Review 1765 : Arkona – Kob’

Day 2 - 7 - Arkona

Arkona est de retour.

Créé en Russie en 2002, le groupe mené par Masha « Scream » (chant/instruments folkloriques, Nargathrond) et complété actuellement par Ruslan « Kniaz » (basse, Rossomahaar, Nargathrond), Sergey Lazar (guitare, Rossomahaar, Nargathrond), Vladimir « Volk » (instruments folkloriques, Rossomahaar) et Alexander Smirnov (batterie, Chatalhüyük, Rossomahaar, ex-Kartikeya) annonce la sortie de Kob’, son dixième album, chez Napalm Records.

La batterie a été enregistrée par le batteur français Kévin Paradis (Benighted, Aronious, Mithridatic, Death Lab, ex-Agressor, ex-Svart Crown, ex-DeadlySins…).

Le groupe nous enveloppe immédiatement dans des sonorités inquiétantes avec Izrechenie. Nachalo, une longue et sombre introduction qui laisse quelques voix nous mener à Kob’, une première composition martiale, mais parfois adoucie par quelques instruments folkloriques. Les hurlements rocailleux prennent de l’ampleur dans cette rythmique massive et entêtante qui écrase tout sur son passage avant de s’arrêter pour laisser un break planant l’apaiser, avant de renouer avec la dissonance du Black Metal tout en conservant ses influences Folk mystérieuses. L’agressivité brute cessera juste avant que Ydi ne nous envoûte avec sa mélodie apaisante pour mieux revenir accompagnée des hurlements viscéraux, mais le groupe réussit tout de même à entretenir un contraste avec ses éléments les plus aériens. A nouveau, quelques choeurs viennent apporter la touche ritualistique au son juste après un solo épique, et on notera que rien n’arrête la course folle jusqu’à Ugasaya et son introduction angoissante. Les murmures et le sample vocal développent lentement un sentiment d’insécurité suivi par une mélodie beaucoup plus joyeuse à la basse accompagnée par des claviers qui préparent le terrain pour un chant clair entêtant. La saturation refera bien évidemment son retour avec des tonalités Black Metal Atmosphérique aériennes, qui seront confirmées sur le reste du titre tout en adoptant les patterns Folk guerriers avant un final majestueux. Mor reprend les mêmes éléments que le début du titre précédent, mais le son mélancolique vient rapidement effacer l’angoisse avant d’accueillir les grognements de la vocaliste, puis le voile de saturation viendra renforcer l’approche mélodieuse du groupe. Le contraste intense finira par laisser les éléments agressifs prendre peu à peu le dessus en adoptant les sonorités entêtantes pour les transformer en noirceur majestueuse auxquelles les cris se joignent naturellement, avant de laisser Na zakate bagrovogo solntsa nous dévoiler un son fascinant qui oscille entre toutes les facettes de ce large spectre musical. Bien que gouvernée par la dissonance et l’agressivité, la déferlante conserve quelques éléments plus surprenants comme les touches mélodieuses ou les choeurs qui accompagnent les changements de rythme, mais aussi les touches de mélancolie saisissantes que le groupe apporte avant de laisser place à Razryvaya plot’ ot bezyskhodnosti bytiya et à son introduction étrange. Partagée entre l’inquiétude et les tonalités entraînantes, elle donnera naissance à une rythmique plus énergique qui laissera les racines enjouées s’exprimer entre deux vagues de noirceur intense, juste avant que l’album ne se referme lentement avec Izrechenie. Iskhod, une outro inquiétante dont les sonorités rappellent évidemment l’introduction.

L’univers d’Arkona a toujours été très riche, partagé entre ses nombreuses racines, et il atteint aujourd’hui son paroxysme avec Kob’, un long album capable de vous enchanter avec des tonalités ritualistiques, puis de vous effrayer avec des hurlements massifs et une rythmique imposante. Un véritable coup de maître.

90/100

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Quelques questions à Masha « Scream », chanteuse et membre fondateur du groupe Arkona.

