Vesperine revient des tréfonds de l’âme.
Cinq ans après leur premier album, Rémi Lasowy (chant), Adam Courtinot (guitare), Pierre Prunier (guitare), Jérémy Piffady (basse) et Aurélien Tosolini (batterie) nous dévoilent Perpétuel, leur deuxième long-format autoproduit.
On rentre immédiatement dans le vif du sujet avec les riffs rapides et mélancoliques de Mouvement III – Tant qu’il y a de l’espoir, une première composition où les cris viscéraux s’installent, laissant toutefois place à un chant clair entêtant lorsque la rythmique s’apaise quelques temps. La saturation s’enflamme à nouveau emportant le vocaliste dans son flot de fureur pessimiste qui nous lâche finalement sur Mouvement I – Universelle Liesse et son ambiance inquiétante menée par une voix éraillée entourée de quelques harmoniques aériennes. La pression monte graduellement avant d’exploser et de nous clouer sol, mais elle finira par se briser net pour revenir de manière plus lancinante en nous menant à la longue Mouvement I – À Cœur Joie et à sa danse enivrante rythmée par ses accélérations et ses parties douces, toujours soutenues par des placements de voix expressifs. Les éléments les plus éthérés nuancent parfaitement les moments les plus pesants en leur donnant cette touche lumineuse dans les ténèbres étouffantes, comme lors de ce final plus enjoué qui laissera place à Mouvement II – Le Poids du Silence, et à son calme rassurant. Sans surprise, les musiciens viennent peu à peu le troubler avec des patterns éléments plus abrasifs qui cèdent finalement à la colère en rejoignant Mouvement II – Interférence et son approche saccadée qui devient surprenamment relaxante lorsqu’elle est apprivoisée par notre esprit. Des touches plus planantes apparaissent entre les vagues de rage, puis le groupe tisse à nouveau son contraste sur Mouvement III – Mauvaise Herbe qui s’ancre d’abord dans la quiétude pour s’assombrir au fur et à mesure des notes et finalement nous ensevelir dans cet océan de ténèbres agitées où chaque soubresaut nous mène à l’inexorable fin de l’album.
Avec Perpétuel, Vesperine nous dévoile un univers aérien et intense, mais également très contrasté entre l’ombre et la lumière. On se plaît à contempler le tableau de riffs aériens et de hurlements profonds en se laissant frapper par la sincérité du message délivré par le groupe.
85/100
Bonjour et tout d’abord, merci de m’accorder de ton temps ! Comment pourrais-tu présenter le groupe Vesperine sans utiliser les habituelles étiquettes des styles musicaux ?
Rémi Lasowy (chant) : Bonjour et merci à toi. Vesperine, c’est un groupe à l’esthétique travaillée, à la musique intense parfois complexe et à la sincérité profonde. L’émotion est l’élément central et dicte la création. En découle un résultat volcanique où les reliefs dominent. Vesperine, c’est une colère noire au milieu de réflexions profondes.
Le nom Vesperine est décrit comme “prénom daté d’un autre siècle (…) personnifiant les mantras du groupe”. Comment avez-vous décidé d’adopter ce nom à l’époque, et comment le relies-tu à la musique actuelle du groupe ?
Rémi: Nous voulions un prénom féminin qui personnifie un état d’esprit, l’âme de ce groupe, comme si les cinq membres en formaient un sixième quand ils sont ensemble.
Jérémy Piffady (basse) : Il y avait eu pas mal d’échanges pour trouver un nom de groupe, pas mal d’idées assez différentes… mais on s’est arrêté sur l’envie d’un prénom et en cherchant un peu, on a trouvé que Vesperine, ça sonnait plutôt bien. Et puis avec l’étymologie vespérale, c’était raccord avec les idées musicales, faites d’envies de contrastes. Ce n’est que plus tard qu’on a réalisé qu’au-delà, on pouvait aussi trouver une consonance avec l’espoir qui s’est imposé comme un thème central de nos explorations.
