Review 2220 : Maudits – Précipice

Maudits recule pour mieux sauter.

En 2024, le trio de Post-Metal instrumental formé par Olivier Dubuc (guitare), Erwan Lombard (basse) et Christophe Hiegel (batterie/samples), accompagné de Raphael Verguin (violoncelle, In Cauda Venenum, Psygnosis), Emmanuel Rousseau (piano, mellotron, minimoog, claviers) et Nicolas Zivkovich (rhodes/claviers) dévoile Précipice, son second album, chez Source Atone Records.

Précipice Part I nous met immédiatement face au vide, où même la dissonance se perd dans le néant tout en accueillant des patterns Prog et des éléments plus modernes qui répondent aux harmoniques entêtantes avant de laisser la saturation embraser la rythmique pour la rendre nettement plus motivante. Le son passera par une phase hautement mélancolique avant de se teinter de fureur pour finalement revenir dans des tons plus aériens pour voguer jusqu’à Seizure, où l’atmosphère s’assombrit pour nous enfermer dans ce carcan de noirceur grâce à des sonorités plus complexes, qui s’éteindront pour faire place à des influences Hip-Hop surprenantes. Les cordes reprennent et nous envoûtent à nouveau avant de renouer avec la saturation pour progressivement nous abandonner à l’intrigant Pretium Doloris, un interlude angoissant de deux minutes qui explore un paysage sonore simple avant de rejoindre Séquelles pour trois minutes de cavalcade sonore où dissonance et riffs saccadés s’entremêlent. Précipice Part II prend la suite de l’aventure en nous laissant admirer un son d’abord lumineux et simple qui se transforme grâce à des patterns convolutés et plus remuants où s’ajoutent ces touches brumeuses fascinantes qui rendent le tout plus enivrant. Le point d’orgue de la composition est atteint sur le final où blast et lourdeur se rencontrent avant de laisser place à Lights End où la douceur apaisante se dévoile à nouveau dans une première partie, puis le son accélère, devenant presque troublant pour finalement rejoindre Vielä Siellä où l’ambiance croît peu à peu en nous enfermant imperceptiblement dans son voile d’oppression pour enfin exploser et nous obliger à remuer le crâne une dernière fois. Si vous restez assez longtemps, le groupe vous offrira une dernière lueur, une piste fantôme où une voix samplée se mêle à quelques notes lancinantes avant de sombrer dans le néant.

L’univers de Maudits se passe de mots pour laisser les instruments développer une brume sonore fascinante et prenante, faisant de Précipice un véritable gouffre sans fond dans lequel on aime errer et avec lequel le groupe entend bien nous hanter.

90/100

English version?

Quelques questions à Olivier Dubuc, guitariste du groupe Maudits, à l’occasion de la sortie de leur nouvel album Précipice.

Bonjour et tout d’abord, merci de m’accorder de ton temps ! Comment pourrais-tu présenter le groupe Maudits sans utiliser les habituelles étiquettes des styles musicaux tels que “Progressive” ou “Post-Metal” ?
Olivier Dubuc (guitares et effets) : Bonjour! Avec plaisir ! Je dirais que nous faisons du Rock/Metal cinématographique 😉 Nous n’avons pas la prétention d’écrire des B.O de film mais sans nous en rendre vraiment compte, nous construisons nos morceaux comme tel,avec l’utilisation de thèmes mélodiques revenant régulièrement, comme des points de repères, dans des morceaux souvent assez longs et à « tiroirs ».. De plus, notre amour pour les arrangements de cordes, nombreux sur Précipice, appuie l’aspect cinématographique de notre musique. 

Comment relies-tu personnellement le nom Maudits à la musique du groupe ?
Olivier : Et bien ce nom à une signification toute personnelle car le projet est né dans un période compliquée de ma vie,à un moment où j’avais le sentiment que quoi que je fasses, il y avait toujours un facteur qui m’empêchait d’avancer… Comme une sorte de poisse momentanée qui colle à la peau. C’est en pondant le 1er riff du morceau qui ouvre notre 1er album que le titre m’est naturellement venu en tête. Je l’ai proposé aux autres comme titre du morceau tout d’abord ce qui a été validé immédiatement , et je crois que Chris notre batteur a dit que ce serait un parfait nom de groupe. On a juste ajouté le s et cela s’est présenté comme une évidence pour nous.

