Review 1512 : Etat Limite – L’Affrontement de l’Intime & Chaque Être est un Hymne Détruit

Etat Limite. Un terme qui regroupe un certain nombre de troubles de la personnalité, mais également un projet de Black Metal Atmosphérique venu de Nancy, en France.

Formé en 2020 par Wintersieg (instruments, ex-Deinos Mastema, ex-Lying Figures) puis rejoint par Usher (chant), le groupe propose deux albums, L’Affrontement de l’Intime et Chaque Être est un Hymne Détruit, respectivement en mai et octobre 2022.

L’Affrontement de l’Intime se compose de neuf titres, à commencer par L’Idée Positive et son sample vocal empli de désespoir qui colle parfaitement à l’ambiance de la douce instrumentale. Le son s’éteint pour laisser Etat Limite nous noyer sous sa vague de ténèbres lancinantes avant d’accueillir les hurlements viscéraux pour créer un mélange étouffant et intense qui sait également laisser des sonorités planantes plus lentes nous émerveiller. On retrouvera également quelques claviers pour accompagner les riffs bruts, tout comme sur L’Homme sans Visage qui propose un son apaisant qui avance lentement vers l’arrivée du chant, puis de la saturation oppressante. Le titre est rythmé par les accélérations de batterie, puis il se brise et laisse Sous L’Influence du Chaos Rampant nous écraser avec sa rythmique pesante faite de sonorités massives assez lentes. Même lors des accélérations, le titre reste assez lourd, alors que Sortez les Infirmières de mon Monde joue sur la dissonance pour appuyer son flot de douleur aussi macabre que réaliste, parfois accompagné par quelques chœurs clairs. De Paradis Artificiels en Enfers Dysphoriques fait renaître les sonorités lancinantes tout en conservant la dissonance développée sur le titre précédent, laissant ce mélange hypnotique nous conduire à la rage pure sans vraiment s’effacer, tout comme sur la mélancolie qui naît dans Lame sœur et ses tonalités glaciales. Le titre est assez court, mais il est parfait pour illustrer la dualité qui vit dans l’univers du groupe, entre la douceur du son clair et la puissance de la saturation, combinant également des parties vocales intenses avant que L’Affrontement de l’Intime, le titre éponyme, ne débute accompagné par des harmoniques planantes et des choeurs profonds. La rythmique s’embrase régulièrement, laissant les hurlements refaire surface, puis des claviers transcendants nous guident jusqu’au final, suivi par Le Damné Hanté, la dernière composition, qui dévoile des riffs solides et pesants avec une approche assez Old School sur une rythmique relativement vive, qui laissera finalement les claviers mettre le point final à ce chapitre.

Moins de six mois plus tard, le groupe dévoile Chaque être est un Hymne Détruit, qui contient également neuf titres. Combat Intérieur, le premier morceau, débute lentement avec des sonorités maussades mais douces avant d’être inondé par la noirceur et la saturation, complétés par quelques claviers majestueux. La voix se montre assez diversifiée, passant de cris bruts à choeurs oppressants avant qu’Ennemie de Morphée ne lui offre des tonalités DSBM glaciales pour s’exprimer, tout en conservant les claviers entêtants. On notera également que certaines parties sont plus intelligibles, nous mettant face à la rage viscérale qui nous lâche soudainement sur Chirurgien de l’Inconscient et ses sonorités hypnotiques surprenantes avant que la saturation ne nous écrase à nouveau avec sa dissonance mélodieuse. Douce Insomnie prend la suite avec une rythmique abrasive qui annonce la fureur explosive et ses claviers épiques, mais également le brouillard vocal qui hante le morceau. Le son sera coupé par un sample avant que la vague lancinante ne reprenne vie par deux fois pour nous mener à Le Malheur et ses sonorités Industrial agressives, suivies par les riffs bruts et le chant désespéré. On notera également le travail fait au niveau des paroles pour traiter de ce sujet aussi simple qu’omniprésent pour accompagner des leads entêtants avant que les choeurs majestueux entrent en jeu, suivis par Chaque être est un Hymne Détruit, le morceau éponyme, qui renoue avec les sonorités Old School et vives pour développer des sonorités martiales. Le chant est également beaucoup plus sombre, donnant un aspect imposant au son étouffant tout comme L’Enfant Maudit du Pessimisme Noir qui se teinte aussi de mélancolie sur les parties les plus douces. Le contraste entre les deux univers est assez impressionnant, tout comme ce passage presque solennel qui intervient à partir du milieu du titre, puis Personnalité Limite nous replonge dans l’agressivité brute et sombre avec ce hurlement déchirant. Les riffs tranchants se mêlent au chant éraillé pour nous envahir avant de nous faire progressivement suffoquer, laissant Ténèbres clore l’album avec une rythmique lancinante malsaine et pesante. Les riffs s’enflammeront tout de même régulièrement, offrant à ces cris de désespoir une base massive pour cracher leur noirceur.

