Nouvelle expérimentation chez Berlial.
Après un album en 2022, CzH (chant/batterie) et HellSod (guitare/basse/claviers) reprennent leurs mélanges intrigants pour créer Nourishing The Disaster To Come, leur deuxième album, qui sort via Source Atone Records et My Kingdom Music.
The Last Dance débute avec des claviers intrigants et aériens, mais les bases plus brutes et dissonantes prennent rapidement le relai, apportant cette touche Old School abrasive avant de repartir dans l’étrange et l’inquiétant, en particulier niveau vocal. Les harmoniques prennent également des teintes inattendues et complexes, accompagnant le morceau dans sa folie entêtante avant de rejoindre des sonorités presque ecclésiastiques avec Nouveau Monde, le titre suivant, qui va à son tour adopter de la noirceur et des hurlements. Bien que l’instrumentale s’apaise un moment, le chant reste toujours aussi viscéral, mais le break ne dure pas et la rythmique s’enflamme à nouveau en puisant dans un Black Metal assez atmosphérique qui réunit les deux éléments pourtant relativement opposés avant de laisser place à We Deserve to Fall Again après une dernière accélération. La composition reste assez mystérieuse au premier abord, laissant les claviers puis un sample instaurer son ambiance pesante qui s’éternise pour finalement permettre aux ténèbres de s’installer et de nous mener à ces spoken words qui remplacent temporairement le chant, puis à ce nouveau sample peu intellectuel qui rend le long morceau encore plus chaotique. La diversité vocale et l’instrumentale saccadée permettent de rythmer les douze minutes avant de laisser Ivresse de la Finitude proposer son introduction glauque pour mieux nous submerger par la suite, proposant tour à tour des moments de rage pure, des choeurs majestueux et des passages imposants couplés aux orchestrations, mais également des moments de flottement assez mélodieux où on reprend notre souffle avant la déferlante finale. Nourishing The Disaster To Come s’embrase immédiatement, affichant une virulence palpable, mais comme on s’y attend, les différentes influences finissent par rejoindre les riffs, plaçant ça et là des claviers plus hypnotiques, des cris de détresse et des leads perçants, mais le titre est finalement assez court, et il cèdera sa place à Le Néant Pour Eternité et à son introduction apaisante bien que curieuse, puis à la voix samplée très négative qui laisse l’instrumentale prendre progressivement vie et enfin nous entourer de sa mélancolie où naîtront chant, cris et pleurs, mais aussi des moments beaucoup plus violents.
Le Black Metal de Berlial est en permanence teinté par des touches intrigantes, inattendues et complexes, mais force est de constater que le mélange est très cohérent. Nourishing The Disaster To Come me fait penser à la folie pure, celle qui frappe sans prévenir et s’installe à jamais en nous.
90/100
Quelques questions au groupe Berlial pour la sortie de leur nouvel album Nourishing The Disaster To Come.
Bonjour et tout d’abord, merci de m’accorder de votre temps ! Sans utiliser les étiquettes Metal habituelles, telles que “Black Metal”, comment pourriez-vous décrire le groupe Berlial ?
Berlial : Berlial propose un Metal extrême polymorphe qui peut prendre des atours ambiants, mélodiques ou au contraire dissonants. Si certains morceaux sont composés à la guitare d’autres peuvent avoir pour base initiale des nappes de claviers pour poser un spectre harmonique. Les structures se veulent progressives et immersives mais nous ménageons des points de repères pour l’auditeur. In fine, nous essayons de proposer un BM large qui puise autant dans le traditionnel, le DSBM, le Blackgaze ou le Sympho. Nous venons y intégrer des éléments Avant-Garde, Noise/Indus, Electro ou voire Rock. L’objectif est une musique suggestive voire narrative pour ce second effort.
Le nom Berlial est un mélange de Beria et Belial, pourquoi avoir mélangé ces deux noms ? Comment relies-tu personnellement le nom Berlial à la musique du groupe ?
