Interview : Demande à la Poussière

Peu avant l’ouverture des portes, j’ai eu le temps de parler avec Neil Leveugle, bassiste de Demande à la Poussière, sur la situation du groupe, son retour sur scène et leur vision de l’avenir.

Live Report du concert

Bonjour à toi, et tout d’abord merci de m’accorder de votre temps ! Comment allez-vous ?
Neil Leveugle (basse) : Très bien, merci ! Ca ira mieux après cette bière, mais pour le moment ça va.

Les portes ne sont pas encore ouvertes, mais vous êtes le premier groupe à entrer en scène ce soir, comment est-ce que vous vous sentez par rapport à cette date ?
Neil : C’est une bonne question ça ! Je suis très content d’ouvrir pour cette affiche là. La Clef de St Germain a fait appel à nous un peu à la dernière minute, et on a sauté sur l’occasion, puisqu’on est tous archi-fans de Svart Crown et Regarde Les Hommes Tomber, moi je vais avoir deux étapes : l’étape où je vais jouer, et l’étape fan où je vais regarder les groupes jouer, je vais adorer !

La semaine dernière, vous avez joué au New Blood Fest après un an et demi de “pause forcée”, comment s’est passée la date ?
Neil : Exactement, ça s’est vraiment très bien passé ! Un accueil monstrueux à base de saucisses et de diots ! Il faut savoir que toute l’équipe a commencé à faire mariner les oignons dans le vin blanc avec les saucisses/diots du coin 24 heures à l’avance dans la salle. Donc tous les bénévoles puaient l’oignon, mais c’était vraiment monstrueux ! J’ai pris quelques petites claques, parce que ça faisait longtemps à la fois les concerts en tant que musicien, mais aussi en tant que public. C’était d’ailleurs la première fois que je voyais Mortuary, je ne connaissais pas ! C’était du Thrash à l’ancienne, j’ai pris une baffe monstrueuse.

Comment avez-vous construit votre scénique en tant que groupe ?
Neil : On a… mûri deux ou trois choses pendant le confinement. Déjà, notre chanteur a pris la guitare pour pouvoir amener de temps une petite couche supplémentaire de Drone, de son ou de thèmes de guitare, chose qu’avant on faisait passer dans les samples et finalement ça nous faisait chier de faire ça, on préfère avoir quelque chose d’organique, du live. Déjà ça nous a pris un petit bout de temps pour intégrer ça, lui pour acquérir la maîtrise de l’instrument, et la maîtrise du son vu qu’on travaille beaucoup sur notre son. Finalement le confinement nous a permis de travailler petit à petit pas mal de choses. On a pas fait de révolution en terme de scénique, mais on a travaillé sérieusement sur le son, la présence scénique, sur la qualité musicale en général, et j’ai l’impression que le set s’est amélioré. Surtout sur l’aspect sonore et musical. Et c’est d’autant plus plaisant à jouer !

Il s’est passé quelques mois déjà depuis la sortie de Quiétude Hostile, votre deuxième album, comment avez-vous vécu la sortie et les retours ?
Neil : Très bien, vu qu’on a eu surtout des retours positifs ! Après, ça a été frustrant de ne pas pouvoir le défendre immédiatement, et au final ça se fait avec quasiment une demi-année de décalage, mais bon… Maintenant, le temps étant passé, on va commencer doucement à se projeter dans l’idée de faire un troisième album.

Chronique de Quiétude Hostile

Depuis la sortie de l’album, combien de fois avez-vous pu répéter ? Comment est-ce que ça s’est passé ?
Neil : J’ai pas compté les répètes, mais on a pas mal travaillé séparément comme je l’ai dit. On a changé l’approche de la musique, le chanteur s’est mis à la guitare, moi j’ai intégré un peu plus d’effets à ma basse. Sans non plus faire le Cirque Pinder on a essayé d’affiner le son pour donner une personnalité sonore qu’on avait déjà travaillé sur l’album. En fait on a la chance de pouvoir travailler au Lower Tones Studio, qui est le studio d’enregistrement d’Edgar qui a enregistré et produit l’album, et qui avait déjà une approche très analogique du son, donc on a essayé de continuer à faire en sorte de restituer cette approche là, qui est une approche au quart de poil au niveau de l’ampli, de l’effet. Tout en analogique, tout en nuances de distorsion.

