Nouveau virage pour Point Mort.
Après avoir bien défendu leur précédent album sur scène, Sam Pillay (chant), Olivier Millot (guitare), Damien Hubert (basse), Simon Belot (batterie) et Aurélien Sauzereau (guitare) nous dévoilent Le point de non-retour, leur deuxième album, via le label Almost Famous.
L’album débute sur des tonalités Electroniques avec Avm Ajar, accueillant le chant de Sam, mais on sent que le groupe ne demande qu’à exploser, et ce sera chose faite lorsque débute An Ungrateful Wreck of Our Ghost Bodies. On passe d’un Black Metal dévastateur à un Post-Hardcore vindicatif en passant par les teintes les plus folles sur cette très longue composition, osant même un break Trip-Hop planant où un chant clair envoûtant remplace les hurlements déchaînés mais c’est bel et bien avec l’intensité incontrôlable de la violence et de la saturation que le groupe continue sa course vers The Bent Neck Lady. Le morceau démarre doucement, laissant la chanteuse seule avec un son ambiant, mais le reste du groupe finira par la rejoindre progressivement et le morceau s’enflammera en devenant dissonant et majestueux où s’exprime toute la rage, mais à nouveau elle n’est pas seule. La vocaliste semble par moments possédée, plaçant des intonations plus étranges avant de revenir à ses vociférations viscérales sur fond de Post-Metal surpuissant avant de rejoindre Skinned Teeth, titre bien plus court et énergique qui emprunte lui à la sauvagerie du Hardcore, mais aussi à des tonalités plus accessibles qui viennent troubler le chaos et le teinter d’une part de mystère lors des moments où la dualité est plus forte. On passe au titre éponyme, Le point de non-retour, où la chanteuse débute à nouveau seule avec une mélodie entêtante, laissant peu à peu les autres musiciens les rejoindre pour créer des tonalités enivrantes au sein desquelles on se perd aisément, mais la saturation n’est jamais loin pour alourdir le mélange. La composition est elle aussi assez courte, et Iecur prend le relai pour nous garder en alerte à coups de riffs pesants tout aussi surprenants et saccadés qui nous laissent tout de même un peu de répit avant de s’aventurer dans de nouveaux mélanges de genres toujours plus surprenants – et parfois violents – les uns que les autres, comme ce final écrasant. Retour d’une douceur vaporeuse avec Der, qui se veut très rassurante même lors des passages les plus abrasifs, mais qui s’ancre peu à peu dans sa lourdeur écrasante pour finalement ne plus en sortir qu’à de rares moments, laissant chant clair et hurlements cohabiter dans ce paysage dévasté jusqu’au final.
L’album contient également une version radio edit (raccourcie) de The Bent Neck Lady, mais même si le groupe prend moins le temps de développer son univers, elle reste prenante.
Je connais Point Mort depuis des années, mais leurs mélanges me surprennent toujours autant par leur cohérence et leur explosivité. Le point de non-retour est définitivement leur travail le plus abouti et le plus intense à ce jour !
95/100
Quelques questions au groupe Point Mort pour la sortie de leur nouvel album, Le point de non-retour.
Bonjour et tout d’abord, merci de m’accorder de votre temps ! C’est déjà la troisième interview que l’on fait ensemble, alors on va tenter d’innover : Comment pourriez-vous décrire le groupe Point Mort le plus simplement possible ?
Sam (chant) : Point Mort, apparemment, c’est le seuil de rentabilité d’un groupe de Rock 😉
Olivier (guitare) : Pas mieux !
Votre nouvel album Le point de non-retour est sur le point de sortir, comment vous sentez-vous au sein du groupe ? Avez-vous déjà eu des retours à son sujet ?
Sam : On est en pleine forme, on a hâte de jouer ce joyeux bordel en live. Les premiers retours parlent de King Diamond, donc on est refait.
