Review 2051 : A/Oratos – Ecclesia Gnostica

A/Oratos dévoile son premier album.

Créé par Wilhelm (guitare) en Île-de-France, le projet dévoile son premier EP en 2019, suivi d’une période de silence. Désormais accompagné par Aharon (chant, Griffon, ex-Geisterfels), Léo (basse, Griffon, ex-Promethean) et Kampen (batterie, Catubodua), le groupe signe chez Les Acteurs de l’Ombre Productions pour la sortie d’Ecclesia Gnostica.

Le Hiérophante nous ouvre les portes d’un univers mystique et travaillé, peuplé à la fois d’harmoniques entêtantes que d’un chant en français massif. La base rythmique reste très brute, autorisant autant la sauvagerie que les sonorités lancinantes et les parties vocales diversifiées à intervenir dans le vaste océan de noirceur et de dissonance mélodieuse, qui se coupera net pour laisser Daath prendre sa place. Le titre semble plus virulent que le précédent, mais il conserve ses éléments planants, notamment lors des passages plus lents et aériens comme le break central où la voix claire apparaît brièvement avant d’être à nouveau ensevelie sous les cris qui nous mènent à Deuteros, un titre extrêmement contrasté. La guitare nous dévoile d’abord une quiétude apaisante qui ne disparaît jamais totalement, même lorsque les éléments les plus sombres la recouvrent ou que le chant torturé l’accompagne jusqu’au final inquiétant, suivi par la majestueuse Disciplina Arcani. On remarque une attention particulière portée aux harmoniques, qui créent parfois une ambiance presque joyeuse, voire même dansante dans ce nuage brumeux avant de se charger à nouveau de rage pour nous conduire à Ô Roi des Eons, une composition qui débute relativement calmement, mais qui ne demande qu’à exploser. La batterie lui fournira cette opportunité tout en replongeant par moments dans la lenteur en compagnie de cette voix parlée avant qu’elle ne sombre à nouveau vers le final mystérieux puis vers De la Gnose Eternelle. Le titre est de loin le plus court de l’album, et il ne perd pas un seul instant pour déverser ses mélodies à vive allure, laissant tout de même la partie centrale ralentir la marche mais ne la rendant pas moins intense, et c’est dans la lenteur que nous rejoignons Le Septième Sceau, dernière composition qui ajoute des orchestrations mystérieuses à son mélange complexe et fascinant de noirceur et de leads voletants entre les parties vocales avant de se refermer pour de bon.

La première sortie d’A/Oratos avait déjà attiré mon attention de par ses sonorités uniques et intrigantes. Avec Ecclesia Gnostica, le groupe solidifie sa réputation montante, créant un univers aussi riche que mystérieux, ancré dans un Black Metal à la française mais qui s’autorise également d’autres influences.

95/100

English version?

Quelques questions à Wilhelm, guitariste fondateur du groupe de Black Metal français A/Oratos.

Bonjour et tout d’abord, merci de m’accorder de ton temps ! Comment pourrais-tu présenter le groupe A/Oratos sans utiliser les habituelles étiquettes des styles musicaux ?
Wilhelm (guitare): Bonjour, un plaisir, merci pour ton interview. Je suis Wilhelm, guitariste et fondateur d’A/Oratos. Je nous définirais comme un groupe de Black Metal conceptuel autour de thématiques liées à la métaphysique et à l’ésotérisme. Nous cherchons à traduire en musique la ferveur que nous avons dans ce qui peut dépasser notre matérialité et notre condition humaine. Nous développons pour cela une musique intense, mélodique, et empreinte de mysticisme. 

Ecclesia Gnostica, votre premier album, est sur le point de sortir, comment te sens-tu ? Est-ce que tu as déjà eu des retours à son sujet ?
Wilhelm: Mon premier sentiment est celui du soulagement de voir enfin sortir cette œuvre sur laquelle j’ai travaillé passionnément pendant 5 ans. J’ai donc une sensation d’aboutissement, eu égard à tout le travail de l’ombre et solitaire fourni ces dernières années sur la production de cet album. Les premiers retours que j’ai sont excellents. Notre album n’est pas encore sorti à l’heure où j’écris ces lignes, mais nous avons déjà eu plusieurs chroniques très élogieuses. Je suis donc heureux de voir que notre démarche artistique qui sort des sentiers battus semble trouver un écho et interpeller les gens. Cela est de bon augure pour la suite, et j’espère que cela va continuer.

Comment résumerais-tu Ecclesia Gnostica en trois mots ?
Wilhelm: Je dirais intense, profond et mystique.

