Torsten, der Unhold, maître à penser du groupe de Progressive/Post-Black Allemand Agrypnie a répondu à mes questions pour la sortie de Metamorphosis, son sixième album.
Bonjour et tout d’abord, merci de m’accorder de ton temps ! Pourrais-tu nous présenter le groupe Agrypnie avec tes mots s’il te plaît ?
Torsten, der Unhold (chant/guitare/composition) : Eh bien, j’ai fondé Agrypnie au début de l’année 2004 en tant que projet solo/studio. Trois ans plus tard, j’ai décidé de commencer à chercher des musiciens pour pouvoir jouer des concerts. Metamorphosis est la neuvième sortie d’Agrypnie et le line-up actuel comprend Flo (batterie), Chris (guitare live), Marc (basse en studio, guitare live) et Andreas (basse live). Sur scène, je chante et je joue de la guitare (nous jouons certains titres avec trois guitares), à côté de la scène je fais tout sauf jouer de la batterie et de la basse en studio (pour la basse, c’est seulement parce que jusqu’à il y a quelques semaines je n’avais pas de basse adaptée aux enregistrements).
Que représente Agrypnie pour toi ?
Torsten : Tout. Agrypnie est le centre de ma vie, ma thérapie, mon épanouissement, la chose dont je suis le plus fier, ainsi que mon héritage. Je ne peux imaginer une vie sans Agrypnie/ma musique. Je suis certain que je continuerais d’une manière ou d’une autre à faire de la musique aussi longtemps que je le peux, même quand je serais (c’est très très improbable) lassé un jour des concerts et/ou du Black Metal.
Metamorphosis, le sixième album du groupe, va sortir fin juillet, es-tu satisfait de ce que tu as accompli ? Quelle est l’histoire de l’album ?
Torsten : Je suis extrêmement satisfait de cet album. Je ne suis pas l’un de ces musiciens qui va dire à chaque nouvel album “C’est clairement le meilleur qu’on ait sorti jusqu’ici”, mais j’ai vraiment besoin de le dire pour la première fois, selon moi le son que nous avons créé sur Metamorphosis est le plus brut que nous ayons jusqu’ici sur un album.
En réalité, je ne parle pas vraiment de l’histoire, du concept ou des paroles d’un album d’Agrypnie. C’est important pour moi que les auditeurs tirent leurs propres conclusions plutôt qu’on leur raconte tout sans possibilité qu’ils fassent leur propres interprétations. Et puis… la raison plus égoïste de ne pas parler des paroles : certaines histoires ou expériences derrière elles sont très privées, et je ne souhaite pas en parler en public.
Comment s’est passé le processus de composition pour ce nouvel album ? Est-ce différent des précédents albums ?
Torsten : Eh bien… oui et non. Le processus de composition des “morceaux Metal” est assez similaire sur chaque album. J’ai besoin d’un certain ressenti (que je ne peux pas expliquer) pour travailler sur de nouveaux morceaux. Des fois, je ne touche pas mes guitares pendant des semaines et du jour au lendemain je commence à enregistrer de nouvelles choses comme un putain de maniaque pendant des jours et des nuits. C’est ma façon de faire, et c’est comme ça que ça doit être. Mais cette fois j’ai écrit deux titres qui sont arrangés avec des orchestrations seulement, et c’était une nouvelle expérience pour moi.
J’ai toujours voulu écrire des bandes originales car je suis un grand fan de bandes originales de films ou de jeux. Pendant la pandémie, j’ai enfin décidé d’investir dans un véritable logiciel d’orchestration pour faire des arrangements de morceaux. Les tout premiers morceaux que j’ai écrits sont les morceaux d’ouverture et de fermeture de Metamorphosis. Je me suis vraiment amusé et j’ai appris beaucoup de choses en faisant les arrangements de ces morceaux (comme par exemple le positionnement des sections instrumentales dans l’orchestre, comment les programmer pour qu’ils sonnent le plus “naturel” possible), bien que ça m’ait pris un temps fou à créer puis à les mixer. Il y a une énorme différence entre écrire du Metal et écrire un morceau pour un titre orchestral avec beaucoup de cordes (différentes), des choeurs, du piano, etc.
