
Woest ne veut pas de vous.
Pourtant, après six années hors des studios, le groupe composé de Torve (chant, Filthy Charity), Wÿntër Arvn (guitare, ex-Aorlhac), Malemort (guitare, Filthy Charity) et Lazharus (basse, Tarask, Jouissance Morbide) est de retour pour son deuxième album, Vomir à Outrance, qui sort chez Source Atone Records.
Le groupe a fait appel à Daemonicreator (Corpus Diavolis) pour les aider sur la composition et la programmation.

L’album débute avec une introduction sombre et bruitiste assez longue dont s’échappe parfois quelques éléments plus concrets, puis Dionysiaque lui emboîte le pas, présentant les premières vraies parties vocales qui accompagnent riffs lancinants et une base rythmique Industrial plus minimaliste. Le mix est assez inhabituel, recouvrant le tout d’une sorte de voile étouffant jusqu’à ce sample pour le moins… étrange, mais qui permet de temporiser avant que le groupe ne refasse surface pour nous mener à Sous-Sol, bien plus court mais également bien plus agressif. On note tout de même des moments de calme mais aussi d’angoisse lorsque la rythmique s’apaise, mais aussi un passage où les deux atmosphères se mélangent sous un chant clair entêtant avant de laisser L’Humiliation dans le Sang imposer son approche plus Old School et sauvage, conservant le beat entraînant. On retrouve ce son cinglant du Black Metal, mais aussi les touches dissonantes glaciales avant de revenir à un son plus imposant sur Les Déchets de l’Âme qui nous enveloppe dans cette quasi-torpeur où le chant est d’abord assez lent, puis finalement aussi violent que sur le morceau précédent, tout en conservant la vibe Industrial pesante. On passe au titre éponyme, Vomir à Outrance, qui va nous montrer une agressivité encore plus crue – notamment au niveau de ce discours mi nihiliste mi mélancolique – combinée à une dissonance oppressante à peine temporisée par le break et les choeurs faussement doux. Si une fois le titre terminé vous vous attendiez à du répit, Déterminé à puer la merde va annihiler vos espoirs en s’ancrant dans une fureur autant vocale que rythmique, abusant parfois des tonalités cybernétiques comme sur le long break mystérieux qui débouche sur une nouvelle vague de noirceur étouffante. Un “Hail Satan” marque la fin du titre avant l’étrangement fédératrice Brûler qui embrasse pleinement ses racines Punk virulentes autant que ses sonorités ténébreuses les plus dérangeantes, transformant le morceau en véritable vortex d’angoisse aux différentes formes plus ou moins rapides, mais Ode à la Pluie nous offre un véritable instant de flottement. Le sample vocal intrigant règne un peu de temps avec son message pessimiste, puis le vocaliste reprend le relai, hurlant comme un damné avant de lui laisser à nouveau la parole, les deux alternant comme ils peuvent dans cette danse lancinante et décadente pour finalement parvenir à une certaine fragilité avant l’averse, qui dure encore une minute sur Hidden track, sorte d’outro où on reprend peu à peu contact avec le réel.
Très peu accessible, mais en même temps très cru et brutal, Vomir à Outrance n’est pas un album comme tous les autres. Woest n’en a rien à foutre que vous l’aimiez ou pas, il a juste besoin de déverser sa bile sur le monde, peu importe qui en fera les frais.
95/100

Quelques questions à Torve, vocaliste du groupe de Black Metal Industriel Woest, pour la sortie de leur deuxième album, Vomir à Outrance.
Bonjour et tout d’abord, merci de m’accorder de votre temps ! Sans utiliser une quelconque étiquette de style, telles que “Industrial”,“Black Metal” ou autre, comment pourriez-vous décrire le groupe Woest ?