Bonjour et tout d’abord, merci beaucoup de m’accorder de ton temps ! Pourrais-tu présenter le groupe Arkona sans utiliser les étiquettes « Pagan Metal » habituelles ?
Masha « Scream » (chant/instruments folkloriques) : L’étiquette « Pagan Metal » peut être appliquée exclusivement à la composante idéologique du groupe, musicalement nous n’avons jamais été liés à un sous-genre particulier, nos dernières créations se tiennent dans une ambiance plus sombre et plus atmosphérique, probablement plus proche du Black Metal ; alors que nos premiers travaux contenaient beaucoup d’influence de la musique Folk, mais même dans ce matériel on peut trouver des échos de toutes les directions de la musique lourde. Du fait que nous sommes ethniquement slaves et que nous interprétons des chansons dans notre langue maternelle, nous nous présentons comme du « Slavic Metal ».

Comment associez-vous le nom Arkona à la musique que vous jouez ?
Masha : Il n’est en aucun cas lié à la musique que nous jouons. La ville d’Arkona était un lieu sacré où se trouvait le principal et dernier temple païen, détruit par les chrétiens danois en 1166.

Kob’, votre dixième album, sortira bientôt. Avez-vous déjà déjà des retours ?
Masha : Petite correction : Kob’ est notre neuvième album (je me suis concentré sur le classement d’Enclopaedia Metallum, mes excuses ! ndlr). L’album n’est pas encore sorti, donc nous n’avons pas encore reçu de commentaires. Pendant que nous travaillions sur cet album, j’ai déjà ressenti tous les sentiments et toutes les émotions liés à cette création. Comme je suis la seule auteure-compositrice d’Arkona, je vois toujours l’image finale dans ma tête depuis le tout début, en considérant soigneusement tous les petits détails avant d’avoir le résultat final entre les mains. Bien sûr, à mon avis, cet album est notre création la plus sombre de toute notre discographie, parce que j’ai essayé d’apporter l’atmosphère la plus apocalyptique à tous les détails qui sont inextricablement liés les uns aux autres sur cet album, de la musique au concept de l’artwork. Jusqu’à présent, j’ai été hantée par des sentiments vagues et un peu lugubres d’une certaine complétude, d’une certaine compréhension qu’une autre étape de quelque chose de très long et d’important est arrivée à son terme et ce sentiment crée une sorte de disharmonie interne, le sentiment que nous avons passé un accord très complexe avec nous-mêmes, étant arrivés au point final de l’achèvement de ce que nous avons fait pendant si longtemps.

Comment résumerais-tu Kob’ en trois mots ?
Masha : Je pense qu’un seul mot suffirait : Catabase.

Comment s’est déroulé le processus de composition de Kob’ ? As-tu remarqué des changements par rapport aux par rapport aux albums précédents ?
Masha : Je ne peux pas dire que ce processus a été douloureux, car si je n’ai pas envie d’écrire quelque chose, je ne le fais tout simplement pas. J’ai besoin d’un élément déclencheur qui me plonge dans un état d’esprit où j’ai simplement besoin d’exprimer mes émotions dans mon travail ; s’il n’y a pas d’élément déclencheur, le groupe peut attendre de nouvelles chansons de ma part pendant des années. Et certainement, ces chansons diffèrent de celles que j’ai écrites précédemment autant que je diffère de moi-même à l’époque et aujourd’hui ; et puisqu’elles sont un miroir de mon état mental et spirituel, vous pouvez observer à partir d’elles ce qui m’est arrivé à un moment ou à un autre.

