Interview : Sigh

Mirai Kawashima, tête pensante du groupe japonais d’AvantGarde Black Metal Sigh, a répondu à mes questions sur Shiki, leur nouvel album.

Chronique de Shiki

English version?

Bonjour et tout d’abord, merci beaucoup de m’accorder de ton temps ! Pourrais-tu te présenter, le groupe Sigh et toi, sans utiliser les habituelles étiquettes « Metal » ?
Mirai Mawashima (voix/instruments) : Je m’appelle Mirai Kawashima et je suis chargé du chant, de la flûte, des synthés, du Shakuhachi, etc… pour Sigh. Et Sigh ne joue pas de Hip Hop.

Te souviens-toi d’où vient le nom de Sigh, et quel est son lien avec la musique que vous jouez ?
Mirai : En fait, c’était une blague. Notre premier batteur, Kazuki, était amoureux d’une fille qui s’appelait Saiko à l’époque, alors nous avons voulu nous moquer de lui en nommant le groupe Psycho, qui a la même prononciation que Saiko. Mais le nom était déjà pris, on l’a arrangé un peu et on l’a appelé Sigh.

Votre treizième album, Shiki, est sur le point de sortir, comment le ressentez-vous ?
Mirai : En fait, c’est notre 12e album, nous excluons Ghastly Funeral Theatre, qui était un EP. C’est génial que l’album sorte enfin, mais pour être honnête, je ne me soucie pas du tout de ce que les gens en pensent car c’est un album très personnel. Si vous ne l’aimez pas, cela ne me regarde pas. Il montre comment je me sens en ce moment et il ne plaira peut-être pas à tout le monde.

Comment pourrais-tu résumer l’album Shiki en trois mots seulement ?
Mirai : Death is certain (“La mort est certaine”).

Comme toujours, l’album est très riche et surprenant, comment se passe le processus de composition ? Était-il différent de vos précédentes sorties ?
Mirai : Oui, c’était très différent. Au début, je composais les chansons en jouant moi-même de la guitare, mais à partir de l’époque Ghastly Funeral Theatre, les claviers sont devenus mon principal outil de composition. Mais cette fois-ci, je suis revenu aux sources, c’est-à-dire que j’ai joué de la guitare moi-même pour écrire ces chansons. Donc probablement que cette fois-ci, les chansons sont plus orientées vers la guitare que sur les derniers albums.

Y a-t-il un concept derrière Shiki ? J’ai remarqué que l’album commence et se termine sur le même ton, peux-tu nous expliquer cela ?
Mirai : Je ne dirais pas que Shiki est un album conceptuel, mais le thème principal est ma peur personnelle de la mort. J’ai maintenant 52 ans et la mort est devenue quelque chose de très réel. Sigh a toujours eu un rapport avec la mort, mais quand on a 20 ans, ce n’est rien d’autre qu’un fantasme. Bien sûr, vous pouvez mourir n’importe quel jour, mais ce n’est pas facile de le ressentir quand vous êtes plus jeune. Mais une fois que vous êtes vieux, les choses sont différentes. Certains de vos amis commencent à mourir et vous devez perdre vos parents. Tout à coup, la mort devient une dure réalité. Cette fois, je voulais exprimer ma peur de vieillir/ma peur de la mort aussi honnêtement et directement que possible. Oui, l’intro et l’outro ont quelque chose en commun. L’intro est exactement la description de la mort tandis que l’outro est une sorte de salut.

Est-ce facile pour toi de mélanger toutes tes influences ensemble ? Comment parviens-tu à laisser une place à chaque instrument ?
Mirai : C’est très simple. Je programme toujours les chansons en MIDI et je continue à écouter pour voir si c’est assez fluide. Si ce n’est pas le cas, je change l’arrangement. Je le fais jusqu’à ce que je sois satisfait à 100% de l’arrangement. Il n’y a donc pas de formule pour cela. Je dois uniquement me fier à mes oreilles.

À propos des voix, comment décides-tu de la technique vocale à utiliser ?
Mirai : C’est la même chose que pour l’arrangement. J’essaie simplement quelque chose qui me semble être le meilleur et je continue à l’écouter pour voir si c’est vraiment le meilleur. Il y a tellement d’essais et d’erreurs jusqu’à ce que les chansons soient finalisées.

