Review 2090 : Salò – L’Appel du Néant

La haine de Salò ne s’est pas tarie.

Suite directe de son premier album qui date de 2021, le groupe normand composé d’HCT (basse/chant), AVS (guitare) et DLE (samples/claviers), aidés par Thomas Njord (batterie, Venefixion, Ende), s’apprête à nous vomir L’Appel du Néant, son deuxième album, chez Source Atone Records.

Le groupe débute Un Homme ça ne s’empêche, son premier titre, par une série de samples relativement dérangeants, qui rejoignent riffs efficaces, effets étranges et cris rauques, créant une véritable apocalypse musicale. Le rythme est régulièrement troublé par des éruptions de fureur avant une “quiétude finale” qui nous mène à Le Goût du Sang, morceau suivant, et son approche d’abord très brute, puis finalement assombrie par les diverses additions sonores froides et entêtantes. Le son devient également plus pesant sur la fin, puis J’Affronte la Mort prend la suite en accueillant Diego Janson de Karras pour renforcer l’assaut vocal haineux, pendant que la rythmique nous piétine avec dégoût. Le groupe enchaîne avec Est-ce là mon Avenir, qui alterne phases de blast frénétique avec des passages beaucoup plus lents mais tout aussi oppressants pendant que le vocaliste se déchaîne, puis les claviers lumineux font leur apparition avant que la rage ne s’embrase littéralement sur Il Faut qu’ils Crèvent, le morceau suivant. Les racines Crust sont exploitées à leur maximum sur cette courte composition, puis c’est avec une approche plus aérienne que les musiciens attaquent Liberté Surannée, avant de repartir dans la violence, seulement apaisée par moments par la voix samplée. Le groupe collabore avec le groupe breton Mütterlein pour exploiter ses influences Industrial imposantes et aériennes sur la lancinante et viscérale Et Pourtant J’Essaie, mais également la plus sauvage et très contrastée La Cendre et le Sang, qui couple la base furieuse avec les touches dissonantes et intimidantes.

La violence de Salò n’a d’égal que les sujets que le groupe aborde. L’Appel du Néant va choquer, mais il dénonce également à travers ses sonorités haineuses et dévastatrices, recréant habilement le chaos qu’il évoque.

90/100

English version?

Quelques questions à HCT et DLE, respectivement bassiste/vocaliste et claviériste/échantillonneur du groupe Salò.

Bonjour et tout d’abord, merci de m’accorder de ton temps ! Pourrais-tu présenter rapidement le groupe Salò pour ceux qui ne vous connaissent pas encore, sans utiliser les habituelles étiquettes de style ?
HCT (basse/chant) : Salò c’est la fusion d’une musique froide et malaisante au cinéma dans ce qu’il a de plus réaliste sur la fuite en avant de nos sociétés. 

Quelle est la signification du nom du groupe, et comment le relies-tu à votre musique ?
HCT : Nous cherchions un nom qui résume à lui seul notre objectif de mettre en évidence le déni de tout à chacun face aux horreurs de nos quotidiens tout en rejetant toute forme de responsabilité à la manière du rapport de la banalité du mal d’Hannah Arendt. Nous le souhaitions court et percutant. On y a passé quelques heures alors qu’il était sous notre nez ou tout du moins dans les extraits d’un film dont nous utilisions des passages : Salò ou les 120 journées de Sodome de P.P.Pasolini. Rien que l’évocation de ce nom ravive des sensations de gêne voire de dégoût pour ceux qui l’ont vu. C’était et cela reste notre première intention dans toutes nos compositions à savoir brusquer, heurter. Brusquer, heurter pour mieux inciter à la réflexion pour ceux et celles qui voudraient s’intéresser de plus prés à ce que nous avons composé. C’était aussi le but de Pasolini dans l’ensemble de son œuvre et notamment dans son film Salò. Heurter le spectateur dans sa posture de voyeur. Nous ne nous comparons pas à Pasolini, nous tentons juste, à notre manière, d’amener à la réflexion sur la fuite en avant de notre espèce

