Interview : Laang

Haitao Yang, créateur et guitariste/chanteur du groupe taïwanais de Terror Black Metal Laang m’a permis de lui poser quelques questions pour présenter son groupe ainsi que Xinteng, leur nouvel album.

Chronique de Xinteng

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Bonjour et tout d’abord merci beaucoup de m’accorder un peu de ton temps. Pourrais-tu s’il te plait vous présenter le groupe Laang et toi, pour quelqu’un qui ne vous connaîtrait pas encore ?
Haitao Yang (chant/guitare) : Merci de prendre le temps de parler avec moi ! Je m’appelle Haitao Yang et je suis le frontman de Laang. Nous sommes un groupe de Post-Black Metal qui vient de Taiwan, et nous jouons une musique qui représente les histoires et traumatismes et d’expériences de mort.

Le mot Laang peut être traduit par “obscurité”, mais que représente-t-il pour toi ? Quel est son lien avec ta musique ?
Haitao : Le nom Laang est la prononciation du pinyin (écriture chinoise traditionnelle, ndlr) Cantonais de Leng en Chinois Mandarin, et il signifie “froid”. J’ai choisi la prononciation Cantonaise, pour que le nom du groupe soit plus simple à mémoriser et à prononcer pour le public occidental. Pour moi, le mot “froid” incarne le ressenti morose du deuil et de la peur dont je parle dans notre musique, et de plus il représente l’état mental et les réactions d’un individu qui a dû vivre ces traumatismes.

Tu décris votre style comme du “Terror Black Metal”, qui est le résultat de ton expérience de mort imminente. Que signifie ce terme pour toi ? Est-ce que c’est simple pour toi de chanter et de penser à ce qui s’est passé même des années après ?
Haitao : “Terror Black Metal” était le meilleur terme que je pouvais trouver pour représenter l’émotion que je transmets avec la musique de Laang. Le but du terme est de capturer à la fois la noirceur, le traumatisme violent, la misère et la mélancolie en un seul mot.
Honnêtement, ce n’est pas facile. Même si j’ai réalisé un long chemin durant tout ce temps, il y a des traumatismes dont personne ne peut vraiment guérir. La partie difficile de l’enregistrement de ces albums est le chant, car c’est le moment où je dois me montrer vulnérable et représenter ces émotions. Ça peut être un processus douloureux.

Votre second album Xinteng est sur le point de sortir, est-ce que vous avez déjà eu des retours ? Êtes-vous satisfaits de ce que vous avez fait avec cet album ?
Haitao : Je pense en être satisfait ! Je peux être un peu perfectionniste parfois donc c’est difficile de déclarer que quelque chose est “complet”. Il y a quelques choses qui je pense pourraient changer, comme si j’entends un grésillement dans la piste de voix. Mais en même temps, et à cause de la nature de ma musique, je pense que c’est important de représenter ces sensations brutes. Et si j’étais dans un état d’esprit en enregistrant où ma voix s’est cassée, je trouve que ça en fait une performance authentique, bien plus que quelque chose de “préfabriqué”.

Cet album est le premier qui est réalisé depuis que tu as décidé que Laang ne serait plus un groupe solo. Pourquoi avoir pris cette décision ?
Haitao : A la base je voulais que Laang soit un projet solo car je me souciais du fait que la nature personnelle de la musique soit altérée si plus de personnes étaient impliquées. Mais maintenant je pense que c’est important pour la musique d’avoir une diversité musicale d’idées qui s’applique à devenir plus intéressante pour l’auditeur. Toutes les idées musicales que j’ai ne sont pas de bonnes idées, et si la musique tire profit du fait d’avoir plus de personnes avec de bonnes idées, je pense que c’est une bonne chose. Ca rendra également les performances live meilleures !

