Mickaël André et Nicolas Bastide, respectivement guitariste/chanteur et chanteur du groupe Ahasver, ont pris le temps de répondre à mes questions pour la sortie de Causa Sui, leur premier album.
Bonjour et tout d’abord merci de m’accorder de votre temps ! Comment présenterais-tu le groupe Ahasver sans utiliser les habituelles étiquettes “Metal” ?
Mickaël André (guitare/chant) : Salut ! Je dirais qu’Ahasver est une réunion de vieux amis qui ont décidé de remettre leur goûts et envies en commun, on se connait depuis plus de 20 ans avec certains, donc on ne parle plus d’influence ou d’étiquette dans ces moments, on se réunit et on voit ce qui sort, c’est plus une questions d’échange et de partage. Pour faire simple, Ahasver joue du Metal plutôt moderne, aux auditeurs de d’apposer leurs étiquettes, ou pas.
Le nom du groupe vient du personnage mythique d’Ahasver, en quoi le reliez-vous à la musique que vous jouez ?
Nicolas Bastide (chant) : Ahasver est privé du droit de mourir, cette errance à travers le temps est celle de l’humanité entière. La métaphore d’Ahasver nous permet de contempler l’évolution de notre société par le prisme d’un conte qui a participé à l’essor de l’imprimerie.
Les phases intellectuelles et émotionnelles que nous décrivons à travers ces 8 titres sont celles que tous les humains traversent au cours de leur vie et des péripéties qui la jalonnent, l’angoisse, la rancœur, la recherche de la sérénité, la recherche du sens, no spoil sur la fin de l’histoire, tout est dans le disque et dans les paroles, achetez-le.
Votre premier album, Causa Sui, est sur le point de sortir, comment vous sentez-vous à ce sujet ?
Mickaël : C’est évidemment un aboutissement, il n’est pas si facile de sortir un disque dans de bonnes conditions en 2022, surtout lorsque c’est le premier. Nous avons attaqué ce projet il y à 5 ans, et après tant d’années à affiner les morceaux, sans parler du Covid, nous sommes vraiment heureux de voir cette musique prendre une forme concrète. C’est assez personnel mais pour chaque album qui finit par sortir sur un support physique, je me dis que c’est peut être le dernier, donc là, je ne peux pas être plus satisfait de la forme finale de Causa Sui.
Vous venez tous d’univers assez différents au sein de la scène française, comment s’est passé le processus de composition ?
Mickaël : Il a commencé à 3, Julien, moi et Jérémie Mazan, le bassiste de l’époque, lui aussi dans Dimitree et Nephalokia. Nous avons commencé à enregistrer des riffs à la maison, devant l’ordi, Peace, Fierce et Path sont nées comme ça, en preprod, en programmant la batterie, nous avons obtenu des versions très proches des finales comme ça. Puis Jérémie a déménagé au Canada, nous avons traîné à 4 un moment avant que Victor ne nous rejoigne. On a mis nos démos respectives en commun, pour les fondre aux humeurs de chacun avant d’aller essayer tout ça en répète, pour donner de la vie aux démos. C’est un processus assez varié finalement, les idées sont venues de nous tous, d’où la variété qu’on peut entendre sur le disque, même s’il reste profondément Metal.
Comment avez-vous réussi à gérer les influences de chacun ?
Mickaël : Ce n’était vraiment pas un souci pour moi et Julien, ses idées sont assez personnelles, donc si on a un projet avec lui, on sait qu’on va avoir ce genre de plan un peu chaotique à la Zubrowska. Pareil pour Nico au chant, on sait comment il chante, et on accueille tout ça à bras ouvert. La seule difficulté a été d’accueillir la rigueur de Victor. Il a un cursus musical beaucoup plus rigoureux que nous, et donc ses idées étaient souvent plus exigeantes techniquement, d’où la nécessité de les remanier un peu pour nous permettre de conserver un peu d’énergie et de marge d’interprétation pour le live. C’était aussi intéressant qu’enrichissant pour l’album.
Kings, le dernier titre, est selon moi celui sur lequel on ressent le plus votre diversité. Comment est né ce long morceau ? Que raconte le sample final ?
Nicolas : Ce morceau a beaucoup évolué entre le moment où Julien a eu les premières idées et l’enregistrement, les riffs au sein du groupe arrivent souvent de manière très simple, tout est une question d’arrangement et d’intuition, et le duo Mika/Julien marche très bien à cet endroit.