L’Appel du Néant, votre premier album, sort dans peu de temps, comment vous sentez-vous ? Est-ce que vous avez déjà des retours à son sujet ?
DLE (claviers/samples) / HCT : C’est toujours un moment particulier la sortie d’un album. On repense à tout le travail effectué en amont. On est très fier du résultat après tous ces mois de boulot dessus. Il a fallu aussi mener de front le passage d’un quatuor en trio. Cela a nécessité de repenser beaucoup d’éléments dont la prise en charge de la batterie samplée en live. Pour y parvenir, nous nous sommes entourés de professionnels du monde du spectateur, l’équipe du Circuit de Cherbourg ainsi que celle de la Gare aux musiques à Louviers où travaille notre ingé son Ber. Normandie Musique Actuelle (NORMA) nous a aussi épaulé par le biais de formation technique. Sans eux nous n’en serions pas là. Donc oui, on est fier du travail accompli et impatient de voir l’album dans les bacs. Cette sortie est pour nous aussi le démarrage d’un nouveau cycle. Pour ce qui est des premiers retours à son sujet, tous nos proches nous ont confirmé que nous avions fait un bond en avant, que ce soit au niveau de la composition, du travail sur le son ainsi que du rendu sur les ambiances de l’album. Par ailleurs, à la sortie des quelques concerts que nous avons fait, le retour du public va dans le même sens, c’est plutôt bon signe et cela nous conforte dans notre volonté de continuer à travailler notamment sur la suite à L’appel du Néant.

Comment résumerais-tu L’Appel du Néant en trois mots ?
DLE : Cinématographique, pulsation, brutal.
HCT : Violent, mélancolique, réfléchi.

L’Appel du Néant sort un peu plus de deux ans après Sortez Vos Morts, votre premier EP. Comment s’est passé sa composition ? Est-ce que tu as remarqué des changements, ou des évolutions dans le processus de création ?
DLE : Le travail de composition pour L’appel du Néant s’est fait de façon fluide, il n’y a pas eu de soucis particulier à ce niveau là. D’ailleurs on a enchaîné la composition de l’album tout de suite après la sortie de notre premier Ep Sortez vos morts. Au niveau nouveauté, on a collaboré avec Thomas Njord (batteur de Venefixion et de Ende) pour la composition de la batterie. Il a fait un boulot incroyable, en composant et enregistrant via sa batterie électronique. Nous les avons ensuite mixées et intégrées à notre système son. Dans notre approche de la composition, nous sommes partis de séquences improvisées avec des synthés modulaires. Nous nous en sommes servies pour construire un morceau. On va continuer à développer ce genre de méthode.

Les thèmes abordés dans L’Appel du Néant sont relativement durs et sensibles sur chaque titre. Comment avez-vous décidé d’aborder ces thèmes, et qu’est-ce qui vous “inspire” ?
HCT : Dès le début du projet, nous voulions aborder des problématiques de société afin d’exprimer notre ressentis sans faire une quelconque morale. Juste un constat, le constat du déni de tout à chacun face à l’adversité, aux problèmes émergents ou à venir. Ce qui nous inspire, c’est la vie de tous les jours, nos lectures, nos discussions que l’on peut avoir entre amis, famille et parfois de notre vécu. 

Le groupe collabore avec Diego Janson de Karras pour le titre J’affronte la mort, ainsi que Mütterlein pour les deux derniers morceaux, Et pourtant j’essaie et La cendre et le sang. Comment avez-vous décidé de travailler avec eux ?
DLE : Pour Mütterlein, on a tous les trois écouté son deuxième album un paquet de fois. Pour tout te dire, je suivais à l’époque son autre groupe qui se nommait Overmars et j’ai été bluffé par sa voix sur Born Again. Ca date mais quand Marion a de nouveau fait parler d’elle avec Mütterlein, j’ai retrouvé sa voix avec beaucoup plus d’intensité. Elle a une approche unique, tu sens beaucoup d’émotions en l’écoutant. Et c’est si sombre alors que fondamentalement sa musique n’est pas si brutale que ça. C’est une question d’atmosphère, d’émotions et il fallait absolument qu’on collabore avec elle, on en parlait vraiment régulièrement tous les trois. Quand on a bien avancé sur Et pourtant j’essaie, il était évident pour nous de proposer ce morceau à Mütterlein. Alors nous nous sommes déplacés pour la rencontrer et quelques semaines plus tard, elle nous a renvoyé le morceau avec toutes ses parties et sa voix a sublimé le morceau. On est vraiment fier qu’elle soit sur notre album, cela représente beaucoup de chose pour nous. Pour La cendre et le sang on lui a proposé de réciter un texte pour clôturer le morceau et pareil cela a tout de suite collé. J’espère qu’on aura encore l’occasion de collaborer ensemble, elle est incroyable.
HCT : Pour la collaboration avec Diego, c’est la même approche qu’avec Mütterlein. On est tous des grands fans de Karras et la voix de Diego a ce grain si particulier qu’on souhaitait travailler avec lui. DLE connaissant Diego, cela s’est fait très rapidement. J’ai travaillé à distance avec Diego tout comme avec Mütterlein pour l’articulation de nos passages respectifs. Le résultat est au-delà de nos espérances, le morceau a pris une autre dimension. Très fier d’avoir pu collaborer avec Mutterlein et Diego.