Qu’est-ce que ça change pour toi ? Est-ce que c’est plus simple de composer avec d’autres personnes ? Comment se passe le processus de composition ?
Haitao : Ca change la vitesse à laquelle la musique est complétée. Je travaille très rapidement, mais avec plus de personnes impliquées ça peut prendre plus de temps puisque nous avons besoin d’échanger des idées et de faire plus d’expérimentations. Le processus de composition démarre généralement avec moi qui écrit toutes les mélodies au piano, que j’étends aux orchestrations. Puis j’enregistre tous les instruments “live”, mais la batterie et les lignes de basse sont seulement des idées temporaires. J’envoie ensuite les enregistrements aux autres membres pour qu’ils les remplacent avec les parties qu’ils souhaitent. Willy est meilleur bassiste que moi, et Wanling est meilleur batteuse que moi, donc je leur fais confiance pour qu’ils rendent la musique meilleure.

Comment as tu choisi les deux membres avec qui créer de la musique ?
Haitao : J’ai toujours voulu que Willy soit notre bassiste. Il joue avec Bloody Tyrant, un groupe de Folk Metal taïwanais phénoménal qui m’a beaucoup inspiré pour créer Laang. Quand j’ai décidé d’ajouter des membres au groupe, il est la première personne à qui j’ai demandé, et j’étais tellement content qu’il accepte. Wanling était batteuse pour un groupe de Post-Rock à Taiwan et après lui avoir parlé un peu, il me semblait qu’elle ajouterait un bon nombre de nouvelles idées au groupe, ce qui m’a vraiment motivé.

Les premiers singles à avoir été dévoilés sont Wo de Piaofu Shiti et Dongshang, pourquoi avoir choisi ceux-là ? Est-ce qu’ils ont une signification spéciale pour toi ?
Haitao : J’ai choisi ces morceaux parce que je pense qu’ils présentent bien la variété d’émotions présentes sur Xinteng. Wo de Piaofu Shiti est un morceau qui est très axé sur l’abandon de l’espoir et la plongée dans le désespoir, et il représente la mélancolie, presque dirigée par les influences Doom de l’album. Dongshang parle, par opposition, de douleur émotionnelle et de tourmente, et il est beaucoup plus agressif au final. Je trouve que ce morceau représente de manière assez fidèle mes propres émotions et sentiments que n’importe quel titre de l’album, et je pense qu’il mérite d’être compté en tant que single.

J’ai remarqué que le début de l’album est très sombre, et qu’il semble devenir plus lumineux, même s’il est plus mélancolique. Comment avez-vous construit cette atmosphère ?
Haitao : Je suis très content que tu l’aies remarqué ! Le but était de représenter l’émergence depuis les ténèbres jusqu’à la lumière, ou plus littéralement émerger d’une expérience de mort imminente et se reconnecter à la vie. Yongheng de Yu, le dernier titre, représente cette phase finale de l’émergence, vue comme une expérience douce-amère puisque la lutte continue toujours. J’ai essayé de représenter ça avec des changements dans la production mais aussi la technique de jeu, en ajoutant pas mal de sous-accordage, d’accords dissonants et d’atmosphères dans les premiers morceaux, mais j’ai graduellement ajouté plus de progression mélodiques et d’accords à la musique au fur et à mesure de la progression de la musique. J’ai également changé ma technique de chant, en faisant plus de cris de douleur dans les premiers titres, puis je suis passé à du chant plus crié comme on peut l’entendre sur notre premier album vers la fin.

Quelques titres sont également plus majestueux, avec des orchestrations, des claviers… comment décides-tu d’ajouter ces éléments à certaines parties ?
Haitao : J’aime vraiment faire des orchestrations. J’écris de la musique orchestrale pour des jeux vidéos et des films, donc à chaque opportunité que j’ai d’ajouter ces sons à Laang me plaît. Tous les titres ont ces orchestrations, mais sur certains titres elles sont plus douces et mélodieuses, mais je peux aussi laisser les éléments orchestraux prendre un rôle plus proéminent pour guider la musique. Je pense qu’elles peuvent ajouter un nouveau niveau de profondeur émotionnelle à la musique, alors j’essaye de les utiliser pour accentuer et étendre les thèmes mélodieux.

