Aaron Charles et Jordan Guerette du groupe de Black/Folk Metal Nord Américain Falls of Rauros ont répondu à mes questions sur leur nouvel album, Key to a Vanishing Future.
Chronique de Key to a Vanishing Future
Bonjour, et merci beaucoup pour le temps que vous m’accordez! Pouvez-vous vous présenter ainsi que le groupe Falls of Rauros sans utiliser les habituelles étiquettes “Metal”?
Aaron Charles (guitare/chant) : Salut ! Aaron Charles de Falls of Rauros, un groupe Américain originaire de Portland dans le Maine. Le Nord-Est de Portland, pas le Nord-Ouest de Portland, plus connu. Le groupe s’est formé fin 2005 et a sorti le premier album en quatuor en 2008. Notre musique est concentrée sur la composition; on essaie de s’améliorer en tant que compositeurs d’album en album. Le plus important pour nous est d’utiliser un large éventail d’influences et de trouver notre propre son plutôt que de se reposer sur des genres et esthétiques qui feraient tout le travail pour nous. Nous n’avons pas peur d’expérimenter de nouvelles choses tant que cette expérimentation sert la musique.
Jordan Guerette (guitare/chant/claviers) : Je suis Jordan Guerette, le guitariste de Falls of Rauros avec Aaron – Je fais aussi le chant et les claviers lors des enregistrements. Je suis dans le groupe depuis fin 2006 et participe aux enregistrements depuis la démo Of Stone and the Stars in the Sky qui est sortie l’année suivante. Nous nous connaissons tous les quatre depuis que nous sommes enfants.
Le nom Fall of Rauros vient de l’univers de J.R.R. Tolkien, comment le liez-vous à votre propre univers et votre musique?
Aaron : Nos paroles n’ont jamais été orientées du côté fantaisy, et c’est toujours le cas aujourd’hui. L’origine du nom vient d’événements liés à Falls of Rauros dans le roman. La faiblesse humaine (mais aussi la force), la mort et le surpuissant pouvoir de la nature du monde. Prendre ce nom nous a permis de transporter une métaphore pour ces thèmes dans notre musique. En plus de ne pas être traditionnel, le nom est également un clin d’œil à la tradition Black Metal, qui puise dans Tolkien.
Votre nouvel album, Key to a Vanishing Future, sort bientôt. Comment vous sentez-vous par rapport à ça ?
Aaron : Impatient à l’idée que les gens l’écoutent! Le chemin a été long. Nous avons écrit l’album entre mai et décembre 2020. Il a été mixé il y a plus d’un an donc il ne semble même plus nouveau pour nous. On se sent prêts à ce que le monde l’écoute, comme ça nous pourrons avancer et commencer à écrire de nouvelles musiques, et nous espérons sincèrement que les gens s’y lieront.
Y a-t-il un concept derrière cet album? Où avez-vous trouvé l’inspiration? Que ce soit l’inspiration musicale ou pas.
Aaron : Nous n’écrivons jamais d’albums vraiment conceptuels, mais nous avons généralement une sorte de thème unificateur sur chaque enregistrement. Key to a Vanishing Future explore le fait que les humains naissent dans ce monde sans consentement et sont forcés de supporter à la fois le poids de l’histoire humaine et la responsabilité de créer le futur. Les échecs et les succès des générations précédentes sont transmis aux suivantes, et la jeune génération n’a pas le choix d’hériter du monde qu’on lui laisse. On nous donne une clé pour le futur, mais à quoi ressemble le futur? Musicalement, notre inspiration est plutôt large. C’est difficile de désigner des influences spécifiques; on écoute tous des styles de musiques assez éclectiques, et nous absorbons un peu de tout. Quand nous écrivions l’album, je pense que nous étions surtout influencés par nos enregistrements précédents; ce que nous aimions, ce que nous voulions améliorer et ce que nous voulions faire différemment à ce moment.
La musique du groupe est basée sur du Black Metal assez brut, mélangée à des éléments épiques, des voix profondes et une énergie mystique. Comment arrivez-vous à créer votre propre identité musicale?