Dans l’interview précédente, Krys m’avait parlé d’une “cohésion renforcée” sur cet album, est-ce que tu penses que ça a encore évolué ?
Neil : Ouais, bien sûr. Parce qu’on se remet en question, parce qu’on travaille, parce qu’on se connaît aussi tous depuis très longtemps. Edgar par exemple, je fais de la musique avec lui depuis 20 ans ! On avait déjà des groupes depuis un moment, Krys, il traînait dans les salles du Val-d’Oise depuis un moment… donc on se connaît depuis un paquet de temps. Et comme on a déjà tous eu des expériences de groupe, on a ce savoir, bien que ce soit des groupes qui n’ont jamais eu des explosions folles, et on a pas trop d’histoires à se raconter en fait. Quand on se retrouve, c’est vraiment pour passer un temps qui est d’autant plus précieux au vu du fait qu’on a tous un certain âge, qu’on a tous une vie à côté, pour certains des enfants… Donc le temps qu’on passe doit être qualitatif, il doit être efficace. Du coup, ça fait qu’on se dit les choses, qu’on passe par des moments des fois qui sont pas forcément faciles puisqu’on se dit tout, mais tout ça fait qu’on a une cohésion de groupe qui se renforce. Moi je le ressens vraiment comme ça.

Tu m’as évoqué l’album suivant, est-ce que vous êtes déjà sur un processus d’écriture ?
Neil : Le processus d’écriture n’a pas encore commencé, mais c’est l’agenda qui va le déterminer, vu qu’on va entamer une tournée qui va être cool. On va annoncer une tournée avec White Ward (tournée annoncée depuis, du 20 avril au 3 mai 2022, ndlr), ainsi que quelques dates sans eux. On va donc faire toute une partie de leur tournée, on est super contents ! On a déjà eu la chance de jouer avec eux à Paris il y a deux ans, leur saxophoniste Dima a fait une apparition sur notre album. On lui avait demandé de faire un feat, et personnellement j’aime beaucoup ce qu’il a fait, j’aime énormément l’approche de ce groupe. C’est bizarre la première fois que tu l’écoutes, ça ressemble à rien mais il faut rentrer dans le truc et petit à petit tu parviens à trouver un fil conducteur. Mais à la première écoute, on a vraiment l’impression que les mecs ont collé des trucs qui ne vont pas ensemble… mais en fait ça passe ! On va donc faire cette partie de la tournée avec eux, et mine de rien de date en date ça va nous emmener assez loin, et on va commencer à se rapprocher de 2023. Mais il va falloir commencer à se remettre au boulot oui, on commence à y réfléchir doucement.

Quels ont été pour toi les sorties les plus marquantes de 2021 ? En France et à l’étranger.
Neil : Excellente question ! Je te remercie de me la poser ! C’est généralement ce genre de moments où tu regardes tout ce que t’as acheté comme disques… (rires) Le truc sur lequel je suis en ce moment c’est LLNN ! C’est pas facile à dire haha ! C’est un truc sur lequel je reviens beaucoup sur Bandcamp, j’ai acheté leur disque et j’adore l’approche sonore. Comme je te le disais, avec monsieur ici (il pointe Edgar, au fond de la pièce, ndlr), on a beaucoup travaillé sur le son, et sur le côté analogique, cet amour de la distorsion au quart de poil, et il a horreur de tout ce qui est numérique. C’est un monsieur qui préfère partir avec 400 kilos d’amplis ! Mais je trouve qu’il a raison aussi, même si mes lombaires me disent que non ! Mais c’est une autre question. Tu le verras tout à l’heure, le son de guitare est fat, il y a beaucoup beaucoup de boulot, surtout avec la marque NOS. C’est pas un endorsement, mais ça fait beaucoup de temps qu’il bosse avec…
Edgar Chevallier (guitare) : Avec Gérard oui ! Il est dans le Sud, au nord de Nîmes, quand tu montes un peu dans les Cévennes. Ça fait plus de vingt ans que j’utilise son matos !
Neil : Il est vraiment fat. Je suis aussi partisan de ça, le fait de sentir le son qui grille, qui croustille…
Edgar : Ouais, ses amplis ont vraiment un super son ! Krys il joue sur une tête NOS, moi j’ai le pré-ampli et l’enceinte NOS. Mais même ses pédales en fait. Tu prends juste la pédale, que tu branches dans un Mesa, tu retrouves ce grain, il a réussi à transposer son son dans pas mal d’éléments.
Neil : Et pour en revenir aux discographies, c’est quelque chose que je retrouve dans l’approche du son de LLNN. C’est simple, et tu sens qu’ils ont cherché à épurer les compositions pour pouvoir laisser les amplis s’exprimer, tu sens toutes les incrustations de synthé qui sont archi-violentes.

