Review 2187 : Demande à la Poussière – Kintsugi

Demande à la Poussière se reconstruit.

Trois ans après leur dernier album, la formation francilienne composée de Neil Leveugle (basse), Edgard Chevallier (guitare), Vincent Baglin (batterie) et leur nouveau vocaliste Simon Perrin (guitare/chant, Anthropovore, Muertissima) dévoile Kintsugi, leur troisième album, chez My Kingdom Music.

Inapte ouvre l’album avec des sonorités inquiétantes, qui deviennent très vite dissonantes puis massives et entêtantes avant que les parties vocales n’interviennent. Les hurlements macabres et désespérés emplissent l’air tout en se faisant régulièrement interrompre, brisant la dynamique pour nous écraser avec la même puissance avant que Kintsugi, le titre éponyme, ne prenne sa place en dévoilant une rage dévastatrice infusée au Black Metal qui crée un contraste avec les éléments plus mélancoliques. La complainte reprend de plus belle sur La Parabole des Aveugles, où des parties plus aériennes viennent nuancer la lourdeur de la rythmique pendant que le vocaliste place ses cris saisissants tout au long de ce chemin de douleur, puis c’est avec Ichinawa et ses leads lumineux que la route continue, explorant des territoires plus majestueux. Quelques racines Old School plus agressives viennent donner un goût de violence à certains passages avant de laisser la rythmique se dépouiller pour s’enflammer à nouveau en rejoignant Le Sens du Vent et son approche simple mais calme, qui s’assombrit après une minute pour devenir pesante en s’ancrer dans notre crâne pendant que le chant terrifiant nous mène vers Vulnerant Omnes, Ultima Necat où la fureur côtoie la langueur habituelle. La diversité vocale rend le morceau très brut, à l’inverse des sonorités sinistres et travaillées d’Attrition qui compte sur des mélodies hypnotiques en arrière-plan avant que le blast ne fasse tout voler en éclat, alors que Fragmenté propose immédiatement des tonalités plus malsaines et pénétrantes qui n’hésitent pas à s’effacer pour que les samples déverse leur malaise sonore. La douceur refait surface avec Miserere, mais elle se transforme naturellement en oppression persistante où les lamentations prennent vie, puis le groupe enchaîne avec Brisé où on ressent une certaine noirceur, doublée d’un pessimisme profond qui permet au morceau de naviguer à travers les ombres de ses riffs réguliers. Les musiciens referment ce troisième chapitre avec Partie, une courte dernière composition qui laisse un voix claire hanter le souffle du vent et une guitare sinistre et apaisante, qui choisira finalement le silence.

Une nouvelle étape a été franchie pour Demande à la Poussière. Le groupe avait déjà démontré sa maîtrise de la lourdeur et de la noirceur avec ses précédents opus, c’est maintenant l’oppression et la mélancolie qu’ils illustrent avec Kintsugi et ses riffs étouffants.

95/100

English version?

Crédits photo : Alex Le Mouroux

Quelques questions au groupe Demande à la Poussière à l’occasion de la sortie de leur nouvel album Kintsugi.

Bonjour et tout d’abord, merci de m’accorder de ton temps ! Comment pourrais-tu présenter le groupe Demande à La Poussiere sans utiliser les habituelles étiquettes des styles musicaux tels que “Sludge” ou “Metal” ?
Neil (basse) : Salut Matthieu ! C’est avant tout une recherche de musique lourde et déstructurée avec un son vivant, un peu baveux, bien analogique – on aime pas quand c’est trop propre, trop triggé, trop net ! Notre musique, on ne se pose pas tant de question sur l’étiquette qu’on veut lui donner ou le style dans lequel on veut évoluer…. On écoute beaucoup de choses tous autant qu’on est – on essaye surtout de rassembler ces influences dans un ensemble cohérent qui porte les textes et qu’on a plaisir à jouer.

Le nom Demande à La Poussiere ne date pas d’hier, comment le relies-tu personnellement à la musique actuelle du groupe ?
Vince (batterie) : Effectivement le roman de John Fante ne date pas d’hier. Il a donné le nom au groupe et pas mal de textes du premier album, donc l’univers de départ, mais dès le deuxième album on s’en était détaché. C’est pareil pour Kintsugi, l’histoire continue de s’écrire mais ne fait plus référence au roman. En revanche musicalement on est clairement dans la continuité du premier album et c’est en ce sens que je fais le lien avec Demande A La Poussière.