Berlial : L’idée était d’associer une figure biblique et une figure historique pour mettre en avant une critique du développement humain dans son écosystème. L’espèce humaine est un ogre, le diable est en nous, dans notre manifestation et notre structuration collective. L’Homme est la fin des hommes. En outre, si le philosophe Ernst Cassirer discrimine l’humain des autres espèces via sa capacité d’abstraction et donc son pouvoir symbolique, c’est justement ce même symbolisme qui nous fait courir à notre perte et nourrir le désastre à venir. Nos idoles (religions, finance, développement technologique, etc) nous mènent à notre perte. C’est ça le sens du nom du groupe. A une échelle individuelle et personnelle, la dualité d’une personnalité somme toute bien intégrée socialement mais qui a couru longtemps à sa perte pas l’addiction, le démon intérieur. Dans la musique on retrouve nettement le rapport à cette thématique dans les extraits de films parsemés dans les titres We Deserve to Fall Again et Le Néant Pour Éternité.
Nourishing The Disaster To Come, votre deuxième album, est sur le point de sortir. Comment te sens-tu ? Est-ce que tu as déjà eu des retours à son sujet ?
Berlial : Impatients ! C’est un rêve d’ado que nous réalisons là. Nous avons pu avoir en premier temps des retours des labels que nous avons démarchés et qui étaient assez encourageants sur notre démarche, même lorsque nous ne correspondions pas à leur public ou leur DA. Les quelques retours sur les singles sortis sont positifs à ce stade. Le nombre d’écoutes assez gratifiant.
Comment résumerais-tu Nourishing The Disaster To Come en trois mots ?
Berlial : Je vais me permettre d’emprunter une expression de Monsieur Matthieu Yassef : “un Metal total”. En raison de l’ambition de la musique par sa singularité, les liens avec les livres de CzH (certaines paroles sont des poèmes de son recueil de 2017, Violence des petits riens), l’univers visuel et notamment le clip du 2e single avec les références au Burlesque.
L’album Nourishing The Disaster To Come sort début 2025, pourquoi avoir choisi ce nom pour l’album et que signifie-t-il ?
Berlial : Il y a deux niveaux de lecture dans cette expression – courir à sa perte en bon français. Une première collective qui met en exergue la capacité de l’espèce humaine à détruire son environnement dans la course à la croissance, à refuser de voir sa finitude en face. La seconde, individuelle, concerne le rapport à l’addiction. En connaissance de cause, l’addict n’arrive pas à sortir de sa routine jusqu’à toucher son fond. On peut bien voir les similarités entre les deux niveaux de lecture, et à vrai dire quand on regarde trop longtemps le cours du monde on a bien envie de psychotropes pour faire passer la pilule.
Depuis sa création, le groupe a toujours mélangé un Black Metal “traditionnel” et des éléments aériens, orientés Shoegaze, Dungeon Synth… Comment arrivez-vous à trouver un équilibre entre vos différentes influences ? Comment se passe le processus créatif au sein du groupe ?
Berlial : Pour ce deuxième album, nous avons essayé de tirer les enseignements du premier. Ce dernier était très patchwork, nous pouvions passer d’un refrain Death Sympho à un break avec solo 80’s. C’était presque une compilation. Nous voulions garder la richesse du premier mais créer une cohérence sur le second. Nous avons donc opté pour des titres plus longs. Nous avons essayé d’avoir un fil rouge dans les tessitures sonores : les claviers, les pistes atmosphériques de guitares, le travail sur le chant. Et dans ce cadre ensuite y ajouter des ouvertures sur différents styles. Dans la méthodologie de composition, chaque chanson part soit d’une idée de Hsod soit de CzH. Mais dans les deux cas c’est Hsod l’architecte du titre dans l’ensemble des arrangements, les enchaînements des parties, etc. Ce dernier a suivi des cours avec Edgard notre producteur de manière à pouvoir travailler les maquettes en anticipant les sessions studio. C’est ce qui nous a permis d’être plus structurés. En outre nous ne sommes désormais que deux et nous devons être tous les deux OK avec chaque idée.