Neil sur scène – Galerie complète

C’est à la fois violent et clean en même temps ! C’est assez étrange.
Neil : Je suis d’accord ! Comme le disait une pancarte contre le réchauffement climatique, “20 degrés en Hiver, c’est comme se faire sucer par son chien : c’est kiffant mais c’est chelou” ! La pancarte est authentique.

Une déception par rapport aux sorties de 2021 ?
Neil : J’en ai eu quelques unes tiens… c’est dur ce que tu me demandes ! Quel album ne m’a pas mis une claque… Je vais dire un truc mais je ne vais pas me faire de copains : j’ai bien saigné le dernier Mastodon, et j’aime beaucoup l’approche guitaristique. L’album me plaît, mais j’aime pas leur son. C’est bizarre. Je reconnais la qualité du truc, je prends des claques quand j’écoute de près ce qui se fait guitaristiquement, mais après… j’écoute l’album et au bout de deux écoutes… C’est pas assez gras. Et pareil, je ne vais pas me faire des copains même si c’est plus sur 2020, mais le dernier Tool m’a un peu déçu. Moi j’ai adoré le groupe, mais… pas le dernier.

Une attente pour 2022 ?
Neil : J’ai le droit de dire non ? Parce que pour le coup, j’avoue que je ne vois pas…

Si je te demandais de comparer la musique de Demande à la Poussière avec un chocolat ?
Neil : Ouais… Je pourrais te dire le chocolat Dulcey de Valrhona. C’est un chocolat blond qui a été découvert par erreur en faisant cramer un chocolat qui devait devenir du chocolat blanc. Ils se sont plantés dans le dosage de sucre et la température, ça a cramé et ça a donné un truc qui est un peu croustillant, fondant, qui reste un peu pâteux en bouche. Ce n’est pas très subtil, et ça a un petit côté qui t’agresse les papilles.

Comment avez-vous conçu la setlist de ce soir ?
Edgar : Sous la contrainte (rires).
Neil : On a dû tailler dans notre setlist type.
Edgar : C’est pas compliqué… enfin si, parce que nos morceaux sont longs (rires). Les faire rentrer dans 30 minutes, c’est assez compliqué pour nous. 

Le groupe Primordial avait eu ce souci aussi dans un festival, avec leurs morceaux qui durent tous au moins six minutes ! Du coup vous avez un peu ce souci aussi ?
Edgar : Au final on a pris les morceaux les plus courts.
Neil : A part le premier, qui fait sept minutes (rires).
Edgar : On a essayé de mélanger les albums aussi. On en a deux du premier par exemple, on a voulu représenter toute notre discographie, même si c’est pas évident. Donc c’est au final assez vite vu (rires).