Olivier : Personnellement j’ai le mors aux dents ! Cela fait 2 ans et demi que l’on prépare cet album, et depuis son enregistrement, on trépigne d’impatience de jouer ces nouveaux morceaux ! Pour les retours, notre entourage proche est dithyrambique ! Pour le reste du monde, les premières appréciations sont très positives.
Comment résumerais-tu Le point de non-retour en trois mots ?
Sam : Point, non, retour.
Olivier : je reprendrai l’expression de Dam (bassiste), même si je spoile un peu le documentaire : “Un scandale de réussite”. Cela fait 4 mots, et peut sembler arrogant, mais par rapport à l’implication de chacun et nos objectifs sur cet album, nous avons, malgré toutes les difficultés, fait exactement ce que nous voulions. Que les gens apprécient ou pas notre travail, cela ne nous enlèvera pas cette satisfaction personnelle. La dernière soirée au studio, Sam et moi parlions du rec et, pour la première fois en sortant d’un enregistrement, on s’est dit que nous étions contents ! Donc oui, “Un scandale de réussite” !
Comment s’est passé le processus créatif pour Le point de non-retour ? Quelles ont été les principales différences avec vos précédentes sorties ?
Sam : Le processus de composition a été moins “live” que précédemment. On a beaucoup travaillé sous formes de pré-prods, de partitions, avant de réellement jouer les morceaux ensemble.
Olivier : Pour cet album, nous voulions plus de matière et plus d’arrangements surtout pour les textures des voix. Sur les précédents albums, nous avons été un peu timides sur le sujet par manque de temps en studio. Nous voulions aussi assumer plus de chant clean et d’harmonisations. Entre les premières versions que j’avais composées et le résultat final, la majeure partie des ajustements ont été faits par rapport à la voix. En ce qui concerne le processus créatif, l’idée était d’aller plus loin dans le côté narratif et immersif. A l’inverse, je voulais aussi que le groupe s’essaye à des formats plus courts. Paradoxalement, pour moi, il est plus facile d’écrire un morceau de 20min, ultra progressif, que de contenir le discours en 3 min, sans partir dans tous les sens. Et je suis très satisfait du résultat !
Le groupe est connu pour sa maîtrise des mots, mais également pour ses mélanges de genres sans limite, comment avez-vous réussi à créer cette touche ?
Sam : Comme pour la bouffe, en mettant beaucoup, beaucoup de couches de fromages et du piment.
Olivier : Cela n’est pas prédéterminé. On teste beaucoup de choses. Si cela marche et que cela enclenche la petite “Happy face” quand on le joue, c’est que c’est bon ! Dans ce cas, on garde et peu importe le style. On assume totalement notre côté Britney, ou pas, d’où ce mélange !
Sur Le point de non-retour, seul le morceau éponyme est en français, mais ses paroles sont tout de même en anglais. Pourquoi avoir choisi de conserver le français ?
Sam : L’expression en français était plus imagée dans mon esprit. Et puis, le petit rappel, mettant en lumière le mot “point”, je trouvais le clin d’oeil sympa ! 😉
Sur cet album, vous avez à nouveau collaboré avec Amaury Sauvé, et on voit dans le documentaire que vous avez sorti, qu’il a pas mal apporté à l’album. Pourquoi avoir fait appel à lui, et dans quelle mesure suivez-vous ses conseils ?
Sam : Le syndrome de Stockholm je suppose… 😉 C’est le troisième disque que nous enregistrons avec Amaury, et je pense ne pas m’avancer en parlant pour le groupe et en disant que nous le considérons comme un ami. The Apiary, pour nous c’est un peu comme retrouver notre maison de vacances, on s’y sent bien, en confiance, on y a des souvenirs forts. Pendant le rec, Amaury devient un peu le 6ème membre du groupe. Pour autant, ce n’est pas un membre permanent, et cela lui permet d’avoir une vision distanciée du projet, d’être plus pragmatique et objectif que nous, qui vivons la création avec affect. C’est de cette plus-value dont nous bénéficions en collaborant avec lui.