Quelles sont tes sources d’inspiration en matière de paroles ? Qu’il s’agisse de musique, de livres, de films ou de toute autre chose.
Mirai : En ce qui concerne Shiki, il n’y a pas d’inspirations extérieures. Elles parlent toutes de ce que je ressens à l’intérieur. Il s’agit de ma peur de la mort. Il s’agit de la tristesse que j’éprouve à l’idée de vieillir.

Vous avez décidé de dévoiler les chansons Mayonaka No Kaii et Satsui pour présenter l’album, pourquoi les avoir choisies ?
Mirai : Évidemment parce que Mayonaka No Kaii est ma chanson préférée de l’album. Il y a de tout : un super solo de guitare, un solo de Hammond, un solo de flûte, un solo de Shakuhachi, un vocodeur, un chant de gorge, etc… Et bien que ça ne dure que 5 minutes, il y a tellement de scènes. J’adore ce que ça a donné. Cette chanson est également hors sujet et est basée sur une expérience personnelle étrange. Pour faire court, j’ai vécu deux fois minuit en une nuit. Vous pouvez lire les détails à la fin de la vidéo ou dans le livret de l’album. Costin a fait une excellente vidéo pour cet album. Il a parfaitement visualisé mon expérience étrange. C’est un génie. D’un autre côté, Satsui est plutôt une chanson plus simple, donc j’ai pensé que ce serait bien de montrer le contraste entre ces 2 chansons avant.

Je ne peux personnellement pas choisir ma chanson préférée, car elles ont toutes leur propre touche, entre calme, mystère et violence brute. Quelle a été la chanson la plus facile à créer pour toi ?
Mirai : La plus facile a sans doute été Kuroi Kage. C’est le premier titre que j’ai écrit pour l’album. Au début, je pensais faire un album dans la veine de Scorn Defeat, donc vous pouvez probablement sentir ce genre de vibration dans cette chanson. Tous les riffs de la chanson sont sortis assez rapidement. Bien sûr, j’ai changé l’arrangement plusieurs fois. Il n’y avait pas du tout d’ambiance japonaise au tout début, et je sentais qu’il manquait quelque chose dans cette chanson jusqu’à ce que j’aie l’idée d’y ajouter des instruments japonais.

Que peux-tu me dire à propos de la pochette et des directives que tu avais ?
Mirai : L’illustration est basée sur un vieux poème japonais datant de 800 à 900 ans. Il décrit la scène où un vieil homme regarde les fleurs de cerisier se faire voler par la forte tempête du printemps. Au Japon, les fleurs de cerisier sont le symbole de la fragilité, car elles sont très belles, mais elles disparaissent très vite. Cela implique que votre âge d’or est court. Le vieil homme dans le poème identifie les pétales dans le vent à lui-même, qui doit mourir très bientôt. J’ai été impressionné par ce poème car j’ai trouvé très intriguant qu’une personne d’il y a 800 ou 900 ans ait eu exactement le même sentiment que nous. Nos vies ont radicalement changé en 800 ou 900 ans. Aujourd’hui, nous avons Internet, l’IA, etc., mais la peur de vieillir ou de mourir ne change jamais.

Depuis 2020, la crise de Covid-19 a foutu beaucoup de choses en l’air, comment avez-vous fait face à la situation en tant que groupe ? Cela a-t-il eu un impact sur l’album ?
Mirai : Il est évident que Shiki est un rejeton du Covid-19. Sans la pandémie, cet album n’aurait pas vu le jour. J’ai commencé à écrire les chansons pour celui-ci au début de l’année 2020, et vous savez que c’était aussi le début de la pandémie. Et je ne pensais pas que nous serions en mesure d’aller dans un studio de musique pour répéter ou enregistrer un album avec des situations comme celle-là, et c’est pourquoi j’ai demandé à Mike Heller de jouer de la batterie pour nous. Je savais qu’il avait son propre studio et qu’il pouvait tout enregistrer chez lui. Je dois l’admettre aussi : Je voulais travailler avec des musiciens sans limites techniques. Mais de toute façon, je peux dire que le Covid-19 a été un moteur positif pour nous.

