Review 2905 : Heretoir – Solastalgia

Heretoir replonge dans sa mélancolie.

Deux ans après une année riche en sortie, le combo allemand mené par David “Eklatanz” Conrad (chant/guitare, ex-Agrypnie, live pour Austere, Dornenreich), Matthias “Nathanael” Settele (basse/chant/guitare/flûte, Bonjour Tristesse, ex-King Apathy, ex-Thränenkind) et Nils Groth (batterie, Emissary of Suffering, ex-Fäulnis, ex-Ophis, ex-Thränenkind) dévoile son quatrième album, Solastalgia, via AOP Records.

Les guitaristes Max F. (ex-King Apathy, ex-Thränenkind) et Kevin Storm (Fleetburner, ex-Heidevolk, live pour Gaerea, Kalmah, Saor, Shining…) sont toujours présents dans le groupe, mais n’ont pas participé à l’écriture de l’album.

L’album débute avec The Ashen Falls, première composition dévoilée et que j’ai déjà dû écouter une centaine de fois mais qui me paraît toujours aussi incroyable qu’au dernier jour : après une introduction lointaine viennent l’embrasement, les hurlements et l’intensité folle qui leur est propre. Les parties vocales d’Eklatanz sont toujours aussi saisissantes, qu’elles soient saturées ou claires qui s’autorisent un relâchement sur les refrains, puis on passe à la longue Season of Grief, autre création déjà révélée qui propose une approche beaucoup plus progressive qui débute par une infinie douceur pour nous bercer. Quelques cris apparaissent, annonçant la saturation déchirante pour laisser le titre suivre son cours entre les différents passages torturés, ses moments d’apaisement avant de finalement rejoindre You Are the Night qui annonce une atmosphère plus légère. Si les riffs conservent cette touche planante, ils se métamorphoseront finalement en rythmique plus lourde pour /assombrir la composition pendant que le vocaliste se déchaîne en nous laissant naviguer jusqu’à Inertia, qui ne demande qu’à exploser. La détonation arrive à point nommé, permettant aux musiciens de lâcher les rênes, d’abord avec violence puis avec des tonalités assez brumeuses qui s’enchaînent à merveille avec Rain, un interlude assez lumineux au piano qui nous permet de reprendre notre souffle avant d’enchaîner avec Dreamgatherer. Le morceau est également assez long, s’ancrant d’abord dans une quiétude imposante avant de laisser la fureur teinter le tableau pour lui donner une intensité différente, se brisant pour mieux se reconstruire et disparaître dans le néant, cédant sa place à l’introduction acoustique de The Heart of December, qui laissera un créneau pour le chant clair. Il se transforme peu à peu en cri lointain, accompagnant à merveille sa rythmique enivrante avant de disparaître à son tour pour faire place à Burial qui débute dans une saturation épaisse et oppressante, voire même agressive lors des passages saccadés. Comme à son habitude, le groupe gère parfaitement la progression à coups de vagues de saturation salvatrices avant d’atteindre la longue composition éponyme, Solastalgia, qui commence par nous hypnotiser avec une certaine douceur, mais on sent par les percussions qu’elle sera amenée à se briser, redevenant la viscéralité lancinante que l’on aime. Alors que la composition était déjà très pesante, la batterie la rend encore plus étouffante, lui permettant d’atteindre son plein potentiel, mais aussi de créer un contraste encore plus puissant avec les moments de relaxation plus épurés comme le final qui assure la transition avec The Same Hell MMXXV, démo acoustique dévoilée il y a déjà deux ans, mais qui reste dans la continuité de l’apaisement recherché. Alors que l’on pense l’album terminé, les musiciens nous réservent une dernière surprise, une reprise du titre de Metaphor d’In Flames qui s’adapte sans mal au répertoire d’Heretoir, permettant une dernière immersion dans la mélancolie, en particulier sur le break central.

