Review 1549 : Bizarrekult – Den Tapte Krigen

Bizarrekult continue son ascension.

Les premiers signes d’existence du groupe remontent à 2005 en Russie, et malgré plusieurs pauses le groupe se développe lentement. En 2023, le groupe composé de Roman V (chant/paroles/composition), Dina V (chant féminin), Ignat P (guitare/basse) et Alexander P (batterie) sortent Den Tapte Krigen, leur deuxième album, chez Season of Mist.

Du Lovet Meg démarre l’album avec un blast énergique ainsi que des riffs sombres mais étranges auxquels s’ajoute une voix torturée, puis le son s’apaise soudainement en accueillant une voix claire. La rythmique s’enflamme de nouveau, laissant la dualité faire son oeuvre au sein du morceau, l’une brisant l’autre ou la chevauchant pour créer un contraste intense qui nous mène à Kongen, un titre plus lent et mystérieux qui laisse des leads dissonants nous montrer la voie jusqu’aux cris ainsi qu’à cette lourdeur oppressante. Les riffs pesants finiront par s’éteindre pour que Den Tapte Krigen ne laisse libre cours à sa dissonance contrastée, donnant autant la parole à la douceur qu’à la noirceur. Le son se couvre de mélancolie lancinante tout en restant saturé et écrasant avant que Hvis Jeg Bare Kunne… ne dévoile des tonalités plus vives couplées à une batterie sauvage et à des hurlements oppressants. La voix brute donne une saveur apocalyptique au morceau tout comme sur Midt I Stormen qui pioche également dans des racines Old School plus énergiques, avant de s’apaiser pour devenir une triste berceuse qui accueille la voix féminine. Le duo se reformera peu avant la fin pour alimenter cet intense contraste, puis Kjære Barn renoue avec la lenteur écrasante et étouffante constellée de parties lead aériennes ainsi que de hurlements viscéraux. Le break enflammera la rythmique avant de rappeler la voix féminine pour un final apaisant avant que Løslatt ne mette la basse à l’honneur pour créer des riffs pesants inspirés directement des racines du Black Metal, en particulier lorsque les autres instruments et le chant se mêleront à la charge. Le titre ralentit à nouveau avant qu’Himmelen er Utilgjengelig, le dernier morceau, qui mêlera de manière extrêmement cohérente et entêtante les parties les plus douces aux influences Post-Metal et le Black Metal brut tout en plaçant quelques samples vocaux inquiétants avant que le son ne s’étouffe progressivement dans un râle final.

Le son de Bizarrekult est unique. Aussi dérangé que fascinant, Den Tapte Krigen est un album brut mais riche, travaillé mais viscéral, mais surtout intense et minimaliste. Il est la quintessence de ce mélange torturé, violent et entêtant.

90/100

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Quelques mots avec Roman, tête pensante de Bizarrekult.

Bonjour et tout d’abord, merci beaucoup de m’accorder de ton temps ! Peux-tu vous présenter, le groupe Bizarrekult et toi, sans utiliser les « étiquettes » musicales habituelles ?
Roman (chant/composition) : Salut, merci de l’intérêt que tu portes à Bizarrekult. Mon nom est Roman et j’ai commencé ce projet en 2005/6 afin de suivre mes propres idées. Il est resté en suspens pendant des années mais a finalement été ramené à la vie en 2019 avec l’aide de mon ami Ignat qui a été mon sparring partner intellectuel pendant quelques années en essayant de me motiver à enregistrer la musique que j’ai écrite en 2009/2010 quand je vivais à Bergen. Nous visions initialement un projet purement studio, mais je suis ensuite allé plus loin et j’ai rassemblé un line up live avec des collègues musiciens norvégiens, de sorte que Bizarrekult existe sous deux formes. Musicalement, j’ai des points de départ ici et là, mais en même temps, je reste très ouvert quant à la façon dont cela se passe au final et, bien sûr, limité à mes compétences (je ne suis pas un musicien en premier lieu, plutôt un artiste/compositeur/visionnaire amateur). On peut dire que la musique de Bizarrekult comporte des éléments groovy qui peuvent évoluer vers des thèmes plus mélodiques, durs, mais en même temps remplis de mélodies mélancoliques, tristes mais éclairantes.