Les textes du groupe sont en français, pourquoi avoir choisi de conserver cette langue ?
HCT : Chanter en français est pour nous une évidence. Principalement car le texte, et donc le chant, me permet de délivrer le message de manière bien plus compréhensible et explicite qu’en anglais. Si les extraits de film choquent, il faut que le chant le pousse à son paroxysme afin d’avoir l’impact désiré. Par ailleurs, j’aime la langage française, jouer avec les mots, travailler mes rimes. 

Je sais que c’est une question difficile, mais est-ce que tu as un morceau préféré sur cet album ? Ou celui qui t’a semblé le plus naturel à composer ?
DLE : Oui c’est une question qui n’est pas évidente et selon l’humeur de la journée je vais scotcher à chaque fois sur un morceau différent. En ce moment, j’écoute beaucoup J’affronte la mort. Je trouve que les voix de HCT et de Diego se marient bien et apportent une bonne dose de brutalité à l’ensemble. Et puis c’est peut être notre morceau le plus catchy de l’album.
HCT : Pour ma part, j’ai une préférence pour Et pourtant j’essaie. Certainement parce qu’il y a une part bien plus personnelle dans ce titre.

Que peux-tu me dire sur l’artwork de L’Appel du Néant ? Quelles ont été les directives pour sa création ?
DLE : On a de nouveau contacté CLLK pour l’artwork. Il avait travaillé sur le premier EP, ça s’était très bien passé et on voulait une continuité dans le rendu graphique. Du coup il a bossé très vite pour le front cover, presqu’un an avant l’enregistrement. Il nous a proposé cette scène familiale. On a tout de suite accroché à sa proposition et finalement inconsciemment cette image assez marquante nous a peut être influencés sur le reste de la composition de l’album. La suite de la pochette s’est faite plus tard, presque un an après. HCT nous avait soumis l’idée d’une interprétation moderne des tableaux de Jérôme BOSCH. CLLK a bossé dessus et on est intervenu pour lui demander de rajouter des éléments petit à petit. L’idée était de proposer un triptyque autour de nos thèmes, des scènes qui résument l’ambiance de l’album. 

L’écran de droite me rappelle personnellement l’histoire de Robert “Budd” Dwyer, est-ce que la référence est voulue ?
HCT : Ça aurait pu être le cas mais non. Dans l’écran de droite, nous avons voulu représenter ce qu’adviendra l’homme à l’issue de sa fuite en avant. C’est aussi le morceau J’affronte la mort ou ce que l’on pourrait appeler une ordalie moderne : on ne cherche plus à prouver son innocence aux yeux de Dieu, on défie la vie, ou la mort, selon l’angle avec lequel chaque protagoniste se projette.

L’Appel du Néant sort sur le label Source Atone Records, comment s’est passée la prise de contact et comment se déroule la collaboration ?
DLE : Cela s’est fait par étape et au final nous n’avons jamais contacté d’autres labels. En fait, on se suivait depuis la sortie du premier EP. Source Atone nous avait fait part qu’ils avaient apprécié Sortez vos Morts. De notre côté on trouvait que leur identité et leur catalogue était non seulement éclectique mais qualitatif. Pendant qu’on finissait l’album, nous avons été à leur rencontre pour discuter d’une éventuelle signature. Au-delà de l’aspect travail avec un label, nous voulions qu’humainement ça colle entre nous. La journée passée avec eux nous a confortés sur le fait que s’il y avait un label avec qui nous devrions sortir l’album, c’était Source Atone Records. Maintenant nous faisons partie de leur équipe, les choses ont été claires dès le départ et nous sommes satisfait de la collaboration. Ils nous permettent d’avoir une bonne visibilité, d’être bien distribué et puis les rapports sont transparents ce qui est le principal dans la relation groupe / label. 

Le groupe a déjà effectué quelques concerts, comment se sont-ils passés ? Comment se passe un show de ton point de vue ?
HCT : Sur scène et dès que cela est possible nous apportons autant de sérieux dans notre posture sur scène que dans les lights. Le jeu avec les lumières est un autre moyen d’embarquer le public dans cette spirale infernale. Ensuite, il y a très peu d’interaction avec le public. Tout d’abord parce que nous pensons nos sets comme un film qui se déroule, pas ou peu d’entracte. On cherche à capter l’attention du début à la fin. Ensuite, je suis quelqu’un d’assez introverti, je n’éprouve pas le besoin de m’épancher plus que nécessaire d’autant plus que nos titres sont assez explicites pour se passer d’explications. Au niveau réaction du public après nos concerts, beaucoup de retours positifs et pour ceux qui nous suivent depuis le début, ils soulignent la progression du groupe. Certains nous font part aussi de leur étonnement vis à vis de la batterie samplée. Ils s’attendaient tous à avoir le côté mécanique de la boite à rythme.