Pour Kings on voulait un point d’orgue, sans savoir que ce morceau trônerait à la fin de l’album. Il fallait de la tragédie et une espèce de regard en arrière, sur ce morceau Ahasver est quasiment contemporain à notre époque il a vu la population mondiale multipliée par 47, passant de 150 millions d’humains perdus sur la planète à 7 milliards qui font n’importe quoi. C’est ce que raconte le sample final de Carl Sagan, le 14 Février 1990 Voyager 1 a renvoyé vers la terre un cliché historique, un pixel bleu perdu sur une photo floue, c’est notre planète. (Pale Blue Dot pour la recherche internet). Carl Sagan avec son éloquence légendaire nous dira en 1994 que toutes les tragédies humaines se sont passées à cet endroit, sur ce grain de sable perdu dans l’espace lors d’un discours qui restera, pour nous la description parfaite de l’anthropocène.
Peux-tu me parler de l’artwork, et de son lien avec l’album ?
Mickaël : On avait dès le début envie de sortir un peu de nos choix habituels en termes de visuels. On aime toutes les choses plutôt texturées, denses et sales en général. On se disait que c’était donc l’occasion de prendre le contrepied de ce genre d’habitude et d’aller vers quelque chose de très clinique, très épuré, par contraste avec la musique du groupe, aussi. Nous avons donc demandé à Jouch, qui excelle dans ce genre de rendu très léché, de nous proposer quelque chose que lui inspirerait la musique. La forme définitive de la pochette est le fruit d’un long cheminement aussi, pour ce qui est du sens, et au risque d’en frustrer certains, nous aimons bien laisser cheminer l’auditeur suffisamment curieux pour faire ses propres liens et interprétation, mais le cheminement d’Ahasver et l’universalité des sentiments décrits dans l’album pourraient bien faire écho aux possibles cachés sous ce drapé.
Pensez-vous faire des lives avec Ahasver ?
Le groupe : Nous avons déjà commencé le live même si elles sont très disséminées. Nous espérons évidemment pouvoir jouer le plus possible.
Depuis 2020, le monde souffre du Covid-19. Comment avez-vous vécu les différentes périodes de restrictions en tant que groupe ? Est-ce que la pandémie a eu un impact sur l’album ?
Mickaël : Le principal effet que cela a eu sur Ahasver est de nous laisser plus de temps pour peaufiner les titres. Là où nous aurions pu nous mettre le rush pour finir les choses, nous avons rapidement identifié que tout allait ralentir, et donc qu’il ne servait à rien de rusher, et encore moins pour sortir l’album entre deux périodes de confinement. Donc nous avons continué à affiner les titres ensembles, en répète quand c’était possible et devant l’ordi sinon.
Est-ce que vous avez déjà des plans pour le futur du groupe ? Que ce soit du live ou une continuité de l’histoire.
Mickaël : Nous sommes à la recherche de dates oui, la profusion de sorties, de tournées et d’offres ne joue clairement pas en la faveur de groupes nouvellement arrivés mais ce n’est pas ce qui va nous décourager. Sinon, pour le prochain album, Nicolas a posé les bases de la suite de l’histoire oui, elle serait liée au speech de Carl Sagan qui clôture Causa Sui, mais on verra bien où tout ça nous mène.
Quel est votre regard sur la scène française actuelle ? Et concernant la scène internationale ?
Mickaël : Question très difficile, il n’est pas évident de généraliser autant, même à l’échelle nationale. Il n’y a jamais eu autant de propositions de qualité, c’est certain, et je pense aux gens autour de moi que j’entends parfois râler sur le fait qu’il n’y a plus rien de bien maintenant, mais comment peut-on dire ça ? Aucun d’entre nous n’a assez de temps ou d’envie pour écouter 1/1000ème des sorties actuelles, pourtant il y a de la qualité partout, dans tous les genres affiliés de près ou de loin au Metal.