En deux albums, Etat Limite a développé un univers oppressant, brut et criant de vérité qui nous blesse sans ménagement. On notera tout de même une progression entre L’Affrontement de l’Intime et Chaque Être est un Hymne Détruit, qui s’illustre par une plus grande diversité vocale et des riffs parfois plus imposants.

95/100

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Quelques questions à Wintersieg, créateur et compositeur d’Etat Limite.

Bonjour et tout d’abord merci de m’accorder de ton temps ! Comment présenterais-tu le projet Etat Limite sans utiliser les habituelles étiquettes “Metal” ?
Wintersieg (tous instruments) : Exercice délicat que de devoir présenter un projet sans utiliser le mot en “M” mais somme toute intéressant. Alors, de tous mes projets musicaux, passés ou présents, Etat Limite est de loin le plus personnel. Ce projet est le reflet de mes angoisses, de mes peurs, des émotions trop envahissantes dont je suis l’esclave impuissant et qui m’empêchent de vivre normalement. Etat Limite est mon exutoire, c’est la représentation concrète et sincère de tous ces concepts plutôt abstraits qui caractérisent l’univers complexe qu’est celui de la psychologie humaine.

D’où vient le nom du groupe, et comment le relie-tu à la musique que vous jouez ?
Wintersieg : L’état limite ou trouble de la personnalité limite (borderline personality disorder en anglais) est, comme son nom l’indique, un trouble de la personnalité qui se caractérise principalement par une incapacité à gérer ses émotions, qu’elles soient positives ou negatives, une faible estime de soi, des relations interpersonnelles instables, des comportements addictifs et autodestructeurs (abus de drogues, dépenses irraisonnées, conduite dangereuse, sexualité à risqué…), des comportements parasuicidaires (automutilations, tentatives de suicide…). Je suis moi-même atteint par ce trouble depuis l’adolescence, aussi loin que je m’en souvienne, mais on ne me l’a diagnostiqué officiellement il y a seulement trois ans. Lorsque j’ai créé Etat Limite, il me paraissait logique de nommer ce projet ainsi car, comme je l’ai dit précédemment, ce projet représente ce que je suis et ce que je vis, et j’exprime, à travers la musique et les paroles, tout ce que je ressens, sans aucun filtre, sans aucune limite.

En 2022, le groupe a sorti deux albums, L’Affrontement de l’Intime en mai, puis Chaque Être est un Hymne Détruit en octobre. Comment expliques-tu votre productivité ? Quels sont les retours sur les albums ?
Wintersieg : Quand j’ai créé Etat Limite, j’avais composé et enregistré 18 morceaux en tout. J’en ai sélectionné la moitié et ça a donné L’Affrontement de l’Intime. L’enregistrement du chant s’est étalé sur une année, j’ai mis un peu moins de deux ans à bosser sur le mixage et le mastering. J’ai ensuite été contacté par Huard Productions et France, Black, Death, Grind qui m’ont proposé de produire l’album. Une fois l’album bouclé, celui-ci est parti au pressage, c’est à ce moment que j’ai commencé à travailler sur le mixage des 9 morceaux restants. Ça a été plutôt rapide car je me suis basé sur le travail que j’avais déjà effectué sur le premier album. J’ai écrit tous les textes, j’ai enregistré le chant sur la majorité des morceaux en une semaine, j’ai fait tout l’artwork et l’album était terminé et prêt à partir au pressage environ un mois après la sortie de L’Affrontement de l’Intime. France, Black, Death, Grind n’était pas d’accord pour que l’on sorte le deuxième album aussi rapidement, j’ai donc décidé de ne plus travailler avec eux et de produire moi-même l’album avec mon petit label Infinitum Malum Productions. Huard Productions m’a suivi et m’a proposé de coproduire l’album. Voilà ce qui explique le court laps de temps entre les deux sorties. Pour ce qui est des retours, concernant le premier album, bien qu’ils aient été relativement peu nombreux, ils ont tous été très positifs. En ce qui concerne le deuxième album, j’ai eu quelques retours, là aussi très positifs.