Quels sont selon toi les groupes immanquables de la scène actuelle ? Qu’ils soient confirmés ou émergeants.
DLE : Kill The Thrill a sorti un nouvel album 19 ans après la sortie de Tellurique et c’est clairement un événement pour la musique Industrielle. Autophagie est un vrai voyage sonore avec des prises de risque et en même temps c’est tout à fait logique. En 19 ans tu vieillis, tu vis des choses, tu grandis alors forcément cela se répercute sur tes morceaux. Fini le chant en anglais et la boîte à rythme, maintenant c’est un chant en français et une batterie acoustique mais il y a toujours cette putain de force créatrice dans ce groupe. Je suis vraiment impatient de les voir en live. J’attends également la sortie du prochain et dernier album de Reverence (Musique Industrielle/Black Metal) qui remettra, j’en suis sûr, l’église au milieu du village !

Quels sont les plans pour la suite de Salò ? Que ce soit dans l’immédiat, ou dans plusieurs mois.
HCT : Il nous tarde de retrouver le chemin des concerts. Nous en aurons l’occasion en 2024 et nous ferons ce qu’il faut pour montrer ce que nous valons. En parallèle de cela, nous poursuivons le travail sur notre son et nos lights par le biais de résidences sous la houlette de l’équipe de la Gare Aux Musiques à Louviers. Par ailleurs, nous avons commencé l’écriture de notre prochain album, pas mal de travail aussi de ce côté là.

Est-ce qu’il y a des musiciens ou artistes avec lesquels tu souhaiterais collaborer dans le futur ?
DLE : Nicolas Dick ou Vindsval ce serait absolument énorme. Nicolas pour la force de sa voix. Vindsval j’avais accroché à son featuring sur le dernier album de Terra Tenebrosa. C’était puissant et totalement mystique.
HCT : J’aimerais vraiment pouvoir faire un titre avec Fange et Karras. Collaborer avec Napalm Death serait comme réaliser un rêve de gosse pour moi. Dans un autre registre, j’aimerai aussi collaborer avec Kaelan Mikla.

Penses-tu t’être amélioré en tant que musicien avec cet album ?
DLE : Oui clairement car au-delà de la composition et durant ces trois dernières années, nous avons fait beaucoup de résidence, nous avons également participé à des stages qui nous ont permis de bénéficier d’un suivi sur plusieurs mois dans lequel par exemple nous avons pu aller au Swan Sound Studio pour une formation sur le nettoyage fréquentiel. En ce moment même nous avons été sélectionnés pour être accompagnés durant 20 jours de résidence avec la gare aux musiques. En fait, à titre perso, je n’ai jamais autant appris en si peu de temps certains aspects techniques qui sont demandés quand tu joues en groupe. On parle bien de musique amateur, nous ne sommes pas professionnel mais en évoluant auprès d’eux (que ce soit Ber de la gare aux musiques, Brice, Manu Laffeach, Cyrille Gachet et tant d’autres), en écoutant leurs conseils et en les appliquant forcément tu franchis des étapes. Merci à eux vraiment car en plus d’être des “tueurs” dans leur domaine, ils sont bienveillants.
HCT : Assurément. A titre perso, j’ai beaucoup travaillé le chant entouré de pro comme Inside the Scream ou Emmanuelle Renouard. Cet album nous a aussi permis d’évoluer sur la construction de nos titres notamment dans la mise en place de passages plus contemplatifs, la violence peut revêtir bien des formes. 

Avec quels groupes rêves-tu de jouer ? Je te laisse imaginer une date pour la sortie de L’Appel du Néant avec Salò en ouverture, et trois autres groupes.
DLE : Je rêverai de jouer en première partie des norvégiens de Red Harvest ou de V28. Cela ne se fera jamais car ces deux groupes n’existent plus même si je sais que Red Harvest a travaillé sur des maquettes il y a quelques années. En fait, jouer avec Mütterlein, Fange ou Subterraen ce serait vraiment pas mal du tout.
HCT : Je vais tricher un peu. Mon rêve serait de jouer avec Napalm Death, Watain et Anaal Nathrakh. Un plateau pour la release party de L’Appel du Néant avec nous en ouverture, sans hésitations Mutterlein, Karras et Napalm Death.

C’était ma dernière question, je te remercie pour ta disponibilité, et je te laisse les mots de la fin !
DLE : Merci et à très vite !
HCT : Merci pour l’interview et de ton travail pour mettre en avant les groupes émergents. J’en profite pour remercier toutes les personnes qui, de près ou de loin, nous ont aidé, conseillé pour arriver là où nous en sommes avec une mention particulière Ber, Manu Lafféach, Cyril Gachet, Brice Macé, Baptiste Bitouzé, Emmanuelle Renouard, Virginie et Yuna.

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