Précipice, votre deuxième album, est sur le point de sortir. Comment te sens-tu ? Est-ce que tu as déjà eu des retours à son sujet ?
Olivier : Je me sens très en confiance sur la qualité de ce que l’on a produit. Je n’ai aucun contrôle sur ce que les gens vont en penser, mais c’est à titre personnel la meilleure chose que j’ai pu produire de ma vie. Et pour en avoir longuement parlé entre nous je sais que c’est pareil pour mes acolytes Chris et Erwan. Nous avons mis tout ce qu’on avait dans les tripes et c’est déjà une énorme satisfaction pour nous. On a pour le moment peu de retour car à l’heure ou je t’écris la promo vient à peine de commencer et l’album ne sort que dans 15 jours. Seulement quelques proches à qui nous avons fait écouter l’album et qui ont adoré. Mais sont ils objectifs ? Probablement pas tous hahaha.

Comment résumerais-tu Précipice en trois mots ?
Olivier : Clair, obscur et sinueux.

Le mot “précipice” me semble relativement sombre, comme une sorte de finalité inexorable et effrayante. Pourquoi avoir choisi ce nom pour l’album ? Quelles ont été vos sources d’inspiration pour Précipice ?
Olivier : Comme pour le nom du projet, ce titre nous a semblé évident. Ce perpétuel équilibre entre lumière et l’obscurité, la menace constante que tout ce qu’on construit peut s’écrouler d’un moment à l’autre, à cause d’une mauvaise décision ou du hasard. C’est l’impermanence et l’imprévisibilité propre à la vie quelque soit notre religion, condition sociale ou genre. On est naturellement tous au bord du « précipice » depuis notre naissance… Ce n’est pas du défaitisme mais la réalité.. Tu peux être riche, beau et connu dans le monde entier mais te faire renverser par une voiture un matin en sortant de chez toi ou développer une maladie qui te terrassera en 15 jours. Donc la source d’inspiration est juste la vie avec les hauts et ses bas… Mais rassure toi en vrai je suis quelqu’un de très heureux dans la vie 🙂 

Cet album arrive quatre ans après son prédécesseur, avec tout de même deux EPs en cours de route. As-tu observé des changements par rapport aux précédentes productions du groupe ?
Olivier : 4 ans cela peut paraître long, et initialement cet album aurait dû sortir bien avant.. Mais comme tout le monde le sait les deux vagues de covid sont passées par là et ont naturellement poussé les groupes à revoir leur plans, Cependant nous n’avons pas chômé car 1 ans après la sortie de l’eponyme on a donc décidé de sortir un long EP (ayant quasi la durée d’un album) Angle Mort, constitué de titres du 1er album complètement repensés et de 2 nouveaux morceaux composés pour l’occasion. Ce dernier est très important à plus d’un titre car il marque l’arrivée d’Erwan à la basse et la première collaboration avec Raphaël Verguin au violoncelle. Puis nous avons enfin pu faire nos premiers concerts et enchaîné sur le Split album avec SaaR… Pour être précis la composition de Précipice a commencé dès le du 1er confinement duquel les morceaux Précipice part I, Précipice Part II, Pretium Doloris et Séquelles sont nés. Par la suite Seizure, Viella siellä, Lights End ont été écrit au fur et à mesure… Cette dernière ayant été composée très peu de temps avant l’enregistrement de l’album. Donc pour répondre à la question de départ les changements que j’ai observé par rapport aux autres productions résultent du fait que les morceaux ont mûri sur une période plus longue..la matière musicale me semble donc plus riche et sophistiquée, et on a sûrement été beaucoup plus attentif au détails.

Le premier titre dévoilé est Précipice Part I, pourquoi avoir choisi celui-ci précisément plutôt qu’un autre ? L’ordre des morceaux a-t-il une importance dans la tracklist ?
Olivier : Précipice part 1 nous semblait être un bon choix de premier extrait car il contient tous les ingrédients qui constituent notre musique : une longue intro Trip Hop sombre à tendance Electro, un couplet plutôt Metal, un pont Doom Atmosphérique avec des touches rythmique Dub, et un final musique de film dominé par les cordes. Le genre de structure progressive à tiroir que l’on adore développer ! Et oui l’ordre des morceaux à toujours une importance capitale dans nôtre manière de composer et de penser les albums. Pour nous une chanson mal placée dans une tracklist peut perdre beaucoup de son impact et même de son intérêt. On élabore la musique comme on l’écoute à savoir comme une œuvre globale qui s’apprécie dans son ensemble.. 