Quelles étaient les lignes directrices pour l’artwork, et comment s’accordent-elles avec la musique que tu as créée ?
Masha : L’illustration, la conception et la mise en page de l’album, de A à Z, ont été confiées aux mêmes personnes que celles avec lesquelles nous avions déjà travaillé pour l’illustration de notre album Khram. Il s’agit d’un duo mystérieux portant le nom déjà mondialement connu de Rotten Fantom. Cette fois-ci, notre collaboration a été plus complète et plus minutieuse, nous avons travaillé ensemble sur chaque détail de la conception du contenu du livret, bien que les gars aient dessiné la couverture eux-mêmes, en se basant sur leurs propres idées au cours du processus de connaissance de la musique et des paroles de l’album. L’image même de la pochette de l’album a plusieurs niveaux, plusieurs interprétations, pour ainsi dire. Puisque l’album est également très multi-niveaux et dédié au sombre chemin de l’humanité, le premier et principal niveau de la pochette montre une image abstraite d’une femme de différents âges, dont les différents visages représentent le chemin entier du développement humain, de la naissance à la mort, montrant l’humanité elle-même sous différents angles de son existence et corrélant ces visages avec chacune de ses étapes.
Voici ce que les artistes eux-mêmes ont à dire à ce sujet : « En fait, il s’agit de l’ensemble du processus de sorcellerie, qui s’effectue par le biais d’un sort (Kob’). Nous ne voulions pas le présenter avec des images éculées – comme, par exemple, une sorcière avec un chaudron d’herbes et des grenouilles, mais nous avions l’intention de donner une image plus complexe et allégorique avec de nombreuses couches de significations. Toutes ces images sont censées représenter l’arbre de vie et, d’une certaine manière, elles représentent toutes une sorte d’incarnation de la même personne, l’image aux multiples facettes de la vieille sorcière (elle est au centre). Cette sorcière fait de la prestidigitation et le processus lui-même est un voyage et une métamorphose d’une entité à une autre. Il y a la douleur et la souffrance, le dépérissement, l’autorité et la maternité, l’accouchement. En fait, c’est comme une nation entière avec son histoire et ses vies, et en même temps c’est une seule personne. Le serpent est un symbole de sorcellerie et de sagesse, et il semble être tissé dans un cycle (Ouroboros).

Où trouves-tu l’inspiration pour créer de la musique ?
Masha : Tout m’inspire. Cela peut être n’importe quoi : la philosophie, la cosmogonie, l’humanité et l’observation de l’humanité, ou l’énergie supérieure, comme quelque chose d’immatériel, mais juste une perfection. J’essaie de voir les choses sous les différents angles que la conscience humaine peut me permettre, en termes de sentiments, d’émotions, de visions physiques ou abstraites… Mes intérêts sont très variés. Je pense toujours trop, et parfois mes pensées sont si ennuyeuses que je veux m’en débarrasser, mais elles continuent néanmoins à me hanter chaque jour, chaque minute et chaque heure, et en conséquence, tout cela se transforme en toiles créatives diverses à plusieurs niveaux, que tout le monde n’est pas en mesure de comprendre, de saisir et d’accepter. J’ai beaucoup aimé ce qu’un célèbre cinéaste soviétique, Konstantin Lopushansky, a dit dans l’une de ses interviews : « Toutes les créations artistiques sont des moulages de l’âme ». En fait, il s’agit du reflet de la personnalité dans tout ce qu’elle voit et ressent. Je pense que seules les personnes qui sont spirituellement, au niveau intérieur, très proches de moi et de ma vision du monde, sont pleinement capables de comprendre mon travail. Bien que je voie très peu de personnes de ce type autour de moi, cela ne m’empêche pas de continuer à créer.

Toutes tes compositions sont le résultat d’une fusion naturelle de plusieurs influences, comme des éléments folkloriques et des riffs de Black Metal plus bruts, Comment parviens-tu à maintenir l’équilibre entre toutes ces influences ?
Masha : Je ne réfléchis jamais au style qui conviendrait à mes œuvres ou à leurs différentes parties. J’écris ce qui me vient spontanément, c’est ainsi que l’énergie supérieure vous traverse, et c’est ainsi qu’elle vous dicte ses propres règles. Vous vous y soumettez complètement et créez uniquement ce que vous ressentez au plus profond de vous-même, sans vous accrocher à des étiquettes et sans réfléchir à l’avance à la manière dont les différentes parties doivent être combinées les unes avec les autres. C’est ainsi que je l’ai vu, peut-être grâce à une sorte de schéma astucieux qui prévalait dans ma tête à ce moment-là.

J’ai également remarqué une grande diversité dans les parties vocales. Comment choisis-tu le ton ou la technique à utiliser ?
Masha : Toutes mes lignes vocales soulignent la couleur émotionnelle de telle ou telle partie de la chanson, sur la base d’un schéma musical et lyrique bien pensé. J’essaie d’exprimer certaines émotions avec les différentes possibilités de ma voix. Et comme il peut y avoir beaucoup d’émotions dans une chanson, il y a beaucoup de techniques vocales correspondantes, chacune d’entre elles mettant l’accent sur une certaine émotion.