Torve (chant) : Cette question tombe bien, parce que perso, je m’intéresse peu aux étiquettes, surtout dans les sous-genres du Black Metal, qui tournent vite au ridicule. Alors fatalement, on en fait, parce qu’on aime ça, mais on aime aussi les ambiances électroniques, l’EBM, la Techno. La volonté est de proposer une immersion plutôt terre à terre et urbaine justement. Le chant et les textes, en français, sont mis à l’honneur aussi sur cet album. Du coup, comment est-ce qu’on se décrit… Comme un projet hybride et iconoclaste, du côté psychiatrique de la force, où chacun y emmène sa touche. Il n’y a pas vraiment de grand chef d’orchestre, c’est beaucoup d’arrangements.
D’où vient le nom Woest ? Que signifie-t-il et comment le relies-tu personnellement à la musique du groupe ?
Torve : Ça vient de la première démo, qui avait pour thématique Conan, du moins la vision de son auteur, Robert E. Howard, qui a été une claque esthétique dans ma jeunesse. Woest veut dire «sauvage» en francique, dans le sens « hors de la civilisation », c’est similaire à « barbare ». Et les Cimmériens, le peuple de Conan donc, sont inspirés des Francs. Donc voilà. Ça n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’on fait aujourd’hui, mais ça sonne bien. Et puis, on garde cette attitude un peu free, indomptable, un peu en dehors des codes, donc ça porte toujours son sens.
Votre deuxième album, Vomir à Outrance, sort très bientôt, comment vous sentez-vous au sein du groupe ? Avez-vous déjà eu des retours à son sujet ?
Torve : On tâtonne, on verra. Je pense que ça peut se faire remarquer, tout comme ça peut être un flop. C’est assez Punk, et pour moi le Black Metal, c’est du Punk, du moins, ça cherche à provoquer un truc qui ne plaît pas à tout le monde. C’est une scène pleine de dissonances cognitives : elle permet à la fois des créations hyper étranges et avant-gardistes, et pourtant, elle est remplie de gardiens du temple qui n’arrivent pas à décrocher de la caricature du style. Résultat : y a vraiment à boire et à manger, entre fulgurances et concepts éculés de poseurs, ou sinon encore la scène dite « post », qui était intéressant au début mais qui est devenu une passerelle vers le mainstream. Perso, on kiffe plutôt les trucs de niche des freaks qui ne vont pas bien dans leur têtes. Du coup, faut qu’on arrive à passer la barrière des gardiens du temple, pour tomber dans l’oreille des gens curieux, hors de cette scène peut-être. Bref, on s’en branle un peu des Kevin Nargaroth. Jusqu’ici les retours sont bons et tout le monde nous encourage, mais bon, c’est les potes, et j’ai déjà vu deux-trois commentaires jugeants sur les réseaux, genre “c’est pas du Black Metal”, “c’est pas assez malsain”, etc. Et tant mieux si ces gens-là le prennent comme ça, pour nous c’est bon signe.
Comment résumerais-tu Vomir à Outrance en trois mots ?
Torve : Tristesse, colère, doute… La dépression ? ahah.
Comment s’est passé le processus de composition de l’album Vomir à Outrance ? Cela faisait six ans que le groupe n’avait rien enregistré, as-tu remarqué des changements par rapport à vos précédentes productions ? Qu’est-ce qui vous a poussé à revenir en studio et enregistrer à nouveau ?
Torve : Perso, je trouve que c’est plus trop le même groupe, on a vraiment pris une autre direction. C’est la première fois que je suis vraiment satisfait de ce qu’on fait : c’est sincère, ça nous correspond mieux. Initialement, le noyau dur du groupe, c’est Malemort (guitare) et moi. On est des branquignoles avec plein d’idées, mais peu de technique. Depuis, Lazharus (basse) a pris la relève, et récemment Wÿntër Ärvn, qui est un super guitariste, qui tient haut la black flame. On a su s’entourer de gens talentueux, et en six ans, il y a eu beaucoup de changements de line-up, et on est beaucoup plus en accord sur l’identité qu’on se fait du groupe maintenant. On est à Marseille hein, les zikos, ça court pas les rues, et en plus on a ce truc d’état d’esprit… Si t’es pas un peu taré ou cassos, ça va être compliqué de nous fréquenter. Puis on est des branleurs, on est lents. Cet album s’est fait lentement, avec du recul, des moments blasés, mais aussi de la créativité intense, toujours en DIY. On n’a jamais eu d’agenda, on s’en fout, on a suivi notre rythme avec les aléas de la vie.