Heretoir s’est rapidement imposé à moi comme l’un des maîtres de la tristesse musicale, et malgré ses différentes personnalités musicales qui cohabitent naturellement, chaque aspect de sa musique me parle intimement. Solastalgia va rejoindre ses camarades dans les meilleures sorties de l’année.

95/100

English version?

Quelques questions à David “Eklatanz” Conrad, fondateur et chanteur/guitariste du groupe allemand de Post-Black Metal Heretoir, à propos de la sortie de leur nouvel album, Solastalgia.

Bonjour et tout d’abord, merci beaucoup de m’accorder un peu de ton temps ! Comment présenterais-tu le groupe Heretoir sans utiliser les étiquettes musicales telles que “Black Metal, “Post-Black Metal” ou tout autre sous-genre ?
David “Eklatanz” Conrad (chant/guitare) : Bonjour ! Je dirais que Heretoir est un groupe qui crée une musique atmosphérique imprégnée d’un fort sentiment de mélancolie et d’une tristesse particulière, mais aussi d’énergie et d’une force puissante. Une lueur d’espoir joue souvent un rôle clé dans cela.

Selon Internet, le nom Heretoir est la combinaison de “here” d’“hérétique” et de la syllabe française “-toir”. Te souviens-tu comment tu l’as créé et comment tu le relies à la musique que vous jouez ?
Eklatanz : Cela fait longtemps que ce nom a été créé, mais je pense toujours qu’il convient bien au groupe. Pour nous, la signification du nom réside moins dans la traduction littérale d’“hérétique” que dans la recherche de notre propre chemin dans la vie et la maîtrise des défis de l’existence humaine à l’ère moderne. Ce thème est présent dans notre musique jusqu’à aujourd’hui, donc le nom du groupe semble toujours bien convenir.

Heretoir sortira son quatrième album, Solastalgia, dans quelques semaines. Qu’en pensez-vous ? Avez-vous déjà reçu des retours ?
Eklatanz : De manière générale, tous les membres du groupe sont extrêmement satisfaits de cet album. Je pense que c’est l’album le plus sophistiqué et le plus polyvalent que nous ayons jamais écrit en termes de composition. Il contient des éléments nouveaux pour nous, d’une certaine manière, l’album est plus moderne que son prédécesseur, mais en même temps, il conserve tout ce qui a distingué notre musique jusqu’à présent. C’est donc un album typique d’Heretoir avec un nouveau look. Je pense que cela convient très bien aux chansons dans l’ensemble, et les retours ont été extrêmement positifs jusqu’à présent. Nous sommes très heureux que non seulement nous aimions l’album, mais aussi les fans, nos amis et de nombreux journalistes musicaux. 

Comment résumerais-tu l’identité de Solastalgia en seulement trois mots, et que signifie Solastalgia ?
Eklatanz : Il est difficile de résumer cela en seulement trois mots. Je dirais : des chansons mélancoliques sur l’extinction. “Solastalgia” est un néologisme philosophique qui décrit la douleur ressentie par une personne affectée par la perte du monde naturel. Il s’agit donc moins d’un concept patriotique et nationaliste de la patrie que de la composante écologique de la perte. Je pense que la plupart des gens ont un certain attachement au monde naturel ou à l’environnement familier de leur enfance ou de leur lieu de résidence. Lorsque cet environnement familier et cher disparaît, par exemple parce qu’il est détruit par le développement industriel, le sentiment de deuil ou la douleur de la perte peuvent être décrits par le terme “solastalgia”.

Heretoir était au départ un groupe composé d’un seul membre, puis il a accueilli des musiciens pour les concerts, et depuis plusieurs années maintenant, des membres permanents. Comment cette évolution s’est-elle produite, et comment as-tu recruté les musiciens ?
Eklatanz : En gros, nous sommes tous des amis de longue date. Matthias et moi, par exemple, nous nous connaissons depuis l’adolescence et fréquentions les mêmes clubs de Metal locaux. Il nous a donc semblé tout à fait naturel de trouver des personnes intéressées pour rejoindre le groupe. Nous sommes très satisfaits de la formation actuelle et avons hâte d’écrire de nouveaux morceaux et de donner de super concerts ensemble. 