Ecclesia Gnostica sort cinq ans après le premier EP, Epignosis, comment s’est passé sa composition ? Est-ce que tu as remarqué des changements, ou des évolutions dans ton processus de création ?
Wilhelm: J’ai débuté l’écriture de l’album début 2019 un peu avant la sortie de notre premier EP Epignosis. Le processus d’écriture a donc été long. S’agissant d’un projet qui suit ma vision musicale, j’ai écrit seul la musique de l’album et une partie des paroles. Tout au long de l’écriture, j’avais une forte ambition pour cet album, avec l’envie de réaliser une œuvre originale et puissante. Je n’ai donc rien laissé au hasard, que ce soit dans la composition avec l’écriture de jeux complexes sur les guitares, les structures et les variations progressives des morceaux, les arrangements, et bien sûr les thématiques abordées. J’ai réalisé avec mon chanteur un travail de fond pour écrire les paroles en nous intéressant entre autres au Codice de Nag Hammadi, un corpus extraordinaire de textes gnostiques du IVème siècle après J-C, la Gnose étant un concept qui sous tend cet album. Nous abordons également d’autres traditions initiatiques et ésotériques comme l’Hermétisme et la Kabbale. Je suis donc allé beaucoup plus loin avec cet album que sur notre EP, tant sur le fond que sur la forme.

Comment relies-tu le nom A/Oratos à ta musique ?
Wilhelm: Comme nous aimons les concepts, les mystères et les symboles, j’ai choisi à l’époque un nom qui pourrait refléter la dimension métaphysique de notre musique. AORATOS est un mot grec qui veut dire invisible. Littéralement, on pourrait traduire A/Oratos par In/Visible. Ainsi, le slash entre le A et O sert à appuyer le concept de notre musique autour des mondes visible et invisible. Il y’a bien sûr aussi une référence à l’Alpha et l’Omega, mais de façon plus secondaire.

J’ai remarqué sur cet album que les guitares étaient beaucoup plus libres que sur l’EP, que ce soit au niveau de la dissonance contrôlée ou de la rythmique brute. Comment conçois-tu l’évolution entre l’EP et l’album ?
Wilhelm: Je ne suis pas sûr de ce que tu entends précisément par “libres” mais ce qui est sûr, c’est que je ne me suis pas mis de barrières dans mon processus créatif. Et que cet album reflète particulièrement mon jeu à la guitare. J’ai effectivement joué avec les dissonances, notamment sur le morceau d’ouverture Le Hiérophante, dans le but de créer une forme de tension et d’entrée en matière qui aide à se plonger dans l’atmosphère mystique, spirituelle de cet album. Je me suis également essayé à l’écriture de lignes de guitares véloces et mélodiques, se répondant entre elles, proches du contrepoint. De manière générale, tout sur l’album est plus fouillé, et travaillé que notre EP.

J’ai également remarqué une grande attention portée aux paroles, comment ont-elles été créées et comment se sont-elles adaptées à l’instrumentale ?
Wilhelm: Effectivement, nous avons essayé de lier au mieux le fond et la forme, la musique et les paroles, les thématiques et nos visuels. S’agissant des paroles, elles sont en grande partie inspirées comme je disais de la Bibliothèque de Nag Hammadi, un corpus de textes Gnostiques du IVeme siècle dont de nombreux extraits sont restés intacts jusqu’à nous. Nous abordons également une autre tradition ésotérique, la Kabbale, sur Daath tout particulièrement. L’Hermétisme est évoqué sur Le Hiérophante, le morceau d’ouverture, ainsi que sur Deuteros qui est basé sur les Institutions Divines de Lactance où l’on retrouve des emprunts à la fois à l’hermétisme mais aussi à la Gnose. Le septième sceau, dernier morceau de l’album placé symboliquement en 7ème position, aborde l’apocalypse de Saint Jean, finalement la seule thématique relativement courante dans l’univers du Metal. Ce morceau a été choisi en final de l’album pour appuyer le rejet final du monde terrestre, sa destruction complète prochaine, au profit d’un nouvel âge qui sera cette fois spirituel et non matériel, tradition eschatologique que l’on retrouve dans de très nombreuses religions à travers le monde.

Je sais que c’est une question difficile, mais est-ce que tu as un morceau préféré sur cet album ? Ou celui qui t’a semblé le plus naturel à composer ?
Wilhelm: Je n’ai sincèrement pas de morceau préféré, mais si je devais choisir un titre pour son originalité, je choisirais probablement O Roi des Éons. Ce morceau a une profondeur et une dimension spirituelle particulière. Il s’agit d’une prière gnostique directement inspirée d’une prière originelle du codice de Nag Hammadi, sur laquelle j’ai fait quelques adaptations et ajouts personnels. Il s’agit d’ailleurs du seul morceau où l’on peut entendre ma voix sur un court passage vers la fin du morceau. J’ai fait appel à l’auteur conteur Quentin Foureau qui a magistralement interprété avec sa voix unique la ferveur de cette sublime prière. Je suis particulièrement attaché à ce titre qui est pour moi un manifeste de notre musique.