Kintsugi, votre troisième album, sort près de trois ans après le précédent. Comment te sens-tu ? Est-ce que tu as déjà eu des retours à son sujet ?
Vince : On a hâte de présenter ce troisième album. Et pour la première fois on va pouvoir le défendre sur scène au lendemain de sa sortie. Donc on est en pleine préparation du live, du merch pour la tournée, on vient de recevoir les cd, c’est une période très excitante! Rares sont les personnes qui ont écouté l’album en entier, quelques amis très proches et vous les webzines, les premiers retours sont très bons, les deux singles ont bien marché, on a hâte d’en montrer plus!
Simon (chant/guitare) : Je ne m’attends à rien de spécial, j’ai laissé passer quelques mois entre deux écoutes actives de l’ensemble, et j’ai agréablement “redécouvert” l’album. C’est déjà bon signe, et pour l’instant, les retours que l’on a au fil de l’eau sont unanimement positifs.

Comment résumerais-tu Kintsugi en trois mots ?
Neil : La vie la pute.
Simon : Ça fait quatre mots ! Je dirais plutôt “chienne de vie”, pour avoir le compte exact.

Le terme Kintsugi vient du japonais, et est assez poétique, il décrit une “méthode de réparation de porcelaines ou céramiques brisées au moyen de laque saupoudrée de poudre d’or”. Qu’est-ce qui vous a inspirés sur cette expression ?
Neil : C’est venu un peu par hasard. Quand nous avons commencé à écrire l’album, nous étions sur une thématique plutôt dystopique, mais des événements lourds dans nos vies respectives ont réorienté nos textes vers les blessures de l’intime, la dépression, le deuil. J’ai vu un jour passer un livre sur le Kintsugi dans une réunion de famille, et j’ai trouvé l’image très intéressante – cet art qui consiste à réparer des objets cassés pour les rendre uniques, plus beaux et plus solides, tout en se réparant soi. Ça collait parfaitement à l’état d’esprit qui se dégageait des textes en général, et ça a permis de rassembler la matière qu’on avait dans une thématique forte.

Cet album marque également l’arrivée de Simon Perrin (Anthropovore, Muertissima, Supplices) au chant, comment s’est passée la composition et comment avez-vous géré ses apports au son du groupe ? As-tu observé des changements par rapport aux précédentes productions du groupe ? Quelles sont les influences notables pour Kintsugi ?
Vince : Simon est arrivé dans le groupe courant été 2022, on s’est attelé à préparer les dates qui arrivaient en septembre. C’était une bonne entrée en matière pour découvrir l’univers de Demande A La Poussière. Et quelques mois après, au début de l’automne, on a commencé à plancher sur le troisième album. On est parti sur un travail vraiment collégiale, en faisant des tests, en se disant ce qu’on aimait ou pas sans forcément s’interdire des choses. Je crois qu’au final, on est resté dans la continuité des albums précédents, en apportant de nouvelles touches, je pense que les auditeurs ne seront pas perdus.
Simon : En tout cas, j’espère surtout qu’ils ne seront pas déçus ! 

Le premier titre dévoilé est La parabole des aveugles, pourquoi avoir choisi celui-ci précisément plutôt qu’un autre ?
Vince : Alors La Parabole des Aveugles a été le second single, et le premier, Kintsugi, est sorti un mois plus tôt. On a trouvé que ces deux titres représentaient bien l’album autant musicalement que dans les thèmes abordés dans les textes. Le côté très Doom pour La Parabole et teinté de Black pour Kintsugi. Ils nous paraissaient aussi intéressants pour les clips, car même si on avait dans l’idée de partir dans de l’abstrait, on voyait dans les textes des choses assez visuelles. On a échangé avec Daphnéa et Paul du Studio Matière Noire qui ont réalisé les vidéos, on leur a fait écouter plusieurs titres mais on a tout de suite été d’accord sur le choix des deux titres.

Concernant la pochette de Kintsugi, quelles ont été les directives données à Vaderetro, et qu’est-ce qui vous a séduit dans leur art ? La référence visuelle à une certaine marque de boisson houblonnée est-elle volontaire ?
Neil : Vaderetro, on les a découvert grâce au Post in Paris. Ce travail de gravure avec tous ces petits traits, ça nous a pas mal parlé. On avait accroché sur leurs représentations animalières – mais on les a laissé assez libres de nous proposer des choses. Après plusieurs essais la chimère a fini par s’imposer, pour son aspect “reconstruit” et unique … ça collait au thème, et c’était joli. Et aucune référence à aucune boisson houblonnée n’est à voir dans ce dessin, je ne sais même pas de quoi tu parles malgré toute la bière que je bois !

Je sais que c’est une question difficile, mais est-ce que tu as un morceau préféré sur cet album ? Ou celui qui t’a semblé le plus naturel à composer ?
Vince : Pour ma part je n’ai pas de morceau préféré, chacun a son univers, c’est ce qui compte le plus pour moi.
Neil : Le sens du vent – pour sa simplicité, sa charge émotionnelle et l’interprétation écorchée de Simon.