Sur cet album, vous accueillez trois invités : Raphael Verguin, Emmanuel Rousseau et Nicolas Zivkovich. Comment s’est déroulée votre collaboration ?
Olivier : Emmanuel Rousseau est un collaborateur et ami de longue date, avec qui on travaille depuis les débuts de Maudits (et même bien avant en ce qui me concerne). Je fais quasi toutes mes prises de guitares dans son studio depuis le 1er album, et il se charge d’une grosses partie des pianos et divers claviers, ainsi que certain arrangements de cordes. Il est donc un collaborateur très proche et non un invité. Idem pour Raphaël Verguin depuis l’EP Angle Mort. Ces arrangements de violoncelle font maintenant partie intégrante de nôtre son et il n’a jamais été aussi présent que sur Précipice. Le seul que l’on peut considéré comme guest est Nicolas Zivkovich qui est mon collègue dans Zëlot (projet Black Metal formé juste après le 1er confinement), qui apparaissait déjà sur Angle Mort, et à qui j’ai demandé quelques arrangement de Rhodes/claviers sur le milieu de Seizure.

Je sais que c’est une question difficile, mais est-ce que tu as un morceau préféré sur cet album ? Ou celui qui t’a semblé le plus naturel à composer ?
Olivier : Alors pour moi l’ensemble des morceaux de cet album ont une importance égale et contribuent tous à leur manière à l’œuvre qu’on avait en tête.. Mais à titre personnel, Précipice Part II est certainement la meilleure matière que j’ai pu produire depuis que j’ai commencé à m’essayer à la composition . Ce morceau de plus de 14 minutes est pour moi une fresque musicale avec tout ce qui me plaît au sens large. Les styles (Ambient, Rock Progressif, Doom Stoner, Trip Hop/Dub/Post Rock/Black Metal/musique de film) s’entrechoquent sans se gêner pour créer un ensemble cohérent et vivant. Probablement celui qui aura été le plus difficile à achever mais c’est une énorme satisfaction personnelle et collective d’en être arrivé au bout. Et le plus « simple », ou en tout cas le plus rapide à composer fut probablement Lights end qui est venu un peu au dernier moment et dont je n’ai quasi pas retouché les idées d’origine 😉

Précipice sort sur le label Source Atone Records, qui vous accompagne depuis quelque temps déjà, comment se passe la collaboration ? Qu’en est-il de votre partenariat avec Agence Singularités côté promo ?
Olivier : Cela se passe très bien avec Source Atone. C’est notre premier véritable album avec eux car le précédent était le split avec SaaR, ce type de format étant assez particulier à travailler. Il faisait office de « test » qui s’est avéré concluant pour nous. On leur a donc confié notre nouveau gros bébé 😉 Je connaissais Krys et Arnaud depuis un certain temps avant de collaborer avec eux. Nous sommes de la même génération et avons beaucoup de goût musicaux communs, et j’apprécie quasi toutes les sorties de Source Atone 😉 En tout cas pour le moment la communication est claire et on avance dans le même sens donc c’est nickel pour nous.. Et je n’hésite pas à les harceler en pleine nuit pour tout et n’importe quoi hahaha. Et pour Singularités c’est un peu la même chose sauf que je ne les connaissais pas avant ! La promo de Précipice vient tout juste de commencer mais ce que je peux dire est que la communication est fluide et le travail sérieux ! Ça n’augure donc que du bon 😉