Olivier : Sam a très bien résumé notre relation avec Amaury. Pour moi, il est le 6ème membre du groupe. Il comprend ce que l’on veut faire et surtout, il nous permet d’avoir une autre écoute. Nous ne sommes pas forcément toujours d’accord avec tout ce qu’il propose. Il est objectif et nous permet de mettre notre travail en perspective. Quand on arrive en préproduction et que certains morceaux nous posent encore des difficultés, il arrive toujours à nous donner les clés pour ajuster certains passages. Il nous aide à débloquer les obstacles.
L’artwork a été réalisé par Sam (sous le nom d’artiste Chatouille), comment s’est passé sa conception ?
Sam : Il y a eu une phase de retour à la matière sur cet artwork. La pochette de Look at the Sky avait entièrement été dessinée sur papier. R(h)ope était un mélange de dessin et vectoriel, tandis que Pointless… a été dessiné exclusivement à l’ipad. On voulait retrouver une forme plus organique pour cet album, et j’avais envie de sortir du symbolisme et de la symétrie, qui est très ancrée dans nos visuels. Aller là où on ne nous attendait pas forcément. Alors, j’ai ressorti la boîte de pastels, j’ai bossé sur grand format et je me suis salie les mains. C’était un peu bordélique dans mon salon pendant la conception. Le rouge, c’était une envie immédiate. Dès le départ, je n’ai sorti de la boîte que les teintes utilisées dans le visuel final. Le sujet de l’artwork, lui, est passé par pas mal de drafts avant que je ne m’arrête sur ce choix.
Je sais que c’est une question difficile, mais est-ce que tu as un morceau préféré sur cet album ? Ou celui qui t’a semblé le plus naturel à composer ?
Sam : Objectivement, qu’on soit auditeur ou compositeur, on a tous un morceau qu’on aime plus qu’un autre. Ce n’est pas un peu hypocrite de dire qu’on aime tout son album de manière égale ? C’est plus facile de désigner la track qu’on aime le moins non ? 😉 Pour moi, pas forcément le plus naturel à composer, mais après avoir été presque complètement désossé, The Bent Neck Lady s’est révélé, un des plus instinctif. Et puis son texte me parle tout particulièrement.
Olivier : C’est difficile de répondre car ils me procurent chacun une émotion complètement différente. J’adore le côté “couteau suisse” de Iecur, la profondeur de The Bent Neck Lady et la folie de An Ungrateful Wreck of Our Ghost Bodies. J’ai tendance à dire cela de chaque album mais ces morceaux ne constituent qu’un seul morceau ! Le plus facile à composer, ce fut ? Ajar, car j’ai juste envoyé la ligne de basse et une suggestion d’accords à Sam et elle a tout fait ! Pour le reste je crois que An Ungrateful Wreck of Our Ghost Bodies a été la plus facile à écrire, car je l’ai quasiment faite en un seul jet. Même s’il y a eu des ajustements après les essais en live, elle a très peu bougé de la version de départ.
La question est précisément pour Sam : Le point de non-retour sort également chez le label Almost Famous, est-ce que c’est plus simple pour toi de tout gérer en interne ?
Sam : C’est tout sauf simple. Parce que les journées ne durent que 24 h. Mais, il ne s’agit pas d’une gestion de groupe en interne. Et cela génère parfois une forme de schizophrénie chez moi. Almost Famous est une structure bien à part du projet Point Mort. C’est mon 3ème job en ce moment… Je dirais que Point Mort c’est mon 4ème job… Mais c’est effectivement mon projet de coeur, celui qui ne me fait pas vivre matériellement, mais qui compte le plus 😉 Néanmoins, tu as raison de penser qu’on gère beaucoup de choses en interne. Nous sommes tous des control freak, sur la video, la photo, la technique. On opte beaucoup pour le fait maison et l’autonomie totale. Tout cela au détriment, bien souvent, du plaisir d’être simple musicien, mais, de ne devoir nos réussites qu’à nous même !