Aaron : Pour en revenir à la question précédente; nous créons notre musique en étant auto-critiques. C’est notre sixième album, donc nous avons beaucoup d’expérience par rapport aux décisions prises sur cet enregistrement. On ne veut pas faire du Black Metal monochrome (malgré qu’on aime écouter ce genre de groupes), donc nous y ajoutons des ingrédients d’autres genres comme le Rock (classique, Psychédélique, Progressif, Alternatif); et Folk, majoritairement. Le plus gros challenge est sûrement de trouver un moyen de mélanger correctement tous ces ingrédients pour avoir une bonne cohésion et les rendre cohérents mais également originaux. Nous laissons notre imagination explorer des choses qui ne sont généralement pas présentes dans le Black Metal, puis nous essayons de modeler ces idées en quelque chose qui sonne à peu près Black Metal.
Jordan : Quand nous écrivons, nous nous permettons de faire des choses qui ne sont pas forcément attendues pour le groupe; on est tous assez ouverts pour explorer de nouvelles sonorités que nous n’avions pas inclus dans notre musique avant. Ceci dit, le processus de filtrer ces nouveaux sons à travers l’esthétique de Falls of Rauros est crucial. Personnellement je trouve beaucoup de satisfaction quand on utilise un nouveau vocabulaire harmonique ou des nouveaux styles de jeux de guitare et qu’on les intègre à nos sons. Le meilleur compliment est quand quelqu’un remarque qu’on ne sort jamais le même style d’album deux fois de suite mais que ça sonne toujours comme Falls of Rauros.
Comment s’est passée la composition de Key to a Vanishing Future ? Était-ce différent de vos précédents albums?
Aaron : Le processus de composition est plutôt typique pour nous maintenant. Nous n’avions plus de concerts à cause de la pandémie, donc nous avons pu nous concentrer là-dessus. Nous avons d’ailleurs écrit cet album plus rapidement que d’habitude; les nouvelles idées étaient inspirantes pour nous donc ça n’a pas été compliqué. La plupart du temps Jordan ou moi avions un riff ou deux, nous les jouions ensemble avec le groupe et discutions des possibilités. Puis nous avons commencé doucement à construire un son et à l’améliorer. A d’autres moments, l’un de nous ajoutait des parties à une chanson déjà structurée et nous la mettions en bonne forme. L’intro à la basse sur Known World Narrows est à la base un riff de guitare écrit par Ray (notre batteur), transformé en morceau de basse puis modifié par Evan (notre bassiste). Nous avons tous les quatre des rôles actifs en tant qu’auteurs dans le groupe.
Comment avez-vous lié l’artwork avec l’album?
Aaron : L’artwork a été fait par notre cher ami Austin Lunn (de Panopticon). L’idée est venue après qu’on lui ait envoyé l’album et qu’il l’ait écouté plusieurs fois. Il nous a parlé de visuels qu’il avait en tête basés sur ce qu’il avait écouté de l’album, mais il ne savait pas de quoi les paroles parlaient. Il imaginait “bleu” et “neige”. C’était le visuel qui collait avec la “signature sonore » de l’album. Je lui ai donné le titre de l’album et de quoi parlaient les paroles, et l’idée d’une clé cassée dans la neige nous est venue après cette discussion. C’est une métaphore de recevoir quelque chose de cassé, ou d’hériter d’un monde qui souffre.
Depuis 2020, la crise du COVID-19 a tout chamboulé, comment avez-vous géré la situation? Vous a-t-elle impacté en tant que groupe?
Aaron : Ça a évidemment eu un impact sur le groupe, mais je pense que ça a été largement pire pour d’autres. Faire de la musique est un travail d’amour pour nous; on a tous un travail en dehors du groupe. On ne fait pas beaucoup de tournées et on ne compte pas sur les tournées pour payer nos factures. Donc même si la pandémie nous a obligés à nous adapter, ça nous a évidemment permis de travailler sur l’album sans trop de distractions. La plus grosse différence à ce moment est qu’on ne pouvait plus se rendre à New York pour enregistrer avec Colin Marston, donc nous avons auto-enregistré l’album dans son entièreté à notre studio et chez nous. Nous avons envoyé les enregistrements de guitare et basse à Colin pour re-amp, ce qui a beaucoup aidé, il a aussi mixé et masterisé le tout. Mais ce fut un peu compliqué de gérer les enregistrements nous-même.
Avez-vous déjà des plans pour après la sortie de l’album?