Den Tapte Krigen, votre deuxième album, va bientôt sortir. Comment le ressentez-vous ? Avez-vous déjà des retours ?
Roman : C’est tentant et excitant. C’est un excellent instantané de là où j’étais musicalement et textuellement en 2020-21, puis il était essentiellement prêt dans sa forme actuelle en décembre 2021, donc il y a beaucoup d’attente ces jours-ci pour diverses raisons.  Mais jusqu’à présent, les retours sont excellents ! Tout d’abord, le producteur de son a adoré les nouveaux éléments et la façon dont le développement s’est déroulé depuis le premier album, puis l’équipe de Season of Mist a vraiment aimé ! Le single Kongen (“Roi”) est sorti en septembre avant la tournée et nous l’avons joué à chaque concert, il a obtenu beaucoup de réactions positives, tant au niveau de la musique que du thème des paroles. Les autres singles sont sortis il y a quelques semaines, accompagnés de vidéos musicales et ils ont également été très bien accueillis. Certaines personnes pourraient avoir des sentiments mitigés si elles n’aiment que les groupes qui sortent le même album d’une année sur l’autre, mais je pense que si vous suivez la progression du thème plus brut/saturé du début de Vi Overlevde vers un domaine plus lent et plus dramatique avec les titres Ensomhet et Siste Ord, vous pourrez naturellement suivre le développement et l’évolution de Den Tapte Krigen.       

Comment résumerais-tu Den Tapte Krigen en seulement trois mots ?
Roman : Romantique et mature. 

Comment as-tu abordé le processus de composition de cet album ? Qu’en est-il de la signification de son nom et de son artwork ?
Roman : C’est une question d’inspiration et de passion (et un peu de folie, je suppose). J’ai normalement différentes idées ici et là qui peuvent rester à l’état d’ébauche pendant un long moment. Je joue de la guitare au hasard et s’il y a quelque chose d’intéressant, j’essaie de m’en souvenir. Parfois, des mélodies peuvent me venir à l’esprit au hasard dans la rue/à l’extérieur, puis j’essaie de les chanter dans un enregistreur vocal sur le téléphone. Idem pour les mots qui peuvent être tapés en courant, dans le métro, dans la forêt. J’arrange tout sur l’ordinateur dans le logiciel Guitar Pro pour vérifier comment ça sonne avec la batterie et la basse et ensuite j’enregistre une démo avec les voix et tout. Ma femme est bien sûr la première personne à l’écouter, à m’aider si nécessaire, et parfois nous échangeons des idées. Elle fournit également des critiques audacieuses (parfois très dures) que je peux ou non accepter.  Certains changements sont introduits très tard, lors de l’enregistrement de la version finale, par exemple l’ajout de quelques lignes vocales ou de textes supplémentaires. Le nom Den Tapte Krigen signifie « la guerre perdue » et lorsque j’ai écrit les paroles, je pensais aux objectifs insignifiants et à la lutte que beaucoup de gens mènent dans la vie, lorsque vous mettez tous vos efforts dans quelque chose dont vous n’avez pas vraiment besoin, que vous ne voulez pas, lorsque vous vous perdez dans ce processus, y compris votre identité, votre famille, vos amis, que vous sacrifiez tout pour rien. Et à la fin, ce n’est que désespoir, perte, peur et vide, vous avez l’impression d’être enterré vivant ou de ne pas vraiment vivre, de n’exister que pour des objectifs qui ne sont peut-être même pas les vôtres ? Et il n’est pas possible de gagner cette lutte/guerre avec la réalité ou/et avec vous-même, c’est déjà une affaire perdue tant que vous poursuivez ces objectifs. J’ai écrit ce texte en courant sur les chemins et les routes pendant l’automne 2020, il y avait beaucoup de boue, de pluie et j’ai pensé aux gens qui étaient dans les tranchées, à la façon dont ils devaient être là, à poursuivre ces objectifs qui n’étaient pas les leurs, pour ensuite tout perdre et rentrer dans des maisons vides quand il n’y a plus personne pour les attendre. C’est ainsi qu’il est devenu un décor de « guerre ».  Maintenant, l’œuvre d’art y réfléchit également. Vous voyez différents insectes avec leurs « bagages », des châteaux de rêve, des châteaux brisés, des maisons en feu. Ces insectes se battent, parfois avec eux-mêmes, parfois avec d’autres, pour finalement perdre leur bataille. On peut dire que c’est un peu lié à l’imagerie post-moderniste comme La Vie des insectes de Viktor Pelevine.

Qu’est-ce qui vous inspire pour créer votre musique ? Même question pour les paroles. Ressentez-vous des changements par rapport aux premières sorties du groupe ?
Roman : La vie autour, les expériences, les stimuli du passé, les réflexions sur les souvenirs d’enfance, les conflits culturels, la littérature, la nature. Le principal changement est que pour Den Tapte Krigen, j’avais une vision beaucoup plus claire de ce que je voulais faire musicalement et textuellement, c’est pourquoi pour moi l’album semble beaucoup plus mature. Et comme nous vivons, nous changeons (en bien et en mal) et je peux déjà voir que le 3ème album sera aussi légèrement différent.