L’artwork est une création de Vincent Fouquet (Above Chaos), quelles ont été tes exigences pour Ecclesia Gnostica ?
Wilhelm: Je travaille avec Vincent depuis notre premier EP pour lequel il avait déjà réalisé la pochette. Comme nous sommes relativement proches, que je suis son travail depuis longtemps et qu’il s’intéresse également à notre projet depuis notre EP, il connaissait bien notre démarche artistique. Le brief a donc était simple, je lui ai résumé les thématiques de l’album et tous nos concepts ésotériques abordés au sein des morceaux, quelques idées que j’avais au niveau visuel et il a ensuite travaillé de son côté en ermite jusqu’à nous dévoiler l’artwork final. C’est donc une œuvre pensée et réfléchie par Vincent, à partir de notre univers thématique et de notre musique, comme il aime faire habituellement dans son processus de travail. Je n’avais aucun doute sur le résultat final, Above Chaos étant pour moi un des meilleurs studio graphique de la scène, au niveau national et international. Mais le résultat a dépassé mes attentes, avec cette pochette époustouflante. Il a su saisir l’essence de notre album, la profondeur mystique et la certaine flamboyance de notre musique tout en plaçant les symboles qui résument les concepts importants abordés dans les différents morceaux.

Ecclesia Gnostica sort sur le label Les Acteurs De L’Ombre, comment se passe la collaboration avec le label ? Est-ce que le fait de sortir l’album directement avec eux a changé quelque chose à ton approche de la musique ?
Wilhelm: La collaboration se passe bien, les relations sont fluides et les membres du label sont dévoués. Il y règne également un esprit amical. Mon approche de la musique n’a pas changé, étant donné que je n’ai bien évidemment pas attendu la signature avec le label pour écrire l’album, mais bien l’inverse. J’avais donc l’intention au début de l’écriture de l’album de signer avec un label qui soit cohérent avec notre démarche artistique.

Comment as-tu découvert le Metal Extrême, et plus particulièrement la scène Black Metal ? Quels sont selon toi les groupes immanquables de la scène ?
Wilhelm: J’ai découvert le Metal extrême avec les premiers albums d’Opeth, notamment Orchid et surtout Morningrise qui m’ont par la suite orienté vers les classiques du Black Suédois comme Dissection bien sûr puis d’autres classiques comme Marduk, Dark Funeral, Naglfar, Vinterland, Sacramentum, Mork Gryning, Dawn avant de m’intéresser au Black Norvégien puis à la scène française, avec toute sa diversité et sa richesse. Certains des groupes qui m’ont le plus marqués, et que je trouve personnellement incontournable sont Emperor, Dissection, Opeth, Windir, Absu, Arcturus, et Rotting Christ.

Le groupe était à la base ton projet solo, mais tu as depuis recruté des musiciens. Comment les as-tu choisis ? Comment avez-vous construit votre identité visuelle ?
Wilhelm: A/Oratos a démarré sous forme de projet solo mais avec toujours l’ambition de recruter des musiciens avec lesquels je pourrais construire une vraie identité de groupe. J’ai d’abord rencontré mon chanteur Aharon en 2016 avec qui j’ai démarré le projet à partir des premières maquettes que j’avais écrites à l’époque. Nous avons ensuite recruté d’autres musiciens pour pouvoir enregistrer notre EP et réaliser notre premier concert à l’évènement Et Il n’y Aura Plus de Nuit en 2019. Le Covid est ensuite passé par là quelques mois plus tard, mettant un coup d’arrêt brutal à nos projets et à notre dynamique de faire de la scène. Comme j’avais déjà commencé à cette époque l’écriture de l’album, j’ai changé en quelque sorte mon fusil d’épaule pour profiter de cette période de temps suspendu où tout était à l’arrêt pour me plonger entièrement et presque éperdument dans l’écriture de l’album. J’ai resserré le projet autour de mon chanteur et moi, en devant me séparer des autres musiciens pour des raisons diverses et variées. C’est finalement en 2022, après avoir fini le travail d’écriture et l’enregistrement des guitares d’Ecclesia Gnostica que j’ai recruté par l’intermédiaire de notre chanteur notre nouveau bassiste, Léo Dieleman et notre nouveau batteur Kampen Turbokot. Quant à notre nouveau guitariste, que nous avons recruté récemment, il sera annoncé officiellement prochainement.

As-tu des plans pour la suite d’A/Oratos ? Penses-tu mener le groupe sur scène ?
Wilhelm: Notre prochaine étape est de faire de la scène pour accompagner la sortie d’Ecclesia Gnostica. Nous avons donc une ambition live et nous commençons à nous y préparer.

Comment visualises-tu un passage au live ? As-tu déjà des plans concrets à ce sujet pour 2024 ?
Wilhelm: Je ne peux rien dire pour l’instant mais nous donnons RDV j’espère prochainement pour répandre notre feu gnostique.

Penses-tu t’être amélioré en tant que musicien avec cet album ?
Wilhelm: Oui de façon certaine. Cet album n’ayant pas été de tout repos à écrire et à enregistrer, j’en tire forcément des fruits que je pense intéressants pour la suite. J’ai progressé à plusieurs niveaux, à la fois dans la pratique de mon instrument, mais aussi en tant que compositeur. 

C’était ma dernière question, je te remercie pour ta disponibilité, et je te laisse les mots de la fin !
Wilhelm: Merci à toi pour cette interview ! J’espère que ces quelques mots sur notre musique et notre approche vont inspirer certains de tes lecteurs.

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