Le son du groupe mélange une base de Black Metal brute avec des influences Industrial oppressantes, comment arrivez-vous à créer votre propre touche ?
Torve : C’est de la cuisine, du puzzle, avec de vieilles idées, des trucs de dernier moment, la magie du hasard bien souvent, et surtout le talent de Daemonicreator, Monsieur Corpus Diavolis, qui a su arranger tout ça. Il représente à lui tout seul 50 % du travail. Bref, ça a été un parcours créatif un peu désordonné, où on a fait en sorte de ne laisser personne sur le bas-côté dans ses idées. Ça nous a permis de générer laborieusement notre sauce, et maintenant qu’on a une identité qui se démarque, il faut qu’on persévère dans cette voie. C’est gratifiant, quand tous les membres du groupe trouvent un vrai moyen d’expression dans un concept commun. Il va falloir à présent réemployer la formule sans tomber dans une caricature de nous-mêmes.
Quels groupes pourriez-vous citer comme vos influences ? Comment ont-elles évolué à travers le temps pour donner votre son actuel ?
Torve : Pwaaah… La question jukebox. Je sais pas si nos influences ont évolué, on va dire qu’on est un peu sortis de la volonté de faire un truc orthodoxe, théâtral, c’est un peu plus frontal et vilain. Je pense aux classiques Mayhem et Abigor, pour le côté strident et chirurgical des grattes, qui donnent envie d’enfoncer des scalpels. Après, évidemment, on pensera à Diapsiquir pour le côté Indus, tourmenté, musique à texte. Je ne vais pas citer Mysticum, Black Lodge, Neo Inferno 262, Alien Deviant Circus… On aime bien, mais on ne concourt pas vraiment là-dedans non plus. Sinon, Aborym, sacrée référence pour nous tous. Pour l’écriture, Virûs, le plus grand rappeur de tous les temps pour moi. Sa poésie, très ténébreuse et sophistiquée, m’a toujours fasciné depuis ses débuts. C’est un putain de génie, je le place dans mes artistes numéro un.
Je note un langage assez cru et virulent, comment avez-vous décidé des thématiques abordées dans les morceaux ? Comment avez-vous choisi les titres à dévoiler pour présenter l’album ?
Torve : J’ai rien décidé du tout, ça s’est fait tout seul, en mode un peu écriture automatique, il faut que les mots aient du punch. J’ai cité Virûs, mais pour ma part, j’ai toujours beaucoup écouté de Punk Français, avec son franc-parler. Je pense à Caméra Silens, Paris Violence, les premiers Béru… La musique de zonards qui bat le pavé, en somme. J’aime le chant français dans le “Rock”, et j’aime que le Black Metal ait suivi cette tradition. En gros, j’ai eu une pulsion d’écriture à une certaine période de ma vie. J’ai traversé des moments lourds ces dernières années que tout le monde a vécues ou vivra : en l’occurrence, la mort et le deuil. À ce moment-là, t’as plus le temps de porter des masques, t’es bien dans ta solitude, malgré l’entourage, et ce que tu cherches, c’est la lumière, dans la paix ou dans des choses moins saines. Et c’est en essayant d’aller de l’avant que je ne me suis jamais autant confronté à la dépression. J’ai voulu sortir de ma zone de confort.
Du coup, les textes sont virulents, cryptiques ; ils cherchent à exprimer ce moment de transition, entre les prises de recul lucides et les cataclysmes existentiels. Je me dis que ça peut parler aux concernés, de façon subtile. Je pense aussi à l’écriture de Nirvana, décousue et abstraite, qui a accompagné mon adolescence : ça me parlait de façon sensitive. Si j’arrive à faire ressentir ça chez certaines personnes, c’est une réussite pour ma part, et je leur dirai “prenez soin de vous”.
