Review 2758 : Katatonia – Nightmares as Extensions of the Waking State

Une page se tourne pour Katatonia.

Si les premières traces du groupe remontent à la fin des années 80 en Suède sous le nom de Melancholium, il faudra attendre 1992 pour voir la sortie d’une démo sous son nom actuel. Oeuvrant dans le Doom/Death, le groupe va après deux albums s’orienter vers une dimension plus Prog, et commencer à gagner de plus en plus de popularité.

En 2025, Jonas Renkse (chant, ex-Bloodbath, ex-October Tide), Niklas Sandin (basse, Lik), Daniel Moilanen (batterie, Runemagick, ex-Engel, ex-Heavydeath…) et Nico Elgstrand (guitare, ex-Entombed A.D., ex-Entombed) se séparent du guitariste fondateur Anders Nyström (Bloodbath), accueillent Sebastian Svalland (guitare, ex-In Mourning, live pour Pain et Hypocrisy) pour annoncer la sortie de leur quatorzième album, Nightmares as Extensions of the Waking State via Napalm Records.

L’album débute avec Thrice, qui propose quelques secondes de lourdeur avant de s’ancrer définitivement dans une mélancolie mélodieuse aux influences aériennes qui subsiste même lorsque le son devient plus puissant. Des touches plus inquiétantes se font parfois entendre comme lors de ce break central, mais la douce voix de Jonas apporte le réconfort nécessaire pour nous pousser à poursuivre à travers la noirceur jusqu’à The Liquid Eye où les tonalités sont immédiatement plus vaporeuses. Même la saturation devient presque apaisante au sein de cette composition qui nous mène au groove berçant de Wind of no Change où des chœurs nous accueillent avant de retrouver des riffs plus saccadés et accrocheurs. Le morceau ne cesse de devenir progressivement plus agressif, laissant retomber la pression entre les refrains occultes, mais Lilac viendra prendre sa place avec une approche encore plus contrastée qui fait la part belle à chaque aspect de de la musique du groupe sans jamais laisser l’un prendre trop le dessus sur les autres. Bien que le titre ait reçu un accueil mitigé, je le trouve assez entêtant, et sa diversité fait plaisir à entendre tout comme les sonorités inquiétantes de Temporal qui se métamorphosent habilement en une intensité palpable sur ses refrains très lumineux. La quiétude est totale sur l’introduction de Departure Trails, mais la batterie viendra la troubler avec un jeu très légèrement plus vif façon Prog tout comme sur Warden qui navigue doucement entre les différentes phases de lourdeur grâce à des patterns irréguliers. Les refrains sont à nouveau très mélodieux, profitant même de quelques choeurs pour renforcer le chant principal puis le son redevient un peu plus énergique sur The Light Which I Bleed, adoptant des moments plus complexes mais également d’autres plus majestueux à l’image du break final où des orchestrations viennent renforcer les riffs lancinants. Le suédois surprendra sur la très douce Efter Solen qui prend la suite, donnant un relief supplémentaire à l’instrumentale très minimaliste qui se transformera en son assez moderne couplé aux nappes de claviers, puis In the Event of fera renaître la saturation et nous laisser dériver dans ce courant chatoyant où les différentes influences du groupe, modernes ou plus anciennes se retrouvent pour se mêler et nous conduire vers la fin de l’album.

Katatonia continue son évolution avec un nouvel album très planant, qui met en avant ses nouvelles sources d’inspiration pour créer des titres aériens. Le groupe n’est plus ce qu’il était il y a trente ans, mais Nightmares as Extensions of the Waking State est assez riche pour satisfaire nombre de fans.

85/100

English version?

Quelques questions à Daniel Moilanen, batteur du groupe Katatonia, à propos de la sortie du quatorzième album du groupe, Nightmares as Extensions of the Waking State.

Bonjour et tout d’abord, merci beaucoup de nous accorder un peu de ton temps ! Comment présenteriez-vous le groupe Katatonia sans utiliser les mots “Doom Metal” ou “Metal Progressif” ?
Daniel Moilanen (batterie) : Du rock mélancolique pour les intellectuels !