Comment s’est passé le processus de composition ? Ainsi que l’écriture des paroles ?
Wintersieg : J’ai une manière de composer assez particulière mais qui est restée la même depuis près de 20 ans. En fait, je compose et j’enregistre en même temps. Quand je me lance dans la composition d’un morceau, je branche ma guitare sur la carte son, je démarre mon logiciel d’enregistrement, je créé un nouveau projet et je paramètre toutes mes pistes (guitares, basse, batterie…) avec les plugins que j’ai l’habitude d’utiliser (simulation d’amplis pour les guitares et la basse, VST pour la batterie…). Une fois que tout est prêt, je commence à gratter jusqu’à ce que je trouve un riff qui me plait et je l’enregistre direct. Je programme des patterns de batterie basiques et j’enregistre la basse. Ensuite, je recommence le même processus, je cherche un riff qui me plait et qui s’enchaîne bien avec le précédent, j’enregistre, je programme… Et je fais ça ainsi de suite jusqu’à arriver à un morceau complet. Une fois le morceau enregistré, je perfectionne les patterns de batterie puis je passe à l’enregistrement des ambiances, des claviers, du sampling… Tous les morceaux que j’ai sortis, avec Etat Limite par exemple, sont des morceaux qui ont été fait en une session, c’est-à-dire que quand je me lance en partant de zéro, je ne m’arrête qu’une fois le morceau terminé. Parfois ça peut être rapide, genre 2-3h, parfois ça peut prendre une demi-journée voir une journée. Pour te donner une idée, la composition et l’enregistrement des 18 morceaux qui ont donné les deux albums, m’ont pris environ deux semaines de temps. Ce qui me prend le plus de temps c’est le mixage. J’écris mes textes indépendamment de la musique. C’est-à-dire que je vais composer à un certain moment, je vais écrire un texte à un autre moment, mais je n’écris pas en fonction de la musique. C’est une fois que j’ai enregistré un album complet que je me dis que tel texte ira sur tel morceau et ainsi de suite.

A la base, le projet était exclusivement instrumental, pourquoi avoir choisi de recruter un vocaliste ?
Wintersieg : Alors détrompe-toi, Etat Limite n’a jamais été un projet instrumental. Peut-être as-tu été induit en erreur par la page du groupe sur le site Metal Archive. Je ne suis pas à l’origine de la création de cette page mais j’ai vu qu’il y avait une démo de référencée dans la discographie, qui se nomme “Anabase Nocturne” et qui regroupe plusieurs morceaux instrumentaux. Cette démo n’a jamais existé et je pense que la personne qui a référencé cette démo à fait un amalgame de plusieurs choses et n’a rien compris à ce qu’était Etat Limite, mais bon, je ne vais pas m’étendre davantage sur le sujet, il n’y a rien de grave.
À la base, j’avais dans l’intention de faire un vrai groupe avec Etat Limite. J’avais passé quelques annonces pour trouver des musiciens mais comme je m’y attendais, ça n’a pas donné de résultat. Je suis donc parti sur l’idée de faire un one man band, comme je l’avais déjà fait avec Deinos Mastema. Mais, avec les confinements, le manque d’entrainement, la dépression qui a pas mal bouffé ma motivation et mon envie de chanter, ainsi que l’abus de certaines substances qui m’ont bien abimé les cordes vocales, j’avais énormément perdu en capacités vocales, je n’avais plus rien dans le sac en gros. Je ne me sentais pas capable d’enregistrer tout un album et je ne voulais pas gâcher tout le travail que j’avais fait sur la musique avec un chant bas de gamme. J’ai donc passé quelques annonces dans toute la France pour trouver un chanteur, j’ai eu plusieurs réponses et mon choix s’est arrêté sur Usher qui avait parfaitement cerné l’état d’esprit du projet, son timbre de voix m’a tout de suite plu et humainement, le courant est super bien passé dès le début. Je suis plus que satisfait du travail qu’il a fait sur L’Affrontement de l’Intime et je ne regrette pas mon choix. 