Aaron : Nous n’avons pas de plans particuliers pour le moment. Nous allons doucement mais sûrement commencer à écrire un nouvel album. Et nous allons essayer de recommencer à faire des concerts, mais probablement rien cette année. Jordan travaille sur un album avec son autre groupe, Forêt Endormie, et j’ai écrit et enregistré un album solo entre cet été et cet automne qui sortira sûrement plus tard dans l’année. J’ai mis “solo” entre guillemets car Ray, notre batteur, joue la batterie dessus (et a également géré l’ingénierie/le mix). J’ai écrit les chansons mais la batterie est très importante dans le Metal donc je ne peux pas dire que c’est un album solo.
Jordan : En plus de ce que Aaron a dit, nous commençons à penser à une tournée l’année prochaine.
Qu’aimez-vous dans votre musique que vous ne retrouvez pas dans la musique d’autres groupes?
Aaron : Difficile à dire. J’aime beaucoup le Black Metal traditionnel, donc c’est assez bizarre de faire de la musique différente. Je pense que j’aime surtout l’idée d’être créatif lorsqu’il s’agit d’écrire la musique, et pour autant que j’aime le Black Metal traditionnel, écrire ce genre de musique en 2022 est assez contraignant. Je dirais que nous combinons le Rock avec le Black Metal d’une façon que je n’ai jamais entendu avant (je ne dis pas que d’autres ne l’ont pas déjà fait, juste que je ne suis jamais tombé dessus). Alors que beaucoup de groupes de Black Metal ajoutent du Shoegaze et du Post-Rock à leurs sons, on se concentre plus sur le Rock classique et ce qui s’y apparente. Des guitares non saturées harmonisées, des solos que l’on peut chanter, le genre de choses que tu peux entendre sur les morceaux de rock connus des années 60/70 mais avec une touche de Black Metal Mélodique.
Jordan: Je pense qu’on se concentre surtout sur la musique et les variations plus subtiles d’une façon différente des autres groupes de notre genre. Je pense que la source de nos musiques est différente, et beaucoup plus tournée Rock, comme Aaron l’a souligné. Je puise aussi beaucoup dans la musique classique (J’ai obtenu un Master en composition musicale en 2016) et je pense que ça a également un impact sur ce qu’on joue.
Que pouvez-vous dire sur l’évolution de la scène Metal depuis les débuts du groupe?
Jordan: Quand nous avons commencé, on avait le sentiment que personne dans notre entourage n’écoutait de Black Metal et on le ressentait comme si on était une minorité. Puis aux alentours de 2009-2011 c’est devenu plutôt populaire, avec des groupes comme Wolves in the Throne Room qui ont attiré davantage de public. C’était cool, et ça nous a offert de nouvelles opportunités intéressantes pour des concerts. Ces dernières années, je suis comme déconnecté de tout ce qui est populaire – est ce que c’est toujours le Death Old School ? Ce qui était populaire ne semble plus aussi important que ce que ça a pu être, sûrement parce qu’on est dans la trentaine et les gens semblent s’intéresser aux nouveaux albums de Falls of Rauros peu importe ce qui est populaire. C’est une bonne chose.
J’apprécie aussi l’estimation gênante que les gens ont envers les groupes problématiques (ceux qui tournent avec des fascistes, ou encore qui ont une vision de suprématie blanche), et comment je constate que beaucoup de gens cessent d’écouter/soutenir des groupes qu’ils aimaient vraiment parce que leur façon de penser est dégoûtante. Je sais que ça m’a personnellement poussé à être plus prudent par rapport à la musique que j’écoute. Nous ne devrions pas soutenir des gens qui commentent ou écrivent des paroles racistes, sexistes, homophobes, transphobes ou qui n’acceptent pas la façon d’être des autres. Ce n’est pas possible de séparer l’art de la politique. Ce n’était pas une chose qui semblait gêner les gens il y a 10 ans, je suis content que ça ait changé.
Pensez-vous que vous pouvez encore progresser en tant que musiciens?
Jordan: Bien sûr ! Je sais que c’est quelque chose que nous faisons tous à notre manière. Je pense qu’en général, on se concentre pour améliorer nos compositions/nos textes, mais nous nous entraînons aussi sur nos instruments, Ray en particulier, il repousse constamment ses limites à la batterie. J’ai profité de la pandémie pour apprendre davantage la guitare classique et pour prendre des cours privés d’orchestration. Et nous continuons d’écouter beaucoup de musique, ce qui est le plus important.
Le groupe est actif depuis 2005, avez vous constaté une évolution de la scène Metal aux Etats-Unis? Comment est la scène locale?