Et pour corser encore le tout… mon très vieux Mac Mini ne pouvait pas supporter ce complexe arrangement dans la DAW (Station audionumérique, j’utilise Cubase) et j’ai dû trouver plusieurs solutions pour faire en sorte que ça fonctionne. J’ai acheté un nouvel ordinateur adéquat il y a quelques mois et j’ai enfin pu finir les deux morceaux sans devenir fou en permanence à cause du manque de puissance CPU. Donc dans la prochaine vie, je vais certainement développer une passion moins coûteuse et intense (probablement collectionner des timbres) 😀
D’où vient ton inspiration pour créer un tel tourbillon brut et prenant d’intense noirceur et d’émotions ?
Torsten : C’est très simple à répondre… simplement ma vie. Les expériences que j’ai faites, les choses qui me touchent, les phases émotionnelles par les quelles je suis passé, mes pensées, mes mondes de réflexion mais enfin et surtout mes propres démons contre lesquels je me bats depuis tant d’années.
Sur l’album, il y a quatre chanteurs invités, C.S.R. de Schammasch, Steffen Bettenheimer de The Cold Room, Travos de Thormesis et Nachtgarm de Daeth Daemon/ex-Negator. Comment les as-tu contactés et comment s’est passée la collaboration ?
Torsten : Je les connais tous personnellement, certains depuis des années. J’estime le travail créatif de chacun d’eux et je les respecte également pour les personnes qu’ils sont. Je pense en fait que je ne pourrais pas inviter un musicien que je n’ai jamais rencontré dans ma vie ou avec qui je n’ai jamais été en contact sur l’un de mes albums, car la composante personnelle est très importante pour moi.
L’album débute et se termine par un morceau appelé Wir Ertrunkenen, pourquoi avoir choisi le même nom pour l’intro et l’outro ? Quel est le lien entre ces trois parties ?
Torsten : Wir Ertrunkenen est un long morceau divisé en trois parties et le thème se répète sur les trois morceaux (une guitare en son clair dans la partie Metal, du piano et des orchestrations). Le concept des trois morceaux/le lien entre eux était une sorte d’évolution. Après avoir écrit le morceau Wir Ertrunkenen j’ai ressenti le besoin d’une sorte de “début” et également d’une “fin” et pas seulement pour le morceau en lui-même. En termes d’atmosphère et en relation avec la finalité des paroles, il y avait plus à dire que je ne pouvais faire avec ce seul morceau. De plus, comme je l’ai mentionné avant, Prolog et Epilog sont les premiers vrais morceaux instrumentaux que j’ai écrits, et l’orchestre était parfait pour raconter “l’avant et l’après”.
Quelle est l’idée derrière les deux morceaux appelés Am Ende der Welt ?
Torsten : De manière conceptuelle et également lié aux paroles, les deux titres sont connectés l’un à l’autre. Cependant, en opposition à Wir Ertrunkenen les deux morceaux ne sont pas connectés à travers la musique. En réalité, je ne parle pas des paroles, cependant le fait que j’ai vécu en Australie pendant un an il y a plusieurs années n’est pas un secret. Ces deux morceaux sont liés à ma période de l’autre côté de la Terre.
Est-ce que tu as un “morceau préféré”, ou un qui est plus important pour toi, sur cet album ?
Torsten : Tous les morceaux sont très importants pour moi, bien que Wir Ertrunkenen et Verwüstung sont probablement un tout petit peu plus contraignants pour moi que les autres morceaux.
Vous avez récemment signé avec AOP Records, que peux-tu nous dire sur cette collaboration avec eux ?