Après, mais c’est très personnel, je relève une forte tendance au suivisme de la part d’une grande partie de ce que j’entends en ce moment. J’ai bien conscience que tout a été fait, dans beaucoup de domaines artistiques mais on a bien identifié depuis 5 ou 6 ans qu’il fallait faire du Black Metal des années 90 pour attirer l’attention, et certains ne s’en privent pas, c’est dans ce spectre de la scène que je trouve le moins de fraîcheur, avec tous les poncifs du genre recyclés à l’infini, je déplore un peu cette hypocrisie, surtout dans ce genre-là qui est avant tout un état d’esprit personnel, plus qu’un exercice d’appartenance à un «milieu»… Et il y a le Post Punk depuis 3 ou 4 ans, ça, c’est aussi, c’est fou le nombre de groupes qui s’en réclame en ce moment. Mais bref, il y a des formations plus discrètes qui m’emballent pas mal en ce moment, mais de là à dégager une grosse opinion sur la scène française, je ne vois pas comment.
Pour l’international, et bien on pourrait en parler des heures mais là aussi, je suis personnellement en quête de sincérité, et il faut souvent s’écarter des grosses machines les plus exposées pour retrouver ça. Alors attention, je ne dis pas que les groupes qui marchent sont naze hein, pas du tout, je dis juste que j’ai personnellement besoin de sentir d’autre motivation que remplir un stade ou être dans toutes les playlist Spotify pour retrouver un peu de fraîcheur et de sincérité dans la création musicale actuelle. Surtout après 25 ans passés dans ce milieu et à jouer cette musique.
Est-ce qu’il y a des groupes ou des musiciens avec lesquels vous aimeriez collaborer, que ce soit pour un titre ou plus ?
Mickaël : Là aussi de manière très personnelle, et ça ne collerait pas forcément à Ahasver, mais je dirais Ulver sans hésiter, cela reste pour moi l’une des formations les plus passionnantes depuis leurs débuts, tout ce qui touche à leur musique et leur esthétique m’attire très fortement.
Quels sont les groupes de la scène française qu’il faut absolument écouter en 2022 selon vous ?
Mickaël : Spontanément, je pense à Mutterlein, Lizzard, L’Effondras, Marble Feather. Blut Aus Nord sort encore régulièrement des disques fascinants, Deathspell Omega aussi, même si le tournant des enregistrements live donne quelque chose de différent, ils restent passionnants.
Et ce groupe est mort depuis longtemps mais le Irradiant de Scarve reste une perle absolue pour certains d’entre nous, une disque à l’inventivité folle, je pense que beaucoup sont passé à coté à sa sortie.
Quels sont vos hobbies en dehors de la musique ?
Mickaël : La musique prend la majeure partie du temps, sans parler du boulot mais je fais aussi de la photographie, un autre passe-temps très chronophage. Victor ne pense à rien d’autre que la musique, jamais ! haha Julien est guide touristique dans notre sud-ouest, donc il passe beaucoup de temps dans les musées et autres sites historiques, quand il ne fait pas de l’hydromel ou des vadrouilles en République Tchèque. Nico est passionné d’astrophysique, quand son travail à Noiser, une association qui organise des concerts à Toulouse lui laisse du temps, ce qui est rare. Et Théo est très pris par son travail et sa famille, ce qui lui laisse peu de temps pour d’autre hobbies que bosser sa batterie, haha !
Qu’est-ce qui vous a poussé à créer un groupe ?
Mickaël : L’idée de départ est venue le soir du dernier concert de Dimitree, groupe dans lequel jouait Théo et Jérémie, le premier bassiste d’Ahasver. On avait joué, moi et Julien avec Théo dans Zubrowska, et on s’est juste dit que ce serait cool de rejouer ensemble, on se connaît bien, depuis Eradykate et Disphoria dans les années 2000, donc il suffisait de compléter ce line up avec un chanteur qu’on apprécie, Nico, et c’était réglé. La volonté première reste toujours aujourd’hui la création, le but premier est toujours la musique, écrire des chansons qu’on aimerait écouter nous-même; c’est cliché mais c’est ainsi.
Si je vous demandais à quel plat français pourriez-vous comparer la musique d’Ahasver, lequel choisiriez-vous ? Pourquoi ?
Nicolas : Je choisis de comparer notre musique au livre de recettes, dont nous sommes les ingrédients.
Dernière question: avec quels groupes rêveriez-vous de tourner ? Je vous laisse créer une tournée avec trois groupes, plus Ahasver en ouverture.
Mickaël : Alors, pour rester sur un plateau à peu près cohérent, donc sans parler de rêve, disons Ahasver / Ulcerate / Daughters.
Merci à nouveau de votre disponibilité, je vous laisse les mots de la fin !
Le groupe : Merci pour la tribune !