Nouveau concert, nouvelle ambiance, et cette fois c’est au Cirque Électrique que je me rends pour la première tournée en France des russes de Nytt Land, accompagnés de Ruò Tán et INeQouTable, deux projets solo qui mêlent Drone, Ambiant et Noise. Je découvre donc cette “salle”, ou plutôt ce chapiteau, car comme son nom l’indique, le Cirque Électrique est bel et bien un cirque. Après une petite attente au soleil, les portes s’ouvrent.
Nous assistons alors aux derniers réglages autour d’une pinte de bière, et si la complexité du mélange des instruments doit être millimétrée, cela prend du temps. Et malheureusement, un larsen persistant entre les pédales d’Alexandre, tête à penser d’INeQouTable, lui grappillera quelques minutes de son set. Mais parlons du coup de ce set assez magique. Alors que j’apprends que chaque set est unique, plus un bruit ne se fait dans la salle, et l’homme, seul en plein milieu de la scène et entouré par une ribambelle de pédales, commence à jouer. Chaque instrument, allant d’un bol en cuivre, à une guitare avec vibrato pour un son psychédélique détonnant, en passant par une flûte ou un vuvuzela gigantesque, bénéficie du même rituel précautionneux : Alexandre fait quelques notes avec l’instrument, enregistre le tout avec une pédale, règle le son grâce à d’autres pédales, puis laisse le son tourner avant de ranger l’instrument en question pour passer à un autre. Sa précision est incroyable, et il n’hésite pas à laisser la boucle revenir pendant une minute entière dans le simple but de finaliser son réglage. Là où je remarque que chaque performance est différente des autres, c’est lorsqu’il prend sa cymbale, laisse le son revenir, puis se ravise et attrape un autre instrument. Sa capacité d’improvisation est fascinante, et le peu de voix qu’il introduit dans sa composition nous fait prendre conscience que le temps s’écoule à une vitesse effroyable, et que nous sommes tous entrés dans le rituel sans exception. Que ce soit les quelques personnes debout près de la scène, les spectateurs assis au milieu de la salle, ou bien les autres qui reviennent lentement vers le bar. Lorsque son temps de jeu s’arrête, la pression retombe et le musicien est applaudi.
Le matériel est rangé, de l’encens est disposé sur le devant de la scène et le drapeau aux couleurs du projet de Ruò Tán est installé devant une table sur laquelle sont disposé nombre de contrôleurs. Quelques derniers réglages, et une épaisse fumée prend possession de la pièce. Le rituel commence alors lorsque l’homme lance un chant mystique, puis l’agrémente de quelques samples, pour devenir petit à petit un mur de sons étranges assez dissonants mais surtout très planants. Ruò Tán lance ses samples un à un de manière quasi-religieuse, alors que la fumée qui le cache parfois arrive jusqu’aux spectateurs assis devant lui. Cette vision d’un homme seul debout dans une brume aussi épaisse que persistante donne l’impression d’un mirage, et la musique onirique qu’il nous distille avec quelques parties de chant assez fantomatique renforce cette impression. Alors que nous nous laissons entraîner par sa transe, la flamme des bougies vacille un peu lors des passages plus intenses, et nous nous retrouvons tous à hocher la tête avec lui. Pour parvenir à un son aussi caractéristique que le sien, Ruò Tán met une cassette audio dans un baladeur branché à tout son attirail, et le sample à la fois planant et inquiétant nous inonde en se joignant au mélange. Le public est maintenant arrivé, et il y a une bonne trentaine de personnes qui contemplent silencieusement le show du musicien, qui est finalement aussi visuel qu’auditif. Pour ajouter au son déjà en place, quelques passages à la flûte lui permettent d’atteindre des sonorités autant mystiques que mystérieuses, ainsi que des samples de chant traditionnel chinois. Le son Noise/Drone créé grâce aux pédales d’effets, aux samples dissonants et à la cymbale, que Ruò Tán utilise énormément sur la fin, captive le public, qui n’ose bouger jusqu’à ce que toute cette pression ne retombe progressivement avec la fin de son temps de jeu pour une voix étouffée et étouffante qui s’éteint.