A quel animal est-ce que vous pourriez associer la musique de Demande à la Poussière ?
Neil : A un vieux chien crevé dégueulasse… Tu vois les chiens des punks à chien ? Même eux ça les saoule de faire la manche devant la Banque Populaire. De base, le chien c’est fait pour être toujours content, et ça a une grande force de vie. Mais là non, c’est le chien qui n’en peut plus, il fait même plus wouf.
Edgar : Le fils de John Fante, l’auteur du livre Demande à la Poussière, il a un chien comme ça dans le livre Les anges n’ont rien dans les poches. Un chien un peu dépressif.
Neil : C’est l’animal qui est fait pour aller de l’avant, mais là même lui il en a plein le cul.
Edgar : Il est ignoble ce bouquin, il est noir… 

Est-ce qu’il y a un artiste ou groupe avec lequel vous souhaiteriez collaborer à l’avenir, que ce soit pour un titre ou plus ?
Neil : C’est une très bonne question… Un mec avec qui j’aimerais bien collaborer, qui me met des torgnoles, c’est le chanteur d’Amenra. Pour son côté écorché. Je ne suis pas fan de tout dans Amenra, mais j’aimerais bien savoir comment il fait pour aller puiser cette énergie là, et j’aimerais beaucoup l’avoir sur une compo. Un truc qui ne va pas bien depuis les profondeurs. Un truc viscéral, cette énergie pure, j’aimerais bien.

Je suis pareil, même si sur album je m’ennuie, en live ça me met toujours une mandale.
Neil : C’est ça. Sur album, je dirais que ça tourne vite en rond. L’énergie elle ne passe pas bien sur le CD. T’as besoin de te faire écraser par le son pour ressentir ça. Après, un artiste graphique… j’ai le droit de parler de mecs morts ?

Oui, pas de souci !
Neil : Goya. Ca irait bien. J’adorerais. Tu vois, on parlait de l’énergie, là c’est pareil. C’est quelque chose d’un peu désespéré dans le trait, et qui finit par te donner un mouvement. Un autre mec qui est beaucoup dans la voie de vivre, Vincent Van Gogh, même s’il mettait du jaune partout, et pourtant t’as cet espèce de trait un peu fou.

On dirait presque qu’il en met “trop” pour que ce soit naturel.
Neil : Ouais, mais pour le coup ça traduit quelque chose ! Et en plus ça reste très énergique. Après dans un autre délire, si on peut se permettre de partir très loin sur le sujet, quand on parle de façon de faire, c’était Gainsbourg qui disait “il faut penser à l’artiste japonais qui va méditer 20 ans sur une fleur et qui va mettre 5 secondes à la dessiner. Le truc de la calligraphie, c’est pareil ! En plus moi je suis gaucher, j’ai une écriture de merde… Moi j’aimerais bien faire des choses comme ça. Je n’étais pas encore dedans, mais le projet c’était fait avec un artiste graphique, Jeff Grimal, qui pour le coup fait des choses que moi je trouve juste sublimes. Ça tourne toujours autour des choses joyeuses (rires). Il a son univers, qui est très beau, et également cette façon de peindre très énergique, très brute. Ca me parle beaucoup, tout comme un truc un peu plus épuré, c’est la calligraphie. Les mecs qui peignent avec le pinceau droit, en un seul coup. Il y a un art japonais qui consiste comme ça à créer des dragons en un seul coup de pinceau (le “Hitofude Ryuu”, ndlr) ! Et il n’y a que quelques maîtres qui savent faire ça. Et plus que le résultat en lui-même, la façon de faire c’est quelque chose qui me parle énormément. Je veux voir ça quand je vois une peinture. A contrario, les trucs qui me font royalement chier et avec lesquels je ne voudrais surtout pas mettre Demande à la Poussière, ce serait le Néo-classicisme. Ou tiens, Ingres. Ingres me fait royalement chier. C’est le délire d’une époque qui veut la perfection, et qui finalement…

C’est trop carré et pas assez brut pour coller à votre image je pense.
Neil : Exactement (rires) !

Merci encore de m’avoir accordé de votre temps, je vous laisse le mot de la fin !
Neil : Ah ! C’est toujours une question de merde (rires) ! Tu as connu le kamoulox ? Je vais sortir des vieilles banalités… on est très contents de retrouver la scène et de retourner dans un monde normal ! Merci à toi !

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