Review 2982 : Your Inland Empire – Your Inland Empire

La métamorphose est achevée pour Your Inland Empire.

Tout d’abord connu sous le nom de Crown, le groupe français composé de Stéphane Azam (chant/guitare/synthétiseurs), David Husser (guitare/synthétiseurs), Marc Strebler (basse) et Nicolas Uhlen (batterie) renaît en 2025 avec son nouvel album, Your Inland Empire, qui sort chez Season of Mist.

On débute avec Scars, premier titre assez mélancolique mais qui affiche clairement le positionnement musical entre Industrial et Darkwave, progressant lentement pendant que la voix de Stéphane apporte une touche humaine à la froideur ambiante qui s’intensifie naturellement, puis se dissipe soudainement pour faire place à There Is No Me. Le morceau est déjà beaucoup plus dansant, quoique tout de même un peu inquiétant côté chant ce qui crée un contraste intéressant qui exploite les effluves Gothiques avant de rejoindre Grinding et ses tonalités vaporeuses. Les percussions rendent le son assez entraînant, en particulier après la courte coupure, mais les choeurs viendront mettre fin au morceau pour rejoindre la violente Edge of Perfection qui fait très clairement partie des plus agressives de l’album, que ce soit au niveau de l’instrumentale virulente ou des parties vocales. Le groupe temporise, mais la violence refait surface entraînant avec elle une intensité fédératrice avant de passer à Silver Knife où l’atmosphère s’apaise immédiatement, s’autorisant tout de même à devenir beaucoup plus majestueuse sur les refrains. Undone repart avec une atmosphère plus festive, quoique très saccadée et propice aux folles danses robotiques avant de s’assombrir, puis Venom nous ancre définitivement dans les tons les plus pesants avec une rythmique lente et lourde au sein de laquelle rage et intensité se répondent en permanence, laissant cris et harmoniques hanter notre voyage jusqu’à Sulfur qui retrouve des accents plus légers et aériens. Le titre est assez accessible et nous transporte doucement vers le groove brut de Chemicals qui se transforme en nappes minimalistes et apaisantes pour mieux se renforcer et provoquer une véritable cassure entre couplets et refrains avant de redevenir plus doux en entêtant avec Myself Destruct, le morceau suivant. L’ambiance nightclub fait parfois place à des riffs plus bruts où grognements menaçants accompagnent le vocaliste, mais c’est finalement I’ll Be Your Night qui a l’honneur de rythmer nos derniers pas avec ces claviers omniprésents qui nous hypnotisent pendant que le vocaliste occupe notre paysage mental avec ses placements presque oniriques jusqu’au dernier instant.

Bien qu’ayant assez peu écouté Crown, je dois reconnaître que Your Inland Empire propose une sacrée évolution ! Your Inland Empire est un album extrêmement diversifié, qui peut nous faire passer d’un son brut et agressif à des touches enivrantes en un rien de temps, et je suis certain que le groupe fera l’unanimité dans la scène Industrial !

90/100

English version?

Quelques questions à Stéphane Azam, guitariste chanteur du groupe Your Inland Empire, à propos de la sortie de leur nouvel album Your Inland Empire.

Bonjour et tout d’abord, merci de m’accorder de votre temps ! Sans utiliser une quelconque étiquette de style, telles que “Industrial”, “Darkwave” ou autre, comment pourriez-vous décrire le groupe Your Inland Empire ?
Stéphane Azam (guitare/chant) : Les étiquettes sont bien souvent réductrices, mais c’est, semble-t-il, une nécessité dans le milieu de la presse musicale. Nous évoluons sans aucun doute dans une sphère Rock/Metal Industriel, mêlant également la musique électronique, avec des influences Post-Punk, Post-Rock, Hardcore, Punk et Cold Wave — mais cela va, je dirais, bien au-delà de ces étiquettes.

Le groupe s’appelait précédemment Crown, qu’est-ce qui a motivé le changement d’identité ? Que signifie pour toi le nom Your Inland Empire, et comment le relies-tu personnellement à la musique du groupe ?
Stéphane: Nous avons connu pas mal de déboires avec notre précédent label Pelagic Records. Disons que c’est un nouveau départ, avec le même line-up : c’est tout simplement la continuité de Crown. J’avais ce nom en tête depuis plusieurs années déjà ; il s’agit d’une référence à l’un des films cultes de David Lynch, un artiste qui m’a profondément inspiré, tant par son univers singulier que par sa créativité.

