Black Bile vomit son premier album.
Créé en 2017 en France par Romane (chant) et Nicolas (basse), rapidement rejoints par Antoine (guitare) puis Emerick (batterie), le groupe sort son premier EP en 2018. Rémy (guitare) les rejoindra finalement pour apporter la touche finale à L’Oratoire, leur premier album, qui sort en 2023 en collaboration avec Frozen Records et Code Records.
In Procession débute lentement, dévoilant tout d’abord quelques notes mélodieuses et planantes avant de laisser la basse, puis le chant entrer en scène pour nous conduire à Bereavement, où les musiciens se déchaînent dans une véritable vague de puissance viscérale, qui ralentira pour devenir majestueuse. La voix claire et les choeurs nous hypnotisent habilement avant d’exploser pour se métamorphoser en cris de banshee à peine retenus par un break plus doux, mais parfois renforcés par les riffs les plus massifs. La vague de calme ne sera que de courte durée, effacée par l’oppression finale, puis Ephialtes vient nous envoûter grâce à des tonalités dissonantes qui alimentent et emprisonnent en permanence le contraste entre lenteur lancinante et éléments sombres. Bien qu’inquiétant, le final reste assez apaisant, suivi par L’Oratoire, le titre éponyme, et son introduction aérienne rejointe par un chant clair qui l’adoucit même lorsque la saturation refait surface avant de se laisser corrompre. Antephialtes, le titre suivant, n’est pas sans rappeler la dualité qui sévissait sur l’un des titres précédant, couplant des touches ténébreuses à une lenteur pesante qui explosera soudainement avant de retomber dans la quiétude. Mais à nouveau, elle s’enflammera, adoptant même des influences Black Metal vives pour compléter le mélange fascinant qui nous transporte vers un envol final parfaitement géré avant qu’A Lament, le dernier morceau, ne s’aventure dans les territoires les plus sombres de ce paysage dévasté. On y retrouvera sans surprise les torrents de fureur brute entre les passages calmes mais accablants, qui nous mènent inévitablement vers la fin de l’album, et le silence complet.
Entre chaos et quiétude, Black Bile trouve son terrain de jeu. La lenteur du Doom, l’oppression du Post-Metal et les touches Black intenses font de L’Oratoire le son parfait pour laisser le temps nous emporter ou tout simplement pour faire sombrer ses pensées les plus sombres.
90/100
Quelques questions à Nicolas, bassiste du groupe de Doom/Post-Metal Black Bile.
Bonjour et tout d’abord, merci de m’accorder de ton temps ! Comment pourrais-tu présenter le groupe Black Bile sans utiliser les habituelles étiquettes des styles musicaux, telles que “Doom” ou “Post-Metal” ?
Nicolas (basse) : La question la plus difficile en premier ! On a jamais trop su définir ce que nous faisions en termes de style. Ce sont des personnes rencontrées au fil de notre parcours qui l’ont fait pour nous, si on peut le dire ainsi. Si on devait s’affranchir de ces étiquettes, on pourrait dire que Black Bile est un projet introspectif, tourmenté, poétique, voire romantique.
L’Oratoire, votre premier album, sort dans quelques mois, comment vous sentez-vous ? Est-ce que vous avez déjà eu des retours à son sujet ?
Nicolas : On est tous très impatients, on a hâte de pouvoir enfin le partager au plus grand nombre. On a déjà eu des retours très positifs de la part de certaines personnes à qui nous avons envoyé l’album lorsque nous étions en recherche d’un label. Et le simple fait que des gens comme Frozen Records et Code Records l’apprécient au point de vouloir le sortir est pour nous le retour le plus positif que nous pouvions espérer.
Comment résumeriez-vous L’Oratoire en trois mots ?
Nicolas : Contemplation, introspection, mélancolie…
L’Oratoire sort trois années après votre premier EP, The Substance, comment s’est passé sa composition ? Quels ont été les principaux changements ou évolutions de votre processus créatif ?