Kintsugi sort sur le label My Kingdom Music, qui vous avait également accompagnés sur l’album précédent, comment se passe la collaboration ? Qu’en est-il de votre partenariat avec Agence Singularités côté promo ?
Neil : Francesco de My Kingdom est quelqu’un avec qui le travail est simple et fluide. La sortie de cet opus sur son label s’est fait naturellement, nous nous sommes assez vite mis d’accord, et la communication avec lui est bonheur – il est présent, réactif et impliqué avec les groupes de son catalogue. Idem pour l’agence singularité, ils sont toujours à portée de message pour échanger sur la stratégie de sortie de l’album… En bref, on ne change pas une équipe qui gagne.

J’ai bien évidemment eu la chance de vous voir à l’œuvre plusieurs fois sur scène, mais comment vis-tu un live de Demande à la Poussière ? Penses-tu que l’approche visuelle du groupe renforce la prestation ?
Vince : J’aime beaucoup le live en général, et particulièrement dans ce style de musique, j’ai toujours trouvé que la scénographie avait encore plus d’importance. On est beaucoup sur la sensation, l’énergie, la violence, c’est important pour moi de créer l’univers visuel qui va avec l’univers musical. C’est pas franchement à moi de dire si ça renforce bien la prestation du groupe en live, mais en tout cas c’est le but. J’ai passé beaucoup de temps à créer des vidéos pour les morceaux qui n’étaient pas clippés et à programmer les lumières pour retranscrire au mieux l’univers du groupe quel que soit le lieu. Je m’éclate bien à faire ça.
Simon : On verse clairement dans le visuel. Il n’y a pas forcément d’interaction avec le public, pas de speech entre chaque chanson.. On laisse les gens être transportés par l’ambiance, le son, la lumière.. C’est presque comme un ciné-concert, et hors de question de briser le quatrième mur !

Vous allez bientôt partir en tournée en France avec Vesperine (et openers locaux), comment vous préparez-vous pour cette escapade ? Y a-t-il d’autres projets dans les tuyaux ?
Neil : On reste sur les mêmes fondamentaux pour cette tournée. Nous nous posons toujours des questions sur ce que nous pourrions faire pour améliorer nos lives, mais nous restons globalement sur la même recette pour l’instant. Le travail se concentre sur les fondamentaux : mettre la bonne énergie au bon endroit, accentuer les nuances… et le boulot de vidéo et de lights de Vince fait le reste.

Est-ce qu’il y a des musiciens ou artistes avec lesquels tu souhaiterais collaborer dans le futur ?
Vince : Oui absolument, c’est vrai que sur cet album on a pas fait de featuring, mais on a quelques idées pour le futur. On va garder ça pour nous pour l’instant.
Simon : Je plussoie. J’ajouterais que nous aurions pu avoir un featuring pour cet album, mais la personne à qui j’ai pensé n’était pas disponible au moment où nous enregistrions. De plus, la décision d’un featuring n’était pas assez mûrement réfléchie.

Penses-tu t’être amélioré en tant que musicien avec cet album ?
Vince : Je l’espère oui, chaque album contient quelques défis pour moi, mais bon je pars de loin…
Neil : En tant que musiciens je ne sais pas, mais en tant que compositeurs et auteurs on a eu une démarche plus profonde que sur les albums précédents. Je ne sais pas comment l’album sera reçu, mais ce boulot a été très gratifiant, nous en sommes tous fiers.
Simon : En tant que chanteur, j’ai exploré de nouvelles techniques de chant que j’ai mises à profit lors de l’enregistrement. On peut donc parler d’une nette amélioration de mon côté !

Avec quels groupes rêves-tu de jouer ? Je te laisse imaginer ta date de rêve avec Demande à la Poussière en ouverture, et trois autres groupes.
Neil : Beaucoup de monde me fait rêver tu sais ! Mon tiercé perso serait : Yob, Cult of Luna, Neurosis

Dernière question : à quel plat pourrais-tu comparer la musique de Demande à la Poussière ?
Vince : La cuisine est un sujet très important pour DALP, pour moi c’est comme une grosse raclette, c’est lourd, ça a du goût, ça fait du bien, mais ça peut créer quelques ballonnements en cas d’abus excessif… 😉

C’était ma dernière question, je te remercie pour ta disponibilité, et je te laisse les mots de la fin !
Vince : Merci pour ton interview, et merci à tous ceux qui nous soutiennent d’une façon ou d’une autre. Hâte de vous croiser sur la route!

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