Le groupe existe depuis près de 35 ans, et même si tu ne faisais pas partie du groupe à sa création, que signifie pour toi le nom Katatonia ? Quel lien fais-tu avec la musique que vous jouez aujourd’hui ?
Daniel : Depuis que j’ai entendu le groupe pour la première fois il y a plus de 30 ans, le nom Katatonia a toujours été porteur de bien plus que la musique. Évidemment, nous sommes musicalement différents aujourd’hui de ce que nous étions avant, et avant avant, et même avant cela, mais en même temps, pas vraiment ? Dance of December Souls ne comportait pas de solos de guitare déchirants ni de bizarreries polymétriques, mais il dégageait une impression brute et honnête, de tristesse (mot assez galvaudé, mais bon…) et de perte, avec toutefois une infime lueur d’espoir quelque part ; des mots et des significations qui ont toujours accompagné le groupe, indépendamment de tout changement musical. Nous sommes toujours restés les mêmes, un groupe de rock sombre pour les fous en quête de sens. Qu’en est-il de cette évolution ?

Dans quelques mois, Katatonia sortira son nouvel album, intitulé Nightmares as Extensions of the Waking State. Qu’en pensez-vous ? Avez-vous déjà reçu des commentaires ?
Daniel : D’après ce que j’ai compris (et entendu), les retours ont été plutôt positifs. Nous en sommes très satisfaits et pensons qu’il représente parfaitement le groupe. Un peu moins “direct” que les précédents, il est également plus sombre et moins metal, tant au niveau de la composition que de la production. Il est difficile d’écrire de la musique qui ne soit pas immédiatement accessible à tout le monde, mais je pense que nous avons plutôt bien réussi.

Comment résumeriez-vous l’identité de Nightmares as Extensions of the Waking State en trois mots seulement ?
Daniel : Sombre, pluvieux, brûlant.

Nightmares as Extensions of the Waking State est le premier album sans le guitariste fondateur Anders Nyström. Comment s’est déroulé le processus de création ? Y a-t-il eu des différences par rapport aux précédents albums ?
Daniel : Il n’y a pas eu de différence en termes de création, car Anders n’a pas participé au processus pour les deux derniers albums. Jonas écrit et arrange les morceaux, les présente au reste du groupe pour avoir leur avis et pour que nous puissions apporter notre touche à la musique. Le processus est le même depuis un bon moment déjà.

Le son du groupe est composé de Doom Metal, d’éléments progressifs Prog et même de quelques touches lourdes de Post-Metal/Rock. Comment créez-vous votre propre touche ? Y a-t-il de nouvelles influences avec le temps ?
Daniel : Je pense que notre touche personnelle vient du fait que nous sommes à l’écoute de ce que nous avons fait par le passé et de là où nous en sommes aujourd’hui. Bien sûr, il y a toujours des influences extérieures pour tout, Katatonia n’aurait pas commencé comme ça sans Paradise Lost et n’aurait pas évolué au-delà sans des groupes comme Fields of the Nephilim, Slowdive et d’autres du même genre. Mais il arrive un moment dans l’”évolution” musicale où l’on sait en quelque sorte ce que l’on fait et où l’on commence à construire à partir de là. Personnellement, mon jeu de batterie pour tout nouvel album de Katatonia commence là où je m’étais arrêté avec le précédent. Quelles que soient mes influences personnelles en dehors de cela, elles viennent avec le flux, mais le flux commence là où je m’étais arrêté.

Avez-vous une chanson préférée sur Nightmares as Extensions of the Waking State ? Ou peut-être celle qui a été la plus difficile à réaliser pour l’album.
Daniel : Il y a deux chansons sur Nightmares qui ont nécessité une attention particulière de ma part pendant l’enregistrement, simplement parce qu’elles sont diamétralement opposées dans leur approche. Une chanson comme Thrice nécessite un groove plus technique, tandis qu’une chanson comme Departure Trails exige une touche plus légère, mais elles doivent toutes deux s’intégrer dans le concept global de l’album afin de ne pas sembler diamétralement opposées. Ce sont les chansons les plus difficiles à enregistrer, car vous voulez conserver la chanson tout en y apportant quelque chose d’autre. Ma préférée pour le moment est Efter Solen. Elle possède également les meilleures parties de batterie.