Bien que vous soyez cinq sur scène, seuls trois d’entre vous sont crédités pour la création de Solastalgia. Comment se déroule le processus de création au sein du groupe ? Est-ce devenu plus facile de créer de la musique avec le temps ?
Eklatanz : Le groupe a commencé comme un projet solo. Après quelques années, des amis nous ont rejoints, ce qui nous a permis de donner des concerts. Matthias fait partie du groupe depuis 15 ans et il a écrit de nombreux albums pour des groupes tels que King Apathy, Bonjour Tristesse et d’autres. Nils a rejoint le groupe en 2017 et comme c’est un excellent batteur, il était tout à fait logique de commencer à écrire des chansons ensemble. Je ne suis pas le compositeur le plus rapide, donc c’était agréable d’avoir le soutien de Matthias et Nils. Nightsphere est le premier album que Matthias, Nils et moi-même avons écrit ensemble, et cela a si bien fonctionné que nous avons décidé de continuer ainsi pour les prochains albums. Nous avons tous des goûts musicaux assez variés et apportons chacun des compétences et des talents différents. Ce mélange fonctionne très bien, et nous avons remarqué que nous sommes désormais capables de travailler sur plus de chansons en moins de temps sans compromettre la qualité. Nous sommes particulièrement satisfaits de notre dernier album, Solastalgia, et ravis que notre collaboration porte ses fruits.

Le son du groupe est un mélange saisissant de Post-Black Metal et de nombreuses autres influences, qu’elles soient sombres ou atmosphériques. Quels groupes citerais-tu comme vos principales influences ?
Eklatanz : Il y en a beaucoup. Pour les parties de Black Metal Atmosphérique, je dirais Wolves in the Throne Room, les débuts d’Ulver, Agalloch et Alcest. En termes de Post-Rock, nous aimons beaucoup Mogwai et Explosions in the Sky. Nos parties de Metal Mélodique sont influencées par des groupes de Death Metal Mélodique comme In Flames et Dark Tranquillity, et peut-être même Architects. Les éléments acoustiques doux rappellent Empyrium à certaines personnes.

Où trouvez-vous votre inspiration pour créer de la musique et des paroles ?
Eklatanz : Nous avons tous les trois des sources d’inspiration communes, mais aussi très différentes. J’aime écrire de la musique sur le moment ou pour exprimer mes émotions. Matthias passe beaucoup de temps à l’extérieur et trouve l’inspiration pour Heretoir lors de randonnées dans les bois. Nils est un véritable passionné de musique et puise beaucoup d’idées dans sa vaste collection de disques. Ce qui nous unit tous, c’est que nous ressentons une certaine lassitude, une insatisfaction vis-à-vis du monde tel qu’il est. Cela nous unit et nous motive chacun d’entre nous. Cette insatisfaction, qui s’exprime parfois par de la tristesse, parfois par de la colère, se ressent dans nos chansons. Weltschmerz, ou Solastalgia sur le nouvel album, est au cœur de notre musique.

As-tu une chanson préférée sur Solastalgia ? Peut-être celle qui te touche le plus personnellement, ou celle qui a été la plus difficile à réaliser pour l’album.
Eklatanz : Je pourrais en citer plusieurs. Pour moi, The Ashen Falls est très importante. Elle décrit la réalité déprimante que l’on vit dans notre monde du travail salarié. La pression financière qui nous oblige à gaspiller notre vie chaque jour, du matin au soir, dans des emplois qui sont soit insignifiants, soit destructeurs pour l’environnement, soit mal payés et nuisibles à notre santé, notre bien-être mental ou notre vie sociale, est le fléau de l’humanité dans notre économie capitaliste. J’ai du mal à accepter cet ordre mondial et j’ai moi-même vécu des expériences assez désagréables dans des emplois qui semblaient intéressants au premier abord. Nous, les humains, devrions vivre, établir des liens positifs avec les autres et la nature, et ne pas végéter dans des emplois répétitifs et exister pour le travail ou l’argent. The Ashen Falls décrit ces problèmes, et je ressens une intensité émotionnelle particulière lorsque nous jouons cette chanson en live.