Sur le premier album, le guitariste Tromgeist était mentionné, mais il n’apparaît pas sur Nourishing The Disaster To Come. Fait-il toujours partie du groupe ?
Berlial : Tromgeist a quitté le groupe avant même l’enregistrement studio du premier effort par manque de temps et il est en Bretagne quand Hsod est en Alsace et CzH en région parisienne. Nous l’avons crédité car il avait apporté quelques riffs sur certains titres mais Berlai est un duo depuis 2021 et n’a pas vocation à changer car nous avons une gouvernance qui nous permet de tenter beaucoup de choses différentes qui restent Berlial. D’ailleurs dans notre logo actuel, sont incrustées les lettres du nom du groupe et celles de nos patronymes.
Vous utilisez tous deux des pseudonymes, et la photo promo ne laisse pas voir cos visages, pourquoi avoir choisi de rester anonymes ?
Berlial : En fait, nos identités sont faciles à trouver sur Facebook et on voit le visage de CzH dans le clip. C’est un parti pris esthétique avant tout. Si nous essayons de proposer un BM original, nous vénérons son essence et ses archétypes : les patronymes et la dissimulation du visage en font partie, surtout dans sa lecture des années 10’s et le Post Black.
Alors que l’artwork du premier album était relativement dérangeant, celui-ci, réalisé par Jeff Grimal, est assez majestueux, presque poétique. Comment s’est passée l’évolution de vos envies visuelles ? Et qu’en est-il de votre collaboration avec Jeff, lui avez-vous donné des directives ?
Berlial : Pour le premier nous étions vraiment dans une démarche DIY. Donc le recours à des photos historiques était plus simple. L’idée de la cover de ce dernier vient d’une visite de CzH dans musée de Tallinn et les nurseries soviétiques dans les pays baltes. Le verso la photo d’une mère américaine qui a réellement vendu les quatres enfants de son premier mariage. Pour ce second album, nous avions l’idée du 6e continent de déchets, en lien notamment avec les textes de We Deserve to Fall Again. Nous voulions un figuratif qui reste suggestif, pas net et donc plutôt un paysage. Les univers de Jeff correspondent bien à ça. En outre, il n’a pas une patte unique, donc nous anticipions déjà des collaborations ultérieures. Nous avons donc au départ partagé cette idée du 6e continent et d’un côté matières brutes, jeu sur les textures. De là Jeff nous a proposé 6 esquisses qui étaient des peintures et ça a nous fait phosphorer derrière : le Styx, les âmes des migrants (cf Nouveau Monde), Charon, etc. On voulait Jeff mais pas du Jeff totalement dans sa zone de confort et le résultat est là. Il s’est vraiment impliqué, la collaboration outre sa qualité a été très sympa.
Je sais que c’est une question difficile, mais est-ce que tu as un morceau préféré sur cet album ? Ou celui qui t’a semblé le plus naturel à composer ?
Berlial : Pas difficile du tout: We Deserve to Fall Again, c’est notre masterpiece. Je ne sais pas si on saura refaire un morceau d’une telle ambition et en même temps efficacité à l’avenir. Tu pourras nous charrier si pour le troisième album on te sert le sempiternel “c’est notre meilleur effort” (rire).
Nourishing The Disaster To Come sort en collaboration avec Source Atone et My Kingdom Music comment se passe la collaboration avec eux ?