Est-ce que tu as une chanson préférée sur cet album ? Ou peut-être la plus difficile à réaliser pour l’album ?
Masha : Je n’ai pas de chanson préférée. Pour moi, elles sont comme mes enfants. Je les aime toutes.  Lorsque j’écris, je mets la même quantité d’âme et de force dans chacune d’entre elles, pour moi elles sont toutes égales.

Penses-tu que tu continues à t’améliorer en tant que musicien et auteure-compositeuse ?
Masha : Toute personne s’améliore et se perfectionne tout au long de sa vie, quel que soit le domaine dans lequel elle évolue ou ses centres d’intérêt. De la même manière que notre créativité et nos performances s’améliorent, notre vision de la vie évolue également en fonction des émotions ou des situations vécues. Ainsi, l’expérience et la pratique constante me permettent d’améliorer mes qualités professionnelles tant en tant que créateur qu’en tant qu’interprète.

Je sais que le Covid a tout foutu en l’air en 2020 et 2021, mais a-t-il joué un rôle dans la création de Kob’ ?
Masha : Il va sans dire que cette période a joué un rôle important et a marqué la 4e étape de l’immersion de l’humanité dans les abysses à travers la chanson Mor de cet album. Dans un contexte caché, c’est l’époque de l’apparition du Covid sur la planète et c’est directement lié à cette chanson.

Parmi les derniers concerts que vous avez donnés en France, il y a eu le Hellfest en 2018, puis en ouverture de Delain en 2019. Aimez-vous jouer en France ? Quels souvenirs gardez-vous du public français ?
Masha : En ce qui concerne les concerts, la France est sans aucun doute l’un de nos pays préférés pour jouer en live. Nous rencontrons toujours le soutien ardent et fougueux de notre légion d’admirateurs français, les souvenirs ne sont jamais que positifs et nous sommes impatients de revenir dans votre pays encore et encore.

Y a-t-il des musiciens ou des artistes avec lesquels tu aimerais collaborer ? Que ce soit pour une chanson, ou peut-être plus.
Masha : En tant que groupe, Arkona est autosuffisant et n’a pas besoin de coopérer avec qui que ce soit, d’autant plus que je n’ai pas et je n’ai jamais eu d’autorités musicales avec lesquelles je souhaiterais collaborer. Cette fois-ci, notre bon ami A.Thanatos (du groupe Thanatomass) a joué le solo de guitare sur la chanson Ydi. En fait, c’était exactement mon dernier désir ou ma dernière vision, si je puis dire, d’une collaboration avec une personne dont je respecte le travail.

Si tu devais organiser un concert pour la sortie de Kob’, avec quels groupes aimerais-tu jouer ? Je te laisse créer une affiche avec Arkona en tête d’affiche et trois autres groupes !
Masha : Dans notre pays, nous organisons toujours des concerts de sortie d’album, et il s’agit d’énormes concerts de trois heures, sans aucun groupe en soutien. Les groupes de soutien dépendent tout d’abord des concerts organisés dans le cadre de diverses tournées. Par exemple, nous partons bientôt en tournée européenne avec le groupe Batushka, où nous présenterons également notre nouvel album Kob’, mais chez nous, avant cette tournée, nous ferons un grand concert de 3 heures pour présenter l’album, où seul Arkona jouera. En un mot, si nous parlons d’un seul concert, nous préférons nous passer de groupes de soutien et nous limiter exclusivement à des performances en solo.

Dernière question fun : à quel plat comparerais-tu la musique d’Arkona ?
Masha : Ce serait sans aucun doute de la viande, mais pour « saignant » ou « saignant bleu », nous ne sommes pas assez crus, il faudrait plutôt dire « à point », car le sang dans notre travail ne coule pas comme une rivière, mais il est tout de même bien présent. 

C’était ma dernière question, alors merci beaucoup de m’avoir accordé de ton temps et pour votre musique, je te laisse les mots de la fin !
Masha : Merci ! J’espère vous voir bientôt !

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