Est-ce qu’il y a un titre qui te parle plus que les autres ?
Wintersieg : Alors, si je ne devais retenir qu’un titre sur les deux albums, ce serait sans hésiter Ténèbres, le dernier morceau du deuxième album Chaque être est un Hymne Détruit. C’est probablement le morceau dont je suis le plus fier, et c’est celui que je ferai écouter à quelqu’un qui ne connaitrait pas Etat Limite.

Les deux albums sont ancrés dans un Black Metal Atmosphérique extrêmement mélancolique et sombre, avec un chant en français. Pourquoi avoir choisi de conserver le français pour faire passer votre message brut et pessimiste ?
Wintersieg : Tout d’abord par solution de facilité. Je ne suis pas très bon en anglais. Mais au-delà de ça, je trouve que l’on a une très belle langue et elle colle parfaitement à un style comme le Black Metal. J’ai grandi avec des groupes comme Anorexia Nervosa et Forbidden Site. Quand j’entendais Hreidmarr dégueuler toute sa haine ou son désespoir dans les passages où il chantait en français, ça me transcendait littéralement. Et pour finir, quand j’écris mes textes, je peux partir très loin dans des délires psychotiques, j’utilise beaucoup de métaphores, d’images, j’aime jouer avec les mots et avec l’ambiguïté et les doubles sens… Et généralement ce sont des choses qui sont quasiment impossibles à traduire en anglais. 

Quels sont vos plans pour le futur du groupe ? Que ce soit un éventuel passage au live, d’autres sorties…
Wintersieg : Alors la prochaine sortie d’Etat Limite sera un EP de 6 titres dont 4 morceaux inédits, une reprise d’un morceau de mon ancien groupe Lying Figures, ainsi qu’une reprise du titre Etat Limite faite par la fanfare Karlëk. J’ai terminé la composition et l’enregistrement des morceaux il y a quelques jours, j’ai quasiment écrit tous les textes donc il n’y a plus qu’à enregistrer le chant. Mais je compte laisser passer un peu de temps avant d’envisager une sortie, ce ne sera pas avant au moins mai 2023. Sinon le troisième album est déjà enregistré depuis plusieurs mois, on commence à peine à se pencher sur les textes avec Usher mais là je ne compte pas le sortir avant 2024.

Est-ce qu’il y a des musiciens avec lesquels vous souhaiteriez collaborer ? Que ce soit pour un titre, un album…
Wintersieg : Honnêtement, je n’en ai aucune idée. Je suis quelqu’un qui écoute assez peu de musique en général et surtout très peu de Metal, et ça fait des années que je ne m’intéresse plus à la scène Metal. Il y a bien quelques groupes récents sur lesquels je suis tombé par hasard et que j’ai apprécié, mais je n’ai jamais trop creusé. Dans ce que je connais de la scène actuelle et des groupes avec qui j’aimerais faire une collaboration comme un split, je dirais Glaciation (parce que Hreidmarr!) ou Mortis Mutilati, pour ce qui est des groupes français, ou sinon Psychonaut 4, qui pour le coup, en tant que groupe récent, a été l’une de mes expériences émotionnelles musicales la plus intense de ces 10 dernières années. 

Merci à nouveau de votre disponibilité, je vous laisse les mots de la fin !
Wintersieg : Merci à toi pour ton intérêt et ton soutien envers Etat Limite. Merci pour cette interview qui sort un peu du cadre des interviews basiques et qui m’a demandé pas mal de réflexion. Et merci à toutes celles et ceux qui prendront le temps de jeter une oreille sur notre musique !

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