Votre premier album, Your Inland Empire, sort très bientôt, comment vous sentez-vous au sein du groupe ? Avez-vous déjà eu des retours à son sujet ?
Stéphane: Sereins, mais aussi dans l’expectative, nous avons vraiment tout donné dans ce projet. Nous sommes jusqu’au-boutistes et perfectionnistes. Nous avons également traversé une période particulièrement tumultueuse — à titre personnel, disons, sans entrer dans les détails — le genre d’événements qui peuvent te faire douter de beaucoup de choses, avec toute l’incertitude que cela implique. Nous souhaitons évidemment que les personnes qui découvrent cet album passent un bon moment et soient embarquées dans ce voyage contrasté, à travers les extrêmes. Nous avons déjà reçu quelques retours, notamment une superbe première chronique dans New Noise, où le journaliste a réellement saisi l’essence de l’album — ce qui est assez rare de nos jours. Certains journalistes font leur travail en lisant attentivement la biographie et le texte promo qui accompagnent l’album, d’autres pas du tout :). Avec la multitude de sorties actuelles, et le fait que nous recommencions totalement à zéro, autant dire que ce n’est pas une tâche facile d’attirer l’attention — surtout avec un album aussi singulier.

Comment résumerais-tu Your Inland Empire en trois mots ?
Stéphane: Singulier, viscéral, émotionnel.

Comment s’est passé le processus de composition de l’album Your Inland Empire ? As-tu remarqué des changements par rapport à vos productions sous le nom Crown ?
Stéphane: J’ai commencé à écrire les premières démos fin 2022, avec en tête l’idée d’un album tout en contrastes. Le processus est le suivant : je construis les démos, je programme les batteries et les synthés, je joue (maladroitement !) les guitares, hehe, et je pose les voix. Les démos sont en général déjà bien abouties. Ensuite, j’envoie le tout à mon binôme David, qui a enregistré, mixé et produit l’album. On en discute, on modifie certaines structures, quelques riffs ou lignes de synthé, on réarrange l’ensemble pour obtenir le résultat le plus cohérent possible. Puis Nico et Marc, respectivement notre batteur et notre bassiste, entrent en jeu. David réenregistre toutes les guitares, car je suis un piètre guitariste :). On expérimente aussi un maximum avec les guitares, les synthés, les voix, les batteries… C’est sans doute la partie la plus excitante du processus. Toute cette alchimie prend vie à travers des expérimentations assez hors normes, que tu ne verras quasiment jamais dans la production d’un album de Metal “classique”. On a par exemple des parties de guitare qui sonnent comme des synthés — et inversement. On aime surprendre l’auditeur et l’emmener sur de fausses pistes. Il y a tellement de détails de production que l’album nécessite plusieurs écoutes pour en saisir toutes les nuances.

Le son du groupe mélange Industrial, Darkwave et Post-Metal, comment arrivez-vous à créer votre propre touche ?
Stéphane: Comme je l’ai déjà évoqué, cela va bien au-delà de ces étiquettes. Je pense que c’est simplement le reflet de ce qui a façonné notre culture et notre identité musicale, lesquelles dépassent largement ces trois styles ou genres. C’est une image fidèle de ce que nous sommes aujourd’hui, émotionnellement et musicalement. Nous créons la musique qui nous ressemble, tout simplement.

Quels groupes pourriez-vous citer comme vos influences ? Comment ont-elles évolué à travers le temps pour donner votre son actuel ?
Stéphane: Nine Inch Nails, Depeche Mode, The Cure, Killing Joke, Tool, Einsturzende Neubauten, Alice In Chains, The Young Gods, Björk, Ministry, Neurosis, Swans, Boards of Canada, Massive Attack, Jon Hopkins, Aphex Twin, A Perfect Circle, Knocked Loose, Godflesh… il y en a tellement, c’est presque impossible de tous les citer. J’ai toujours énormément écouté de musique, dans une multitude de styles : du Black Metal à la World Music, de la Folk au Death Metal, en passant par la musique Électronique, le Jazz ou le Classique — tout ce qui peut me procurer des émotions. Malheureusement, de nos jours, tout est devenu une question de marketing. On voit apparaître une multitude de groupes montés de toutes pièces : des boys bands ou girls bands version metal. C’est assez affligeant, mais c’est le reflet du business actuel de la musique, y compris dans le monde du Metal. J’écoute tous ces styles depuis le début des années 90. Je pense que, quand tu écris de la musique, il est essentiel de ne pas rester figé dans un seul style — histoire de ne pas tourner en rond ou de se complaire dans la sécurité de reproduire sans cesse la même recette.