La première fois que je vous ai vu sur scène remonte à 2017, au Motocultor, puis dans diverses salles parisiennes, mais votre jeu de scène chaotique est toujours resté le même. Est-ce que votre approche de la scène a changé ? Comment réfléchissez-vous aux prochains lives ?
Sam : Je pense qu’on gardera toujours un peu cette spontanéité chaotique. (Est-ce que tu parles de spontanéité, parce que Motoc 2017 = spontanéité = gamelle marrante devant 4000 personnes ?). Pour nous le live, c’est avant tout direct, sincère, à vif. C’est ce qu’on aime le plus. Mais en réalité, nous avons déjà changé par mal de choses à notre scénographie. Le fait de fouler des scènes plus grandes nous conduit inévitablement à nous poser des questions. Notre musique à évoluée aussi, et implique de nouvelles envies. Mais je pense que pour nous ce qui reste essentiel, c’est d’arriver à transporter les gens aussi bien quand on joue dans la cave d’un bar que sur un festival.
Quels sont les prochains projets pour Point Mort ?
Sam : Jouer.
Olivier : Jouer.
Sam : Jouer, encore !
Est-ce qu’il y a des musiciens ou artistes avec lesquels tu souhaiterais collaborer dans le futur ?
Sam : Je trouverai ça assez cool de tester un feat. au sein du projet. Mais je ne pense à personne en particulier. Donc si ça te tente, manifeste-toi ! 😉
Penses-tu t’être amélioré en tant que musicien et compositeur avec cet album ?
Sam : On ne s’améliore pas à chaque album ? Si ce n’était pas le cas ce serait dommage. Je pense m’être améliorée, oui. Le fait de bosser sur partition, de penser écriture verticale en multipliant les harmonies vocales, de créer des synthés, de tout verrouiller avant l’enregistrement à la double croche près, ça m’a tiré vers le haut, c’est certain. Si tu vends de la musique, c’est un job ! Si tu vas en cours, en stage, au taf sans t’améliorer, c’est que tu es un branleur, non ? Heureusement qu’on progresse, ce serait irrespectueux pour les gens qui prennent le temps de nous écouter de dire non… Ou alors est-ce qu’implicitement, tu es en train de nous dire que certains musiciens nous servent la même soupe, sans jamais se remettre en question ? 😉
Olivier : Pour ma part, à chaque album, j’essaye d’améliorer ce que j’estime “raté” ou “pas assez approfondi” sur le précédent. J’ai évolué sur la manière de communiquer. Passer par une méthode écrite sur partition aide beaucoup 🙂 Pour l’aspect compositionnel, je pense avoir progressé car tout ce que j’avais en tête à été enregistré sur ce disque !
Le groupe Point Mort est actif depuis près de 10 ans déjà, avez-vous constaté une évolution, ou des changements au sein du paysage underground français ? Quels sont selon toi les groupes à suivre en France en 2025 ?
Sam : La scène est un vivier foisonnant. C’est vivace, on croise le pire et le meilleur. C’est dur de se faire une place. Mais la scène DIY résonne dur comme fer. Arrêtez d’écouter seulement le haut du panier, les perles sont aussi au fond ! Ne vous fiez pas qu’aux prescripteurs, ce qu’ils disent n’est pas forcément parole d’évangile. Vous seuls savez ce que vous aimez vraiment !
Quel serait votre concert de rêve ? Je vous laisse me le décrire en précisant l’endroit, la scénographie, les groupes qui vous accompagnent…
Sam : Il n’y a pas que de concerts de rêve, il n’y a que des concerts précieux, ceux qui existent vraiment, ceux où on transpire. Ce sont ceux-là les concerts de rêve ! A chaque fois qu’on décroche une date, c’est une réussite. Parce que c’est ça le plus dur en fait, obtenir un espace d’expression.
C’était ma dernière question, je vous remercie pour votre disponibilité, et je vous laisse les mots de la fin !
Sam & Olivier : Merci à toi et merci à toutes les personnes qui nous auront lu ici. Au plaisir de vous croiser au détour d’un concert !
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