Pourquoi avoir décidé de chanter en chinois mandarin plutôt que d’utiliser des langues plus utilisées, comme l’anglais ?
Haitao : Je voulais particulièrement représenter Taiwan avec la musique de Laang. Il y a tellement de groupes asiatiques qui écrivent leurs morceaux en Anglais s’ils veulent être populaires dans les pays occidentaux. Même Chthonic enregistre ses albums en deux versions, une en anglais et une en taiwanais, qu’ils destinent à deux publics différents. Mais je ne pense pas que cette culture devrait faire des compromis pour faire en sorte que la musique soit plus intéressante à d’autres publics. Donc je voulais fièrement présenter la musique de Laang en mandarin. Un des titres de l’album (Hoest) est d’ailleurs chanté en Norvégien, l’autre moitié de mon héritage culturel. Beaucoup ont relevé mon horrible accent norvégien quand je prononce le Mandarin, donc peut-être que ça sonnera plus naturel. Haha.

Quand et comment as-tu découvert le Metal ? Quelle est ta meilleure et ta pire expérience en tant que musicien ?
Haitao : Ma première exposition au Metal a été le titre Right in Two de Tool quand j’avais 13 ans. Je suis devenu un grand fan de beaucoup de groupes de Metal des années 90. Quand j’avais 15 ans, j’ai découvert Alcest en voyant un poster disant qu’ils jouaient dans la ville où je vivais à l’époque. J’ai regardé car j’avais trouvé l’artwork cool, ce qui m’a finalement mené à découvrir le Black Metal.
Ma meilleure expérience c’est probablement lorsque l’on m’a demandé de composer de la musique pour mon premier film hollywoodien. J’étais émerveillé de me dire qu’après tant d’années d’essais, j’ai finalement eu l’opportunité de travailler pour cette industrie. Ma pire expérience a été lorsque la première tournée de Laang a été annulée à cause de la crise politique à Hong Kong, causant l’annulation de tous les vols. J’ai perdu beaucoup d’argent, et j’étais déçu de laisser tomber tous ceux qui avaient hâte de nous voir jouer.

Te souviens-tu de la première fois que tu as joué d’un instrument ? Quand et comment est-ce que ça s’est passé ?
Haitao : J’ai joué de manière assez passive de quelques instruments pendant une grande partie de mon enfance, car j’étais entouré de musiciens, mais la première fois que j’ai réellement joué d’un instrument, c’est quand j’ai commencé à jouer de la guitare à 12 ans. J’ai immédiatement accroché et je ne voulais plus la lâcher. J’ai acheté une Schecter d’occasion très bon marché et un ampli Peavey tout défoncé et c’est devenu ma principale passion depuis lors !

Quels groupes pourrais-tu citer en tant qu’influences principales de Laang ?
Haitao : Alcest, Harakiri for the Sky, Katatonia, Agrypnie, Chthonic, Bloody Tyrant, et Woods of Ypres.

Le monde a été arrêté l’an dernier par la crise du Covid-19, comment avez-vous fait face à la situation en tant que groupe ? Est-ce que la crise a eu un impact sur la création de l’album ?
Haitao : Ca a été si terrible de voir combien de personnes sont décédées de ce virus, et de voir que ce nombre augmente parce qu’ils ignorent la sévérité de la situation. Nous étions très affectés par le Covid. Nous avions une tournée en co-headline aux Etats-Unis avec un groupe que nous aimons VRAIMENT de programmée, et qui a dû être annulée avant que nous pouvions ne serait-ce qu’annoncer qu’elle devait arriver. L’album Xinteng lui-même était complété en Juin 2020. Mais à cause des problèmes d’envoi et avec les entreprises de fabrication de CDs qui ont été affectées par le virus, nous n’étions pas capables de sortir l’album jusqu’à maintenant.

Même si le futur est assez incertain, est-ce que vous avez des plans pour la sortie de l’album, ou même après ?
Haitao : Nous allons sortir l’album via Talheim Records le 30 septembre, il sortira en format digipack. Nous devrions avoir du merchandising additionnel qui arrivera dans la même période, et nous espérons que tout le monde l’appréciera. Je réfléchis à créer ma propre marque de thé Laang mélangé à la main en tant que merchandising, fait en utilisant du thé exclusivement cultivé à Taiwan, pour faire autre chose que le typique t-shirt noir. Nous planifions également de jouer en live, si la pandémie le permet !