Comment avez-vous décidé des thématiques abordées dans les morceaux ? Comment avez-vous choisi les titres à dévoiler pour présenter l’album ?
Stéphane: La thématique de l’album tourne autour de “The Dark Night of the Soul” — la nuit sombre de l’âme. C’est un album construit sur la dualité humaine. Un voyage intérieur, dans les recoins les plus obscurs de nos êtres. Un constat aussi, sur les relations humaines et sur la société actuelle en général, car nous ne sommes pas entre de bonnes mains, ni vraiment conscients de la merde dans laquelle nous sommes plongés. Pour les singles, nous avons fait le choix ensemble avec le label, afin de représenter au mieux l’atmosphère de l’album. Le dernier single, Edge of Perfection, est de loin le plus agressif du disque.

Je sais que c’est une question difficile, mais est-ce que tu as un morceau préféré sur cet album ? Ou celui qui t’a semblé le plus naturel à composer ?
Stéphane: There Is No Me, sans hésiter. Il représente parfaitement la dualité qui traverse cet album, ainsi que toute sa palette sonore.

Your Inland Empire sort chez Season of Mist, qui vous accompagnait déjà avec le dernier album de Crown, comment se passe la collaboration avec eux ?
Stéphane: Pas du tout 🙂 Le dernier album de Crown est sorti chez Pelagic Records. Super collaboration cette fois avec Season of Mist : ils sont bien plus pros, investis et engagés.
(Vendu dans le shop Season of Mist, d’où la confusion, ndlr)

Je vous ai vus jouer au Hellfest en 2022, quels souvenirs gardez-vous de cette date ? Y aura-t-il une approche différente du live avec Your Inland Empire ?
Stéphane: Un souvenir mémorable. On était un groupe qui sortait un peu de nulle part, et on ne s’attendait pas à voir autant de monde sous la tente de l’Altar. C’était surréaliste de voir tous ces gens venir nous découvrir, en quelque sorte. On avait 45 minutes de set qui ont paru durer cinq minutes — c’était intense et franchement incroyable. L’approche sera la même qu’avec Crown, avec évidemment le même line-up.

Quels sont les prochains projets pour Your Inland Empire après la sortie de l’album ?
Stéphane: Nos objectifs sont de trouver un tourneur, de préparer le live, de jouer un maximum de concerts, et de commencer l’écriture du prochain album.

Est-ce qu’il y a des musiciens ou artistes avec lesquels vous souhaiteriez collaborer dans le futur ?
Stéphane: The Young Gods, Health, Author & Punisher, par exemple. Et évidemment Trent Reznor — même s’il reste totalement intouchable.

Pensez-vous vous être améliorés en tant que musicien avec cet album ?
Stéphane: Oui, sans doute un peu 🙂 Chaque album représente un nouveau défi ; on repousse nos limites et on sort de notre zone de confort à chaque fois.

Avec quels groupes rêves-tu de jouer ? Je te laisse imaginer ta date de rêve avec Your Inland Empire en ouverture, et trois autres groupes.
Stéphane: NIN, évidemment. On a déjà eu la chance d’ouvrir il y a quelques années pour The Young Gods, ce qui était déjà un rêve en soi. Gojira, Ministry ou Tool… on a bien le droit de rêver un peu, hahaha.

Dernière question : à quel plat pourrais-tu comparer la musique de Your Inland Empire ?
Stéphane: Un ramen, hahahaha — entre délicatesse et robustesse ! Pour être honnête, je dirais plutôt un plat local… ou même un menu local : le menu du marcaire, servi ici dans les fermes-auberges. Autrefois, c’était le repas des fermiers et agriculteurs qui travaillaient dans le massif des Vosges. Il se compose d’une soupe, d’une tourte accompagnée de salade, de porc fumé avec des pommes de terre et des oignons cuits dans des kilos de beurre et caramélisés, d’une assiette de fromages locaux — dont le fameux Munster et le Barikass — et, pour finir, d’un dessert : du fromage blanc arrosé de kirsch. Toujours entre finesse, lourdeur et robustesse, hahahaha.

C’était donc ma dernière question, je te remercie pour ta disponibilité, et je te laisse les mots de la fin !
Stéphane: Je te remercie pour cette belle interview et pour l’intérêt que tu portes à notre album. Ce fut un vrai plaisir de répondre à tes questions. A bientôt !

Laisser un commentaireAnnuler la réponse.