Jordan: Je pense avoir répondu à la question 11, mais quand nous avons commencé nous étions une petite minorité qui intéressait peu de gens, et maintenant je n’ai plus cette impression, ce qui est bien. Portland et plus généralement le Maine est petit mais le milieu est vraiment génial, malgré que je n’ai plus fait de concert depuis 2 ans…
Quelle est votre meilleure et pire expérience en tant que musiciens?
Jordan: J’ai eu beaucoup de “bons” moments en tant que musicien, parmi eux toutes les heures passées à écrire de la musique, que ce soit seul ou avec Falls of Rauros au studio. Enregistrer Patterns in Mythology et Une voile déchirée pour Forêt Endormie avec Colin Martson à son studio à Queens à New York sont aussi de bons souvenirs. Pour ce qui est des concerts, le Decibel Metal et le Beer Fest 2017, le Fire in the Mountains festival, le Shadow Woods V en 2021 et un concert à Minneapolis avec Panopticon, Woman is the Earth et Alda en 2017 ont été des moments importants. La pire performance que j’ai pu faire était un concert au lycée, je jouais le saxophone ténor dans un quatuor de saxophones. On ne s’était pas entraînés du tout, je jouais d’un instrument que je ne connaissais pas et je ne m’étais même pas échauffé. C’était horrible!
Le groupe n’a joué que peu de concerts depuis sa création, souhaitez-vous jouer davantage? Souhaiteriez-vous vous produire ailleurs qu’aux Etats-Unis?
Jordan: Je ne suis pas d’accord avec ça, nous avons fait beaucoup de concerts et tourné un bon paquet de fois. Nous n’en avons jamais fait un truc à plein temps donc nous n’avons évidemment pas autant joué que Immolation, Iron Maiden ou autres, mais pour un groupe qui fait ça juste pour s’amuser et réaliser ses désirs musicaux, je pense que nous avons joué un nombre correct de concerts. Nous avons également eu quelques concerts au Canada (de Québec city à Victoria sur l’île de Vancouver et beaucoup de villes entre) mais nous ne sommes pas encore allés en Europe, même si nous discutons de cette possibilité avec une compagnie de tournées pour 2023. Un jour peut-être le Mexique, l’Australie et l’Amérique du Sud.
Peut-être avez-vous entendu parler de la scène Metal en France? Quels groupes connaissez-vous?
Aaron: Absolument! Nous sommes vraiment fans de Blut Aus Nord; ils sont sûrement notre groupe français préféré. Et il y a un bon paquet de gros noms que tout le monde connaît et qu’il n’est pas nécessaire de mentionner. De bons groupes de Black Metal “orthodoxes” viennent de France : Aosoth, Antaeus, Merrimack et Haemoth. Le fameux cercle Les Légions Noires est un autre choix évident. J’aime beaucoup la folie psychédélique de S.V.E.S.T. Darvulia qui est également très bien. Mais c’est juste la face émergée de l’iceberg; je ne suis pas français mais j’aime un bon nombre de groupes de ton pays!
Et si je vous demandais de comparer Falls of Rauros avec un plat? Lequel choisiriez-vous et pourquoi?
Aaron: Le sandwich Italien de Amato. Le Maine est connu pour ses homards, mais le Sandwich Italien peut embaumer un bâtiment entier en quelques secondes (dans le bon sens). Et tu peux en avoir trois pour le prix d’un homard dans un restaurant attrape touristes où tu dois faire la queue avec tout l’état de New York.
Y-a-t’il des musiciens ou groupes avec qui vous voudriez collaborer?
Jordan: Ce n’est pas quelque chose à laquelle je pense souvent, honnêtement. Je suis très content des collaborations qu’on a fait avec Falls of Rauros et mon autre groupe Forêt Endormie. Nous avons discuté de collaboration avec un très bon groupe dans le même style que nous, mais je vais garder ça secret pour le moment.
Dernière question : avec quels groupes aimeriez-vous tourner? Je vous laisse créer votre propre tournée avec Falls of Rauros en ouverture et trois autres groupes
Jordan: Oh, voyons voir… Enslaved, Spectral Lore (je sais que ce n’est pas un groupe qui fait des concerts, mais on peut toujours rêver) et Panopticon. J’irai clairement voir ce show!
C’était la dernière question, merci beaucoup pour votre temps et votre musique, je vous laisse le mot de la fin!
Aaron: Merci beaucoup pour le soutien! Santé à Acta Infernalis et tous ses lecteurs.
Jordan: Merci pour l’interview!