Solastalgia vous a permis d’intégrer le catalogue d’AOP Records. Comment cette collaboration a-t-elle commencé et comment se passe le travail avec eux ?
Eklatanz : En fait, nous avions déjà sorti notre mini-album Wastelands et la réédition de notre premier album chez AOP Records. Nous en étions déjà très satisfaits. Tout a commencé lorsque Sven nous a contactés pour nous demander si nous voulions travailler avec lui. Nous l’avons rencontré, avons discuté des détails et avons décidé de rejoindre son label. Nous aimons beaucoup de groupes de son catalogue, sommes très impressionnés par ce qu’il fait et avons hâte de tenir entre nos mains les copies physiques de Solastalgia.

Je n’ai jamais eu l’occasion de voir Heretoir sur scène, comment vis-tu un concert de ton point de vue ? Avez-vous des rituels avant ou après les concerts ?
Eklatanz : Nous ne sommes pas un groupe qui a des rituels. En général, tout le monde s’échauffe avant le concert, nous passons du temps ensemble, discutons de certains détails, puis nous nous serrons la main et montons sur scène. C’est toujours génial. Après le concert, il y a des embrassades et beaucoup de visages heureux.

Heretoir va faire la première partie de la tournée européenne de Der Weg Einer Freiheit cet automne. Comment vous préparez-vous pour cette tournée ? Êtes-vous impatients de participer à une tournée aussi intense ?
Eklatanz : Nous sommes vraiment heureux de participer à cette tournée. Nous avons déjà tourné avec Der Weg einer Freiheit et nous apprécions beaucoup les membres du groupe. Bien sûr, il y a beaucoup à faire en termes de préparation. Nous répétons beaucoup, achetons du nouveau matériel, commandons de nouveaux produits dérivés et avons une tonne d’autres choses à planifier. Nous sommes extrêmement reconnaissants d’avoir notre manager Anne et notre agent Alex. Sans leur travail et leur dévouement, nous ne pourrions pas y arriver. L’opportunité de présenter nos nouvelles chansons avec DWEF est géniale et nous avons vraiment hâte de prendre la route en septembre.

Y a-t-il des artistes avec lesquels vous aimeriez collaborer ? Que ce soit pour une chanson, un album, une pochette…
Eklatanz : Il y en a beaucoup. Je ne veux pas en dire trop, mais nous aimerions beaucoup travailler avec nos amis de Harakiri for the Sky à l’avenir pour une ou deux chansons. Peut-être que nous préparons encore quelques surprises en termes de collaborations…

Avez-vous déjà entendu parler de la scène Metal Française ? Y a-t-il des groupes que vous connaissez et appréciez ?
Eklatanz : Bien sûr, nous sommes de grands fans d’Alcest, Les Discrets et Gojira. Nous aimons plusieurs autres groupes français, mais nous ne connaissons pas vraiment la scène française. Nous sommes impatients de rencontrer nos fans français et d’en apprendre davantage sur la scène lors de nos concerts à Grenoble et Paris à l’automne.

Dernière question amusante : à quel plat comparerais-tu la musique d’Heretoir ?
Eklatanz : C’est une question très difficile. Peut-être quelque chose qui se compose d’ingrédients froids et chauds, qui vous rend heureux d’une certaine manière, mais qui laisse une sorte de douleur mélancolique dans votre estomac 😉

C’était ma dernière question, merci beaucoup de m’avoir accordé de ton temps et pour ta musique, le mot de la fin vous appartient !
Eklatanz : Merci beaucoup pour cette interview et pour l’opportunité de parler de tout ce qui concerne Heretoir avec toi.

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