Comment est-ce que l’on écoute et joue du Metal à Taiwan ? Est-ce que c’est bien accepté par le pays, et par ton entourage ? Comment est la scène locale ?
Haitao : Taiwan a une petite communauté Metal, mais très dévouée. Je suis sûr que ce n’est rien du tout par rapport à la scène Metal en France, mais c’est une bonne communauté de personnes familières qui vont à tous les concerts de Metal qui passent. Beaucoup de gens sont musiciens, et il y a beaucoup d’excellents groupes. Malheureusement beaucoup ne sont pas entendus en dehors de Taiwan. Depuis que Freddy Lim de Chthonic est au parlement de Taiwan, ça a également donné une bonne visibilité à la musique Metal dans le pays. Le premier ministre a même donné un discours à l’une de leurs performances !

Est-ce que tu as des passions en dehors de la musique ? Est-ce que tu as également un travail, ou est-ce que les revenus de ta musique te permettent de vivre ?
Haitao : A côté de la musique, je me passionne pour le thé, l’élevage des papillons lune, apprendre sur des sujets scientifiques, lire, jouer aux jeux vidéos. Concernant mon “travail”, je suis doctorant en biologie. En dehors de ça, je donne des leçons de guitare dans une école de musique locale, et je suis producteur indépendant de musique, j’écris de la musique pour des films et des jeux vidéos, et je fais du mix et mastering pour des groupes. J’espère qu’un jour je pourrais vivre de mon travail sur la musique. Je vais continuer de faire de mon mieux et peut-être qu’un jour ce sera possible !

Est-ce que tu as déjà entendu parler de la scène Metal française ? Quels groupes connais-tu et aimes-tu ?
Haitao : ALCEST ! Haha. Bien sûr Amesoeurs et Les Discrets viennent avec. J’aime aussi vraiment Les Chants Du Hazard, Blut Aus Nord, Anorexia Nervosa, et Year of No Light. Un jour, je viendrai au Hellfest, je pense en réalité qu’ils ont une meilleure affiche que le Wacken !

Et si je te demandais de comparer la musique de Laang avec un plat ? Lequel choisirais-tu et pourquoi ?
Haitao : Un plat ? C’est une question difficile. Tout comme l’artwork du nouvel album, je dirais une méduse. Froid, douloureux, à moitié mort, pas vraiment apprécié, et principalement apprécié dans les pays asiatiques. Haha.

Est-ce que vous planifiez de jouer en live ? Avec quels groupes rêverais-tu de jouer ? Je te laisse créer une tournée avec trois groupes de ton choix en Laang en première partie !
Haitao : Oui ! Nous allons d’ailleurs annoncer notre tournée le mois prochain ! Ce sera une nouvelle partie d’une tournée en co-tête d’affiche avec de bons amis à nous. On nous a également demandé de jouer à un festival en Allemagne, si possible nous espérons avoir une tournée européenne de bookée pour que ça se fasse ! On espère que la pandémie se terminera correctement pour que ça arrive sans problème.
Ma tournée de rêve serait avec Alcest, Harakiri for the Sky, and Bliss-Illusion. Si les groupes pouvaient revenir d’entre les morts, Woods of Ypres en ferait également partie.

C’était ma dernière question, merci à nouveau pour m’avoir accordé de ton temps ! Je te laisse le mot de la fin pour conclure cette interview !
Haitao : Un grand merci pour votre soutien, j’apprécie énormément. Notre album Xinteng sortira le 30 septembre, et j’espère vraiment que tous ceux qui lisent ça pourront se connecter à notre musique, et que nous pourrons créer une connexion. Pour emprunter les mots de mon bon ami Remy d’ESP, “restons humbles, restons gentils, et restons en contact !”

Album premiere: 29 septembre 2021

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