Torsten : Je le connais (le gérant, ndlr) depuis plusieurs années et nous avons toujours eu de très bons contacts ensemble. Quand j’ai pris la décision que j’avais besoin d’un changement de scène pour Agrypnie je lui ai directement demandé s’il était intéressé de nous signer. La réponse est arrivée directement et nous y voilà. Je suis très chanceux par rapport à cette collaboration car AOP Records est un label remarquable.
Depuis l’an dernier, la crise du Covid a foutu en l’air beaucoup de choses, est-ce que ça a eu un effet sur le groupe ou l’album ?
Torsten : Oui, bien sûr. Nous n’avons pas joué un seul concert depuis plus d’un an et demi maintenant, et ça craint vraiment. Nous n’avons pas non plus fait une seule répétition évidemment, ce qui signifie tout simplement que nous n’avons pas joué une seule minute de musique avec ce nouveau line-up.
Mais pour mentionner de bonnes choses… j’ai enregistré le chant pour le nouvel album pour la première fois par moi-même, et je pense que c’est un très bon choix. Même si c’était un peu stressant de faire simultanément le chant et l’enregistrement (l’enregistrement a eu lieu dans le local de répétition de Nocte Obducta), j’ai eu bien plus de temps pour enregistrer qu’en le faisant en studio avec une pression au niveau du temps. J’ai également écrit le prochain album d’Agrypnie… Aucune idée de si c’est lié à la crise ou non, mais on s’en fout.
Même si le futur est toujours rempli de doutes, est-ce que vous avez des plans pour le futur dont tu pourrais nous parler ?
Torsten : Nous voulons vraiment remonter sur scène dès que possible, et travailler sur de prochains concerts. Une semaine après la sortie de Metamorphosis nous allons à nouveau entrer au SU-2 Studio pour enregistrer la batterie du prochain album. Toutes les guitares sont (évidemment) écrites. Les paroles, les claviers, le concept, etc… sont toujours en cours d’écriture cela dit.
A côté d’Agrypnie, tu chantes également pour Nocte Obducta et tu as un projet solo appelé The Wreckage of Erebus. Comment arrives-tu à faire une distinction entre tous les projets dans lesquels tu es impliqué ?
Torsten : Eh bien c’est assez facile : je n’écris pas de musique ou de paroles pour Nocte Obducta, et The Wreckage of Erebus est un projet studio de bande originale/ambiance. Donc aucun n’empiète vraiment sur un autre.
Tu viens d’Allemagne, qui est une terre de Metal, mais que peux-tu nous dire sur la scène Metal de ton point de vue ? Principalement à propos de la scène underground.
Torsten : Je me fiche totalement des scènes. Bien évidemment je suis connecté à la scène Metal et je connais beaucoup de gens, artistes et musiciens un peu partout dans le monde. Mais penser à “la scène” n’a jamais été mon truc ou important pour moi.
Quel a été ton premier album de Metal ? Acheté toi-même ou que l’on t’ait offert. Qu’est ce qui t’a fait découvrir l’univers du Black Metal en général ?
Torsten : Le premier album de Metal que j’ai acheté (possédé ?) était le Black Album de Metallica. A l’époque il n’y avait pas de YouTube ou de Spotify et tu ne pouvais pas aller écouter un artiste en seulement quelques secondes. Donc souvent j’achetais des albums grâce à la pochette et/ou les chroniques/recommandations dans les magazines. Je pense que le premier album de Black Metal que j’ai écouté était In the Nightside Eclipse d’Emperor. Cet album a été une révélation pour moi et ce type de musique était si intense, pur, froid et émotionnel… c’était incomparable à tout ce que j’avais écouté auparavant. J’étais tout simplement captivé.
Est-ce que tu te souviens de la première fois où tu as essayé de jouer d’un instrument ? Quand et comment est-ce que ça s’est passé ?
Torsten : J’ai commencé à jouer de la guitare électrique quand j’avais environ 15 ans. Bien qu’il y ait une photo de moi qui pose avec une guitare acoustique (et des lunettes de soleil… ça fait très rockstar) quand j’étais enfant, je ne pense pas que c’était ma première vraie tentative de jouer d’un instrument 😀
Et à propos du chant ? Est-ce que tu as des habitudes d’échauffement spéciales pour avoir une voix aussi profonde ?