Je sais que c’est une question difficile, mais est-ce que tu as un morceau préféré sur cet album ? Ou celui qui t’a semblé le plus naturel à composer ?
Torve : Ode à la Pluie. Pour les autres, à jouer, c’est le plus chiant, mais pour moi c’est là où je me donne le plus. Le chant sur ce morceau… c’est un hurlement qui fait du bien dans mon corps, ça coule de source. Et pourtant, c’est le morceau le plus négatif, et il ne faudrait pas qu’il soit mal interprété. Dedans, il y a un texte de Chaval, un dessinateur de presse qui s’est suicidé en 68, narré par Piéplu, la voix des Shadoks. J’étais fan des Shadoks quand j’étais gosse, et ce sample est un moyen pour moi de rattacher les wagons entre l’innocence de l’enfance et le désespoir adulte. En musique, ça fait du bien d’en causer : c’est la mise à nu la plus délicate du monde.
Vomir à Outrance sort chez Source Atone Records, comment s’est passée la prise de contact et comment se déroule la collaboration avec eux ?
Torve : On avait fait trois dates avec Demande à la Poussière il y a quelques années, où Krys chantait à l’époque, et on s’est fait potes. J’avais aussi bossé avec Source Atone Records en tant que graphiste sur des skeuds. Donc voilà, rien de bien sorcier. La collab est cool, hâte de voir ce que ça va donner quand ce putain d’album va enfin sortir.
Je ne vous ai malheureusement encore jamais vu jouer sur scène, comment se passe un concert de Woest de votre point de vue ? Le groupe a déjà annoncé jouer avec Borgne à Paris en mars 2026, comment vous préparez-vous pour ce concert ?
Torve : On fait une tournée avec Borgne, mais les dates ne sont pas encore toutes annoncées. C’est cool, parce que Borgne est clairement une ref pour nous. C’est un peu trop loin pour qu’on s’y prépare, j’imagine qu’on va stresser nos races, mais en tout cas, on a bien travaillé notre espace scénique : projections de séquences de films entre le body horror, le surréalisme, en passant par le porno ; des écrans partout avec des trucs chelous, effets épileptiques… Bref, c’est déplaisant et cauchemardesque. La scène, ça nous plaît bien : le but étant que le public se sente mal à l’aise. On n’est pas là pour trop faire la fête non plus. Il faut vomir à la fin.
Quels sont les prochains projets pour Woest après la sortie de l’album ?
Torve : Vaguement, un EP : deux titres assez longs, peut-être un truc juste balancé sur le net, pour se fixer sur comment on engage la suite. La thématique, ce serait l’amok, sur un type qui fait une tuerie de masse en finissant par se flinguer. C’est un sujet qui me fascine, j’aimerais l’aborder sans morale ni complaisance. Travail difficile… C’est pas les exemples qui manquent ces dernières années, ahah.
Est-ce qu’il y a des musiciens ou artistes avec lesquels vous souhaiteriez collaborer dans le futur ?
Torve : On s’est pas trop projetés là-dedans… On verra, c’est le genre de trucs qui se goupillent tout seuls, en partageant la scène. Faut qu’on se fasse un nom un peu plus conséquent avant d’envisager de frapper à d’autres portes.
Pensez-vous vous être améliorés en tant que musicien avec cet album ?
Torve : Oui, clairement. On est passé de médiocre à pas mauvais.
Avec quels groupes rêves-tu de jouer ? Je te laisse imaginer ta date de rêve avec Woest en ouverture, et trois autres groupes.
Torve : Burzum, Darkthrone, Blut aus Nord.
Dernière question : à quel plat pourrais-tu comparer la musique de Woest ?
Torve : La soupe à la merde.
C’était donc ma dernière question, je te remercie pour ta disponibilité, et je te laisse les mots de la fin.
Torve : Des gros bisous à tout le monde, mais à toi surtout ! Préco, lâche ton oseille, achète sept t-shirts pour toute la semaine, ne sois pas sale. Et surtout, gloire à Satan !