Avez-vous des projets pour l’avenir du groupe ?
Mirai : Nous allons jouer au Mexique pour la première fois en septembre. Nous parlons également de quelques dates en Europe pour le reste de l’année. Alors gardez un œil sur nous.

Pensez-vous que vous vous améliorez encore en tant que musicien ?
Mirai : Oui, sans aucun doute. Je prends toujours des cours de chant et j’essaie toujours d’apprendre de nouveaux instruments. 

Qu’est-ce qui t’a conduit à l’univers du métal dans le passé ? Quel est le tout premier album que vous avez acheté ?
Mirai : Dans les années 80, le Heavy Metal était très répandu, il n’y avait donc rien d’inhabituel à être un fan de Metal. Le tout premier album que j’ai acheté était The Number of the Beast d’Iron Maiden. Avant cela, j’utilisais les magasins de location de vinyles. J’étais un enfant et je n’avais pas beaucoup d’argent, ce n’était pas facile d’acheter les albums avant.

Le groupe n’a joué qu’une seule fois en France, c’était au Hellfest en 2010. Aimeriez-vous jouer à nouveau en France ? Connaissez-vous et appréciez-vous certains groupes de métal français ?
Mirai : Bien sûr, nous aimerions revenir dès que nous le pourrons. J’aime beaucoup de groupes français de la première heure comme Sortilege, ADX, Blaspheme, Trust, etc… Alcest sont aussi de bons amis à nous. Et bien sûr, Fred de Kreator, qui a joué de la guitare et de la basse pour Shiki, vient de France.

Que peux-tu me dire sur la scène Metal au Japon ?
Mirai : En fait, je ne sais rien. Bien sûr, je connais et respecte les vétérans comme Abigail, Sabbat, Boris, Genocide, etc…, mais je ne connais rien des groupes plus jeunes. Ce n’est pas facile de suivre l’évolution de la scène quand on a plus de 50 ans.

Le seul concert que Sigh a joué en 2022 jusqu’à présent est au Brutal Assault, comment était-ce ? Que ressens-tu lorsque tu joues sur scène ?
Mirai : Le concert du Brutal Assault était vraiment bien. C’était notre premier concert avec le nouveau line-up. Les réactions étaient géniales. Le Brutal Assault est définitivement notre festival européen préféré. Chaque fois que je suis sur scène, je me sens juste excité. Rien d’autre. Je ne me sens jamais nerveux ou autre.

Et si je te demandais de comparer la musique de Sigh à un plat ? Lequel et pourquoi ?
Mirai : Les pâtes, le curry ou les ramen. Les pâtes viennent d’Italie et ont été mélangées à la cuisine japonaise, ce qui a donné naissance aux pâtes japonaises. Il en va de même pour le curry et le ramen. Le curry vient d’Inde et les ramens de Chine. Ils ont tous été mélangés à la cuisine japonaise et quelque chose de nouveau est né.

Y a-t-il des musiciens ou des groupes avec lesquels vous aimeriez collaborer ? Que ce soit pour une chanson, un album…
Mirai : Oh oui, ce serait cool de travailler avec Tom G. Warrior.

Dernière question : avec quels groupes aimerais-tu faire une tournée (ou jouer pour un seul concert) ? Je vous laisse créer une tournée (ou une affiche) avec Sigh en ouverture et trois autres groupes.
Mirai : Probablement Celtic Frost et Voivod. Les influences de ces deux groupes sont énormes. Maintenant que Celtic Frost est parti, cela n’arrivera pas.

C’était la dernière question pour moi, alors merci beaucoup de m’avoir accordé de ton temps et pour ta musique, je te laisse les mots de la fin !
Mirai : Je me suis demandé quel était l’intérêt de faire un album de Metal extrême quand on a 50 ans, car ce genre de musique est né pour les jeunes. Je crois que Shiki est peut-être ma réponse à cette question. Je ne serais pas capable de faire un album comme celui-ci à 30 ou même à 40 ans. C’est un album que seul un homme de 50 ans pourrait faire. Je ne sais pas ce que les jeunes pensent de cet album, mais c’est mon expression la plus honnête.

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