As-tu une chanson « préférée » sur cet album ? Ou peut-être la plus naturelle que vous ayez écrite ?
Roman : Très difficile de choisir, c’est comme avec les enfants, on les aime tous, peu importe ce qu’ils deviennent. Si je devais en choisir une en ce moment… que ce soit Kjære barn (« Cher enfant »). 

Ta musique est un mélange de sons bruts et d’éléments planants, comment parviens-tu à garder l’équilibre entre tous les éléments dont tu t’inspires ?
Roman : Je ne sais pas. Tout est une question d’intuition. C’est comme ça que ça se passe.    

Comment décidez-vous d’inclure la voix enchanteresse de Dina ?
Roman : Au départ, je n’y ai pas pensé, mais lorsque nous enregistrions Vi Overlevde, elle a fait une suggestion pour un titre, For 1000 År Siden, et j’ai aimé la façon dont elle s’intégrait à la musique, puis j’ai proposé d’ajouter sa voix dans un autre titre, I Trygge Hender, qui passe du Black Metal pur et dur au final jazzy, ou comme l’a écrit l’un des critiques « sortir un lapin du chapeau d’un illusionniste ».  Ensuite, lorsque j’ai écrit Den Tapte Krigen, j’avais en tête une vision claire d’avoir des voix claires ici et là, dès le début, et j’ai écrit la plupart des mélodies vocales pour elle aussi dans ce cas. Je pense que cela semble très organique et naturel dans ces morceaux (Du Lovet Meg, Midt i Stormen, Kjære Barn). En live, ces voix sont interprétées par Fredrik, qui a une expérience de l’opéra, et ça sonne très bien. J’aimerais pouvoir chanter comme ça aussi, mais c’est au-delà de mes compétences et de mon talent.

Avez-vous des projets pour l’avenir du groupe ?
Roman : Oh oui, l’enregistrement du 3ème album est déjà en cours, nous avons les guitares et la basse, ainsi que quelques voix. Et bien sûr, j’espère que nous ferons activement des concerts, quelques dates sont déjà prévues, et d’autres sont à venir, c’est sûr ! 

Tu es le cerveau du groupe et tu crées tout par toi-même, mais y a-t-il des musiciens ou des groupes avec lesquels tu aimerais collaborer ? Que ce soit pour une chanson, un album…
Roman : Il est vrai que je suis le cerveau, mais sans la contribution individuelle de mes musiciens de studio (Ignat à la guitare/basse, Alexander à la batterie, Dina au chant), ce ne serait pas possible. Leur participation est essentielle et sans eux (surtout Ignat), je n’aurais pas eu ces deux albums. Sans compter que sans Dina, je ne ferais en principe aucune musique dans ma vie. Maintenant, en ce qui concerne les collaborations, j’ai récemment enregistré des voix pour un titre sur le nouvel album de Myrvandrer (Atmospheric/Blackgaze Norvégien) et je souhaite inviter un ou deux chanteurs sur le troisième album mais je ne peux pas encore révéler de noms, désolé.  

Je n’ai pas eu la chance de vous voir sur scène pour le moment, mais que peut-il se passer lors d’un concert de Bizarrekult ? Comment vous sentez-vous avant et quand vous jouez en live ?
Roman : C’est dommage ! Les concerts à Lille et Strasbourg étaient incroyables, surtout à Lille ! Ce qui se passe, c’est que d’une personne plutôt timide dans la vie de tous les jours, je passe en « mode bête » et je deviens très émotionnel et explosif afin de communiquer les paroles et le son sur scène.  Cela demande beaucoup d’énergie, mais l’interaction avec les gens est gratifiante. La tournée avec Regarde les Hommes Tomber et Der Weg einer Freihet à l’automne 2022 a été incroyable à tous points de vue, permettant de découvrir de nouveaux endroits et de nouveaux fans.

Dernière question : Avec quels groupes aimerais-tu faire une tournée ? Je te laisse créer une tournée (ou juste un seul spectacle) avec Bizarrekvlt et trois autres groupes !
Roman : Disons Gaerea, Kampfar (ou 1349 ?), et puis peut-être Cradle of Filth ? (ou My Dying Bride ?)

C’était ma dernière question, merci à nouveau de m’avoir accordé de ton temps et pour ta musique, je te laisse les mots de la fin !
Roman : Merci pour cette interview ! Et merci à tous ceux qui soutiennent et suivent Bizarrekult dans le monde entier – cela signifie beaucoup !

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