Nicolas : On est plutôt du genre à prendre notre temps, notamment parce que nous composons tous ensemble en répétition, donc le processus s’est beaucoup étiré. On se retrouve idéalement une fois par semaine, chacun apporte des idées que l’on essaye de suite, et on construit nos morceaux petit à petit. Il pouvait donc se passer plusieurs répétitions sans que rien n’avance, puis la répétition suivante, tout se débloquait. Le processus créatif est fondamentalement resté le même que pour l’EP. La seule différence est que cette fois-ci, nous sommes allés faire plusieurs sessions de préproduction avec Ben de B-Blast Records, qui a enregistré et mixé l’album. Ça nous a permis de prendre du recul, d’essayer de nouvelles choses. Et Ben a donc été impliqué dès le début du processus, il a pu suivre l’évolution et nous conseiller, ce qui n’avait pas été le cas pour l’EP où nous étions arrivés chez lui avec les morceaux quasi terminés.
Quel est le concept de cet album ? Le nom de l’album est en français, mais les morceaux restent en anglais, pourquoi avoir choisi d’utiliser le français pour son titre ?
Nicolas : Le nom de l’album s’est vite imposé dans le processus de composition, et l’a en quelque sorte guidé. On venait de sortir le clip du titre Black River, qui est sur l’EP, réalisé par notre ami Hugo Le Beller, qui signe également les deux clips de l’album. Le clip a été tourné dans un endroit qui s’appelle… “L’Oratoire”. C’est vraiment un lieu unique, un bout de forêt qui servait autrefois de lieu de culte. On y trouve des dolmens, et également des lieux de prière et de recueillement presque à l’abandon. Un chemin de croix y a même été reproduit. Il y règne une ambiance très particulière. Romane (chant) ayant habité juste à côté, elle y a passé beaucoup de temps pour y trouver de l’inspiration. On y a donc vu une certaine symbolique, comme le point de départ du projet. Pour le nom de notre premier album, ça sonnait bien. Et puis dans sa définition, un oratoire est un lieu de recueillement. Au-delà d’un quelconque dogme ou culte, il s’agit bien souvent d’un lieu de souvenir au sens large. Notre musique s’étant toujours voulue personnelle et introspective, on s’est plus à imaginer que l’album pouvait être l’oratoire de tout auditeur.
Votre troisième titre s’appelle Ephialtes, qui fait selon moi écho à un nom d’origine grecque, et le cinquième Antephialtes, qui selon moi semble en être l’inverse. Pourrais-tu m’expliquer le lien entre ces deux morceaux ?
Nicolas : Ces deux titres sont effectivement liés. Ils s’inspirent tous les deux du thème de la paralysie du sommeil, et des hallucinations ou cauchemars qui y sont liés. Ce phénomène était nommé “ephialtes” dans la Grèce antique. Le préfixe “ant” pour Antephialtes est une astuce qu’on a trouvée pour raconter un état, une situation qui précède la paralysie, mais qui n’est certainement pas correcte “grammaticalement”. Toucher au thème de l’onirisme, du cauchemar permet ensuite une certaine liberté dans l’écriture. Romane a toujours eu une approche qui pourrait presque se rapprocher du surréalisme, même si c’est un grand mot, dans l’élaboration de ses textes.
Je sais que c’est une question difficile, mais est-ce que vous avez un titre préféré sur cet album ? Ou celui qui t’a semblé le plus naturel à composer ?
Nicolas : On est tous d’accord pour dire qu’Antephialtes a quelque chose de spécial. Sûrement, parce que c’est la plus chargée émotionnellement. Elle a une mélancolie plus prononcée. Et nous aimons beaucoup la jouer.
Le groupe avait collaboré avec Duality Records pour la sortie physique de l’EP, et collabore cette fois-ci avec Frozen Records et Code Records pour la sortie de l’album. Comment se sont déroulées ces collaborations ?
Nicolas : Nous avions sorti l’EP en indépendant, en digital et en CD. Plusieurs mois après, nous avons reçu un message de Pierre et Damien de Duality qui nous avaient découverts sur Bandcamp. Ils ont été très emballés par le projet et nous ont proposé de sortir l’EP en format cassette. Ils les confectionnent eux-mêmes, on a aimé cette démarche DIY. Et ça c’est tellement bien passé qu’on a sorti avec eux un pressage vinyle de l’EP, c’était une première pour eux comme pour nous. Ça a été un plaisir de travailler avec eux, ce sont de vrais passionnés qui se donnent à fond pour les artistes avec qui ils travaillent. Pour l’album, c’est une affaire de rencontres. On suivait Frozen depuis quelques temps, et Nico était déjà allé au shop (ils ont un shop disquaire/salon de tatouage.) Avant de venir pour un rendez-vous, il leur a envoyé l’album, à rencontré Paul et Eddy, et c’est parti comme ça. En parallèle, on connaît Mik et son groupe Death Engine depuis un moment, car on est du même coin. Lorsqu’il a commencé à monter sa structure Code Records, on a pensé que ça faisait sens qu’un label local puisse participer à cette sortie, d’autant plus qu’on gravite dans les mêmes esthétiques. L’idée de la co-production s’est vite décidée et on a avancé. La collaboration se passe super bien. Paul, Eddy, et Mik sont très investis et nous font bénéficier de leur expérience, ils sont pleins de précieux conseils. On est très fiers de sortir l’album avec eux.