Berlial : Le lien entre les deux labels, c’est Christophe Denhez. On avait contacté Source Atone pour le premier album, on leur avait envoyé les maquettes. Chris nous avait suggéré de bosser avec Edgard au Lower Tones Place Studio et il était passé faire un feat. On s’est recontacté quand on a finalisé les maquettes du 2e en septembre 2023 pour lui proposer de refaire un feat (sur la chanson titre). Il nous a mis en relation avec Francesco de MKM et a poussé fort. Chris est un ami très proche, une fois que Francesco a confirmé nous signer, nous avons très vite discuté avec Arnaud et Chris d’une distribution physique en France via eux. Une configuration comme celle d’Ecr Linf, le groupe de Chris. Ce dernier a sorti presque tous ses projets depuis 10 ans dans l’auguste maison italienne, et notre style est très cohérent avec la DA de MKM (Cultus Sanguine, Lors Aeghos, etc…). C’est donc super fluide et la réunion de passionnés avant tout, faut pas oublier cette notion de passion. MKM nous apporte une force de frappe internationale et une visibilité sur Spotify grâce à l’intégration dans divers playlists. Francesco est un mec génial, avec beaucoup d’expérience et vraiment engagé pour ses groupes. Source Atone nous permet de travailler avec l’agence Singularité pour appuyer notre visibilité en France. Et CzH est super fan du roster du label (Sycomore, Salo, Néfastes, Saar, Maudits, Usquam). Surtout Source Atone c’est aussi Yann, le BG ultime de la scène post française (rire).
Je n’ai pas trouvé de trace d’un quelconque live pour Berlial, comptez-vous un jour monter sur scène pour interpréter vos morceaux ? Si non, pourquoi ?
Berlial : Non pas de live prévu. On pourrait faire les malins et citer Fenriz de Darkthrone mais c’est avant tout pour des raisons logistiques et de temps : nous sommes deux 500 km l’un de l’autre, pères de famille séparés avec de jobs chronophages. Quand on a du temps, on préfère créer plutôt que faire des kilomètres et des répétitions. Il ne faut cependant jamais dire jamais mais les prochaines années seront dédiées à continuer notre création, nous avons déjà amorcé la composition du 3e album il y a quelque temps.
Quels sont les prochains projets pour Berlial ?
Berlial : Cela fait justement une bonne transition avec la question précédente, oui nous avons déjà 4 titres et une belle boîte à idées pour le 3e album. Nous allons prendre une direction plus constante sur l’ensemble de l’album, ce sera une forme de concept (pas narratif mais thématique) en lien étroit avec l’œuvre littéraire de CzH.
Est-ce qu’il y a des musiciens ou artistes avec lesquels vous souhaiteriez collaborer dans le futur ?
Berlial : Oui par rapport justement au thème du 3e album, une voix féminine serait opportune comme celles de Jessy d’Usquam ou Adèle de Houle. Le rêve ultime de CzH serait un feat de Rose H. la rock star de la scène ou AK un génie aux projets très influents pour Berlial (Neo Inferno 242 ou Decline of the I).
Penses-tu t’être amélioré en tant que musicien avec cet album ?
Berlial : Nous avons clairement tous les deux franchis un cap : Hsod en arrangements et aussi en enregistrement puisqu’il a pris des cours avec Edgard, il a la capacité de rentrer dans des styles qu’il ne connait pas apriori et en comprendre l’essence pour la retraduire dans son style. CzH a bossé son placement, son souffle. C’est un vocaliste pas un chanteur contrairement à Hsod, mais il a réussi à trouver sa patte, on peut reconnaître son chant parce qu’il a vraiment bossé sur l’interprétation.
Dernière question : à quel plat pourrais-tu comparer la musique de Berlial ?
Berlial : Une spécialité de chez nous en Alsace : le “seuilmav” soit de l’estomac de porc farçi. Hop là, à goûter.
C’était ma dernière question, je te remercie pour ta disponibilité, et je te laisse les mots de la fin !
Berlial : Merci beaucoup pour ton intérêt, ton temps et la pertinence des questions. C’est vraiment gratifiant que des activistes de la scène comme toi nous permettent de diffuser notre musique et d’en parler. C’est un exercice vraiment plaisant à faire. Hail Acta Infernalis, on espère quand même que vous allez pas trop bien.