Torsten : Eh bien je m’échauffe juste avant de chanter et j’utilise toujours mon “arme secrète” (gelorevoice, une sorte de pilule pour la gorge) pour soulager un peu ma gorge. Mais ce sont juste des choses générales. Ma voix s’est assombrie de manière plus ou moins automatique au cours des dernières années et honnêtement j’aimerais être capable de chanter de manière encore plus profonde que le chant que j’utilise pour Agrypnie.
Est-ce que tu as des hobbies en dehors de la musique ? Est-ce que tu as également un travail, ou est-ce que les revenus de ta musique te permettent de vivre ?
Torsten : Hahaha, pas du tout. Pour citer un bon ami, qui est également un musicien : “L’argent n’est pas la raison de faire de la musique, mais l’argent serait une bonne raison d’arrêter de faire de la musique”. Traduction : les revenus que j’obtiens de temps en temps grâce à ma musique sont principalement trop bas et également trop peu réguliers pour payer une quelconque facture, alors que l’argent que j’investis dans du nouveau matériel et dans n’importe quel autre contexte dans ma musique est loin d’une quelconque proportion de ces “revenus”.
Pour faire court… j’ai un travail, même si j’ai réduit mon nombre d’heures de travail pour avoir assez de temps pour ma musique. Mes hobbies en dehors de la musique sont assez ordinaires… Lire, regarder des films ou des séries, faire du sport, voir des amis… et bon (ce n’est probablement plus très ordinaire) acheter des guitares bon marché et les reconstruire avec différents micros, matériel, etc…
Quelle est ta meilleure et ta pire expérience en tant que musicien ?
Torsten : Je ne peux pas choisir la meilleure ni la pire expérience. Il y a eu tellement de bonnes expériences, à commencer par être capable d’enregistrer et de sortir des albums en général, également partir en tournée et jouer des concerts, rencontrer des gens et devenir ami avec certains de mes héros d’enfance. Toutes les expériences au cours de toutes ces années ont surpassé mes rêves les plus fous quand j’avais 15 ans et que j’ai commencé à jouer de la guitare.
Et concernant les mauvaises… eh bien de temps en temps c’est épuisant d’être la tête pensante d’un groupe et de faire quasiment tout par soi-même. Donc il y a des moments où je me demande sérieusement “Bordel pourquoi est-ce que je fais encore ça ?!?”. Mais ces moments sont plutôt rares et quelques secondes plus tard, ma conscience revient 😀
Est-ce que tu as déjà entendu parler de la scène Metal française ? Quels groupes français connais-tu ?
Torsten : Ah mec, cette question sonne toujours comme une sorte de test dans les interviews 😀 “Nomme trois groupes de tel pays” 😀 Je suis un grand fan d’Alcest, j’adore Les blessures de l’âme de Seth, Blut aus Nord est évidemment un super groupe… j’ai réussi ? 😀
Dernière question : avec quels groupes rêverais-tu de tourner ? Je te laisse créer une tournée avec Agrypnie et trois autres groupes !
Torsten : C’est une très bonne question que l’on ne m’a jamais posée avant… et également très dure. Donc mis à part tous les groupes avec qui j’ai tourné (dans le sens “être en tournée avec des amis”) je choisirais Wardruna (j’aime ce groupe, et ce serait vraiment intéressant de discuter avec Einar Selvik), Ulver (tant qu’on parle de rêve, ils ne joueraient que des titres des trois premiers albums) et… bordel… (j’ai passé au moins une demie-heure sur cette question…)… et allez, disons Akhlys (très atmosphérique, très froid, très hypnotique).
C’était ma dernière question ! Merci beaucoup de m’avoir accordé de ton temps et pour ta musique, je te laisse les mots de la fin !
Torsten : Merci beaucoup pour cette interview !