Où trouvez-vous votre inspiration pour créer de la musique ?
Daniel : Depuis environ un an, je trouve de plus en plus d’inspiration dans le cinéma et la littérature plutôt que dans la musique elle-même. J’essaie de juxtaposer différentes idées et concepts dans mon approche de la musique, et parfois ça marche très bien, mais la plupart du temps, c’est un désastre. Mais quand ça tourne au désastre, je me sens comme un enfant qui joue dans la boue, je peux tout démolir et essayer de tout reconstruire, et je me permets de tout laisser tomber, je rentre chez moi et je prépare le dîner. Ce n’est pas si important. Ces derniers temps, je joue plus que je ne l’ai fait depuis longtemps, il s’agit moins pour moi de répéter ou de m’entraîner que d’essayer d’ouvrir mon esprit. Mais je suis aussi un piètre défenseur de la batterie. J’écoute simplement certains musiciens jouer et j’essaie de faire quelque chose de différent tout en réfléchissant à ce qu’ils pensaient lorsqu’ils jouaient, et j’espère que cela me permet de faire des choses intéressantes. Je ne sais pas, et pour l’instant, je m’en fiche un peu. Mais c’est amusant !

Penses-tu avoir progressé en tant que musicien/compositeur avec ce nouvel album ?
Daniel : Bien sûr. Mais ce genre de choses vient avec le temps et l’expérience. J’ai plein de nouveaux trucs dans mon sac et j’aborde mon jeu d’une manière très différente de celle que j’avais quand j’ai fait Sky Void of Stars. Mais je ne pense pas que cela affecte nécessairement le jeu sur l’album. C’est un album de Katatonia après tout, et tout ce que nous faisons de nouveau nous pousse tous sur des chemins que nous n’avons jamais empruntés. Mais nous savions déjà marcher, nous avions juste besoin de chaussures différentes, si cela a un sens.

Je me souviens avoir assisté à un concert de Katatonia à Paris, en 2023 (avec Solstafir et SOM). As-tu des souvenirs particuliers de ce concert ? Ou de toute la tournée ? Aimes-tu jouer en France ?
Daniel : Même si j’ai du mal à me souvenir de concerts spécifiques, la France occupe une place particulière dans mon cœur. J’ai toujours aimé jouer devant le public français, j’adore visiter la France : les vignobles de Beaune, les cafés de Montmartre, me promener dans Pigalle…  Depuis que j’ai vu Les Parapluies de Cherbourg et lu Céline (Louis Ferdinand Céline, auteur français, ndlr) à l’adolescence, j’ai une vision romantique de la France qui ne m’a jamais quitté. La tournée elle-même était un peu compliquée sur le plan logistique, car nous étions en co-tête d’affiche avec Solstafír, mais c’était aussi un plaisir, car nous commencions tout juste à jouer les morceaux de Sky Void, et avec Nico à la guitare en plus !

Le groupe a bien sûr donné de nombreux concerts à travers le monde, alors comment vous préparez-vous pour un concert ? Avez-vous une sorte de routine avant le spectacle ?
Daniel : Nous essayons simplement de nous échauffer. Pendant la dernière heure avant de monter sur scène, nous nous enfermons dans notre loge, mettons de la musique à fond, nous amusons et nous détendons. Je fais quelques exercices de batterie, je bois peut-être un verre ou deux, ou rien du tout. Puis, quelques minutes avant l’intro, nous prenons notre shot d’avant-concert, en rendant hommage à la fois à la géographie de l’homme et au seigneur des mensonges. Pendant les 60 dernières secondes avant que notre TM ne fasse signe à notre ingénieur du son de commencer le concert, nous nous concentrons sur le regret de toutes les décisions qui nous ont amenés là, prêts à monter sur scène, puis… c’est l’heure de rocker et/ou de rouler (“time to rock and/or roll” en version originale).