Les pédales d’effets sont retirées, et la table laisse place à un tom de batterie. Divers instruments folkloriques sont également disposés ça et là, puis, lorsque tout semble être en place, le traducteur du groupe monte sur scène. Il nous demande de respecter le rituel de Nytt Land, et de rester silencieux sans même applaudir entre les morceaux. Si tous comprennent et saluent la démarche, il est vraiment dommage que l’alcool ait altéré la compréhension de certains spectateurs, qui n’en avaient visiblement rien à faire de manquer de respect au groupe. Mais passons. Sergey Silitcky (batterie) s’assied donc derrière le tom, pendant que Natalya Pahalenko (chant/tambour/flute) et Anatoly Pahalenko (chant/Tagelharpa/percussions) s’installent tous deux sur le devant de la scène, maquillés et avec des lentilles. Quelques samples se lancent (le groupe compte normalement quatre membres), et les musiciens commencent à jouer sur leurs instruments. Anatoly frappe un morceau de bois avec des baguettes, pendant que Natalya, en véritable chamane possédée, frappe un tambour sur cadre. Dans le fond de la scène, Sergey s’applique à garder une rythmique assez martiale mais en même temps très folklorique. Si le batteur gardera son instrument jusqu’au bout, s’aidant parfois d’un shaker pour donner une impression de marche, les deux autres alterneront souvent entre plusieurs outils pour agrémenter leur musique des sonorités nordiques. Le public se rapproche alors, très intrigué, alors que de la fumée arrive encore par petites vagues, pour donner un aspect encore plus visuel au concert. Si les morceaux s’enchaînent, les coupures sont malheureusement interrompues par quelques applaudissements, même si la grande majorité des spectateurs se montre très respectueux, se contentant pour la plupart de boire leur verre en appréciant la performance. Le chant polyphonique sibérien de Natalya et la voix puissante d’Anatoly se combinent et se mélangentpour nous conter l’Edda Poétique, et les ambiances peuvent être totalement différentes d’une minute à l’autre, selon les instruments que les russes utilisent, mais chaque titre est planant à sa manière. Je me retrouve alors à hocher la tête au son des percussions sans m’en rendre compte, mais la voix perçante de Natalya me tire de cette torpeur pour me projeter dans une autre, d’un autre type. La jeune femme mène clairement le show à la baguette, et c’est principalement vers elle et ses deux yeux blancs qui tranchent avec sa capuche sombre que les yeux se tournent. Au bout d’un peu plus d’une heure très intense, les musiciens terminent leur office, et sont salués par une salve d’applaudissements plus que mérités.
Setlist : Darraðarljóð / The Song of the Valkyries – Ragnarök – Norður / Yule Song – Deyr Fé / The Heritage – Völuspá – Drakkar – Hittusk æsir (Völuspá, 7-10) – Unz þrír kvámu – Hymn of Swargas – Sal Sér Hon Standa (Völuspá, 64-66)
C’est sans nul doute l’un des concerts les plus étranges, dépaysants et inattendus auquel j’ai participé depuis un bon moment. Mais c’était également l’un des concerts les plus planants, pointus et mystiques auxquels j’ai eu la chance d’assister. L’improvisation très progressive d’INeQouTable nous a fait rentrer dans un univers bruitiste et oppressant, alors que le set de Ruò Tán nous a soufflés avec des sons mystiques. La conclusion avec Nytt Land et leur musique Pagan nordique a fait voyager notre esprit au delà des limites habituellement atteignables, et je renouvellerais l’expérience avec plaisir dès que possible. Il n’y a définitivement qu’Ondes Noires pour nous offrir un spectacle aussi époustouflant.
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