Je n’ai personnellement pas encore eu la chance de vous voir à l’œuvre sur scène, comment vis-tu un live de Maudits ? Penses-tu que l’approche visuelle du groupe renforce la prestation ?
Olivier : Pour moi le live est l’aboutissement du long processus de création musicale. C’est à la fois libérateur et extrêmement déstabilisant voir stressant. Libérateur car c’est une adrénaline folle de jouer sa propre musique devant un publique qu’elle qu’il soit. Et la pression acoustique sur une scène, avec la basse/batterie qui cogne en soutien de son propre instrument est quelque chose d’assez grisant ! Déstabilisant et stressant car nous faisons une musique assez complexe, et nous ne pensons pas une seule seconde au live au moment de sa création . Il y a beaucoup de textures, de couches d’instruments, de cassures rythmiques, et de structures peu académiques.. Nous avons donc dû construire une configuration particulière où chacun à un rôle important afin de reproduire à 3, ce qui devrait être joué par 6 ou 7 personnes… Par exemple je joue avec beaucoup d’effet ainsi qu’un looper, permettant de superposer les couches de guitares que j’enregistre en live.. il n’y a rien de samplé, tout est joué. Même chose pour notre batteur Chris qui joue les parties Electro avec un pad intégré à son kit de batterie. Les seuls éléments samplés sont les arrangements de violons, pour une raison évidente de logistique impossible à gérer en concert à notre niveau. Quant à l’approche visuelle, elle est évolutive. Selon la taille du lieu, et les possibilités du moment, il nous arrive de faire appel à un excellent ingé lumière, Matt Damole, qui bosse superbement bien.Sinon je dirais qu’à force de jouer on progresse au niveau de notre présence, de nos mouvements sur scène et c’est de mieux en mieux.

Vous allez bientôt partir en tournée en France avec Parlor (et openers locaux) pour le Précipice Tour 2024, comment vous préparez-vous pour cette escapade ? Y a-t-il d’autres projets dans les tuyaux ?
Olivier : Nous avons monté nous même cette mini tournée, ce qui représente pas mal de boulot. Mais cela se présente bien ! Initialement nous devions la faire avec SaaR, ces derniers ayant malheureusement splitté entre temps. Du coup le choix de Parlor (avec Boris et Yann ex-SaaR) s’est naturellement présenté ! Ils jouent un style très différent du nôtre, dans une veine plus Post Hardcore avec un chant hurlé, mais ils ont une sacrée énergie sur scène et à l’arrivée cela donne un plateau varié et intéressant . Il y aura également deux dates en compagnie des copains lillois de Nord (avec qui nous avons collaboré sur une vidéo il y a peu), deux autres avec les excellents belges de Down to Dust (Anvers et Courtrai), ainsi qu’une avec Karlich (Rouen) ! C’est une sacrée logistique de voyager à deux groupes + un ingénieur du son mais nous sommes prêts et je pense qu’on va bien s’amuser ! Nous avons déjà des projets en tête mais allons dans l’immédiat prioriser les concerts pour défendre au maximum notre nouveau bébé ! La suite viendra en temps voulu 😉

Est-ce qu’il y a des musiciens ou artistes avec lesquels tu souhaiterais collaborer dans le futur ?
Olivier : Cela fait partie des projets en question hehe ! Mais temps que ça n’a pas été confirmé et acter je ne préfère pas donner de nom 😉

Penses-tu t’être amélioré en tant que musicien avec cet album ?
Olivier : A titre personnel cet album représente l’aboutissement de toute une vie de passion pour la création musicale. Je suis fier de tout ce que j’ai pu faire depuis mes débuts, mais je considère sincèrement Précipice comme la meilleure chose à laquelle j’ai pu participer. Si j’ai progressé en tant que musicien sur cet album c’est certainement dans la manière d’aborder la composition et les arrangements !

Avec quels groupes rêves-tu de jouer ? Je te laisse imaginer ta date de rêve avec Maudits en ouverture, et trois autres groupes.
Olivier : Je n’ai pas de rêves particulier car j’ai eu la chance d’ouvrir pour des groupes que j’admirais, et j’ai malheureusement été la plupart du temps déçu, les artistes en question s’étant révélés, de mon point de vue, d’odieuses personnes pétries d’ego. Mais à l’heure actuelle et d’un point de vue strictement artistique, (car dorénavant je m’en tiendrai là), voilà ce que serait mon affiche de rêve (et je te donne même l’ordre) : Maudits, Opeth, Godspeed You! Black Emperor et Portishead en tête d’affiche.. Ça aurait de la gueule non ? 😉 

Dernière question : à quel plat pourrais-tu comparer la musique de Maudits ?
Olivier : Une paella ! Pourquoi ? Déjà parce que j’adore ça (ma mère en fait une incroyable haha), et c’est un plat ou il y a pleins d’ingrédients et d’épices différentes, un peu comme notre musique finalement 😉

C’était ma dernière question, je te remercie pour ta disponibilité, et je te laisse les mots de la fin !
Olivier : Merci beaucoup pour l’interview ce fut un plaisir 😉 On a hâte de défendre Précipice en live !

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