Je sais que vous avez une tournée européenne prévue avec Evergrey et Klogr, comment vous préparez-vous pour celle-ci ? Comment établissez-vous la setlist ?
Daniel : Les setlists deviennent de plus en plus difficiles à établir, ce qui est le premier des problèmes du premier monde. Il y a tellement d’albums parmi lesquels choisir, tout en voulant jouer autant que possible ceux du dernier album, tout en ayant (et en voulant, ne vous méprenez pas) jouer les anciens morceaux préférés des fans. Nous vieillissons aussi. Nous n’avons plus 3 heures de scène en nous. C’est donc difficile. Nous allons essayer de rendre le concert intéressant et intense, c’est certain. Pour cette prochaine tournée, nous avons quelques idées pour la mise en scène que nous espérons pouvoir tester. Nous avons également deux nouveaux membres dans le groupe que nous allons pousser et qui vont nous pousser, donc j’espère que notre énergie sur scène sera immense, à la hauteur de celle que nous transmettent les fans et les rêveurs au premier rang !

Y a-t-il des musiciens ou des artistes avec lesquels vous aimeriez collaborer ? Que ce soit pour une chanson, ou peut-être plus.
Daniel : Dans le contexte de Katatonia, pas vraiment. En dehors de ça, pas vraiment non plus. Je pense qu’il y a un temps et un lieu pour tout, et même s’il y a des artistes ou des musiciens spécifiques avec lesquels j’aimerais collaborer, ce n’est pas vraiment le moment. Je suis heureux là où je suis, avec les personnes qui m’entourent.

Que sais-tu de la scène Metal Française ? Y a-t-il des groupes que tu connais et apprécies ?
Daniel : Il y a tellement de bons groupes et artistes français, c’est ridicule. Parmi mes préférés actuellement, il y a Blasphéme, Antaeus, Diapsiquir, Sortilege, Massacra et Ycare.

Malgré quelques pauses au cours de l’histoire de Katatonia, le groupe existe depuis de nombreuses années maintenant. As-tu remarqué des changements dans la scène underground ? Que ce soit au niveau local ou international.
Daniel : Honnêtement, je ne sais pas. Je suis nul pour suivre ce qui se passe dans “la scène”. Mais d’après ce que j’ai vu émerger et que je trouve intéressant, c’est que rien ne change vraiment. Maintenant que la HM-2 semble s’être un peu essoufflé, j’attends juste que la scène Black Metal Mélodique du milieu des années 90 revienne en force. Peut-être que c’est déjà le cas. Il y a très peu de groupes ou d’artistes, en particulier dans la scène metal, qui font quelque chose de nouveau ou d’intéressant ces jours-ci. Mes “nouveaux” groupes préférés ne sont même plus nouveaux et ils ne réinventent pas vraiment la roue non plus, tu vois ? Le groupe “le plus récent” que j’aime est Century, de Stockholm, et c’est vraiment juste Gotham City avec une érection.

Si je te demandais de créer une affiche avec Katatonia en tête d’affiche et trois autres groupes pour la sortie de Nightmares as Extensions of the Waking State, quels groupes aimerais-tu voir jouer avec eux ? Même les réponses irréalistes sont acceptées.
Daniel : Bon sang. Quatre groupes ? C’est quoi ça, le Hellfest ? Je te donne ça : Katatonia (soirée exclusive pour la sortie de Nightmares) – set de 3 heures. On pourrait même ressortir Love of the Swan pour l’occasion. Morte Macabre – qui joue Symphonic Holocaust dans son intégralité (invité spécial). Collaboration entre Sewer Election et Treriksröset (première partie). Ce n’est même pas irréaliste, selon moi.

Dernière question amusante : à quel plat comparerais-tu la musique de Katatonia ?
Daniel : À une soupe suédoise aux pois jaunes avec des oignons, du lard fumé, du thym et de la moutarde. Très bonne, copieuse et réconfortante, mais tu la manges parce que tu es pauvre et qu’il pleut depuis ce qui semble être trois ans.

C’était ma dernière question, merci beaucoup pour ton temps et ta musique, le mot de la fin t’appartient !
Daniel : “Si vous n’aimez pas la mer, si vous n’aimez pas la montagne, si vous n’aimez pas la ville, si vous n’aimez pas Katatonia… allez vous faire foutre. Cheers.”

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