Est-ce que le fait d’avoir bénéficié de l’appui d’un label a changé votre approche de travail ?
Nicolas : Indéniablement. On peut dire que le simple fait de vouloir sortir l’album avec un label et de faire les choses bien a déjà structuré notre manière de travailler. Non pas sur le plan artistique, mais sur le plan “administratif” si on peut l’appeler ainsi. Nous n’avions aucun deal et aucune perspective au moment d’enregistrer. Il a donc fallu démarcher, une fois que nous avions en main l’album terminé. Cela nous a appris à bien présenter notre projet. Ensuite, une fois qu’on a trouvé le deal avec Frozen et Code, on a également appris beaucoup. Il y a plein de choses auxquelles on ne pensait pas ou que l’on ne prenait pas assez au sérieux jusqu’alors que nous avons découvert : la contractualisation, la relation presse, etc…
Avez-vous déjà des plans pour le futur de Black Bile ? Bien que ce ne soit pas votre première scène, comment appréhendez-vous votre release party du 25 octobre ?
Nicolas : En termes de dates, nous en avons deux de prévues pour le moment. Le vendredi 13 octobre (le jour de la sortie de l’album donc) au MaMA Festival, au Backstage BTM à Paris. Et notre release party le mercredi 25 octobre au Ferrailleur, organisée par Frozen, avec Nature Morte et Montagne. On voit cette release party comme un vrai aboutissement. On a hâte d’y être. On compte sur la sortie officielle de l’album et ces deux concerts pour pourquoi pas décrocher de belles dates en 2024. On a également des projets vidéos, et nous commençons tout juste à réfléchir à ce que pourrait être la suite de L’Oratoire.
Le groupe se présente généralement comme “Doom/Post-Metal”, mais quelles sont vos influences, et comment gérez-vous l’équilibre entre toutes celles de chacun des membres ?
Nicolas : On a forcément tous des influences et préférences un peu différentes, mais on se rejoint sur un socle commun. On aime tous des groupes comme Chelsea Wolfe, Hangman’s Chair, Amenra, Cult of Luna… On adore aussi le Post-Punk. Certains d’entre nous sont aussi très fans de Grunge, d’Indus, ou de Shoegaze, mais globalement, il n’y a pas de grosses dissensions. Notre manière de travailler et de composer en répétition permet à tout le monde de s’exprimer, et on est tous en phase quant à la direction artistique à donner au projet. On a des personnalités plutôt faciles, qui s’effacent au profit du groupe.
Est-ce qu’il y a des musiciens ou artistes avec lesquels vous souhaiteriez collaborer dans le futur ?
Nicolas : C’est une très bonne question. On y a jamais vraiment réfléchi. Sans que cela ne soit au sens de featuring, pouvoir un jour enregistrer avec Tim de Gieter (Amenra, Doodseskader) de Much Luv Studio, qui a masterisé l’EP et l’album, ce serait top !
Pensez-vous que la création de l’album vous a permis de vous améliorer en tant que musiciens ?
Nicolas : C’est certain. Déjà, on s’est essayés à des techniques qui n’étaient pas présentes sur l’EP. Romane a inclus le scream dans son chant, et au niveau instrumental le blast beat a fait son apparition par exemple. Le fait de prendre le temps et de travailler par sessions de pré production nous a permis de nous améliorer dans le travail de composition également.
Avec quels groupes rêveriez-vous de jouer ? Je vous laisse imaginer une date avec Black Bile en ouverture, et trois autres groupes.
Nicolas : On les a déjà cités plus haut, mais un plateau avec Chelsea Wolfe, Amenra et Cult of Luna serait exceptionnel.