec Bjorn, pendant que les guitaristes grattent lentement quelques cordes. Le jeu de scène des musiciens est impressionnant, car s’ils sont d’un calme olympien, ils sont littéralement habités lorsque les riffs deviennent violents, puis parviennent à se calmer en une fraction de seconde. Les titres se suivent mais ne se ressemblent pas, car Plus Près de Toi (Closer to You) suivra le modèle inverse, avec une rythmique explosive qui s’apaise pour faire tomber une colonne de lumière sur le chanteur, qui nous offre un magnifique chant clair en français. Ce dernier enlèvera d’ailleurs sa veste alors que les riffs suivants nous parviennent déjà, mais il restera principalement dos à nous, comme Levy qui fait face à son ampli lorsqu’il ne joue pas, afin de renforcer cette impression de froideur qui saisit la foule. Le bassiste participera d’ailleurs à quelques parties vocales, et l’intensité grandit à nouveau lorsque les premières notes d’A Solitary Reign, morceau visiblement attendu car acclamé par l’intégralité de l’assemblée, débutent. Très intense, ce morceau issu du dernier album de la formation mettra tout le monde d’accord quand à la capacité du groupe à instaurer une ambiance unique qui allie sensibilité, violence pure et sonorités lourdes mais atmosphériques. Et contrairement à certains morceaux qui souffraient de petites longueurs, celui-ci est passé en un clin d’oeil ! Le frontman tombera finalement son t shirt, révélant un imposant tatouage de todesrune, sur son dos. Et pour les derniers titres, rien ne changera dans le jeu de scène des belges, avec toujours cette intensité palpable que l’on attend et que l’on espère exploser. Un timide “Thank you” clôturera ce set avec une extinction totale des feux et un départ rapide de scène.

Setlist : De dodenakker – Razoreater – Boden – Plus près de toi (Closer to You) – Diaken – A Solitary Reign – Terziele – Am Kreuz – Silver Needle. Golden Nail

Le rideau se ferme pour la dernière fois. Les spectateurs se remettent à peine de la soirée en sortant de la salle, et certains en profitent pour prendre une dernière bière avant de regagner leurs pénates. Le cadre bucolique du festival a transformé la prestation d’Au Champs Des Morts en monologue noir, l’initiation cosmique de Darkspace en invocation spatiale, le rituel de Darkened Nocturn Slaughtercult en véritable messe noire, et enfin la contemplation d’Amenra en paysage post-apocalyptique. Les quatre groupes ont offert des concerts inoubliables, et ce grâce à la volonté de Nord Forge, de ses créateurs et de ses bénévoles. Si vous souhaitez vivre une expérience incroyable, vous savez quoi faire.

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