Rémi: Par ce biais, il est donc tout à fait relié à la musique que nous jouons aujourd’hui.
Perpétuel, votre deuxième album, est sur le point de sortir cinq années après le précédent. Comment te sens-tu ? Est-ce que tu as déjà eu des retours à son sujet ?
Rémi: Je suis impatient. La sortie d’un album, c’est toujours long… Il y a beaucoup d’éléments à gérer avant que le bébé naisse. Donc, excité et impatient, oui. Les quelques retours que j’ai eu sont tous excellents et variés. Ils font chaud au cœur.
Jérémy: Sortir un album, c’est entre hyper excitant et assez intimidant. C’est présenter le résultat de beaucoup de travail, mais aussi de beaucoup d’introspection alors quelque part, c’est se dévoiler un peu aussi. Et c’est se confronter au regard critique des autres. On est fier de ce qu’on a produit et on ne l’a pas écrit pour plaire, on tâche de rester focus sur nos intentions, mais bon, ça reste plus agréable quand les auditeurs apprécient et entrent en résonance avec ce qu’on leur propose…
Comment résumerais-tu Perpétuel en trois mots ?
Adam Courtinot (guitare) : Intense. Narratif. Différent (par rapport à Espérer sombrer).
Rémi : Cyclique. Intense. Riche.
Jérémy : Mensonge. Création. Lutte.
Comment s’est passée la composition de Perpétuel ? As-tu observé des changements par rapport aux précédentes productions du groupe ?
Jérémy : Ca s’est passé dans le travail et la confrontation, dans un sens constructif. On est 5, chacun avec une vision, des idées… Vesperine est l’imbrication de ces 5 visions, la Vérité supérieure face à laquelle chacun met à un moment ou à un autre son ego de côté pour faire confiance aux autres. Là-dessus, rien n’a vraiment changé. Après, il y a forcément des couleurs différentes, des nouveautés car on essaie en permanence d’explorer de nouveaux horizons, de ne pas faire de la simple répétition de recettes.
Rémi : En fait, les méthodes sont restées les mêmes. Une bonne dose de chaos, de réflexions et d’incertitudes. On voulait vraiment faire autre chose qu’Espérer Sombrer et nous nous sommes mis beaucoup de pression. Nous sommes un groupe de défi et détestons rester sur ce que nous savons faire. On a une formidable capacité à se mettre en difficulté. Les changements se situaient plus sur nos objectifs que sur la méthode.
Le premier titre dévoilé est Mouvement II – Interférence, pourquoi avoir choisi celui-ci précisément plutôt qu’un autre ?
Adam : On souhaitait revenir avec un titre dynamique et explosif, c’est donc un morceau qui s’y prête bien avec son début abrupt. Il a aussi l’avantage de donner un aperçu de la diversité de l’album avec des passages rapides, d’autres lourds et lents, ainsi que des moments d’accalmies plus mélodiques.
Jérémy : Peut-être aussi parce que c’est celui qui nous a le plus demandé de sortir de nos habitudes et qu’au final, il illustre bien la diversité proposée dans Perpétuel. On est allé plus loin dans l’exploration, tout en gardant une forme de continuité avec Espérer sombrer.
En regardant la tracklist, je vois que l’album commence et se termine par Mouvement III, quelle est l’importance de l’ordre des morceaux sur cet album ?
Rémi : Il est essentiel car justement, cet album est narratif et cyclique et a donc un début qui est aussi une fin. Nous avons décidé de jouer avec ça et de ne pas commencer par le début de l’histoire. Il est globalement composé de trois grandes parties, des mouvements dont les morceaux entre eux sont difficilement séparables.
Jérémy : L’album boucle, et on ne peut intervertir l’ordre des morceaux sous peine de perdre la narration. L’album met en musique la cyclicité de la lutte de l’homme face au monde qui lui ment. Le monde berne l’homme en lui donnant l’espoir, afin qu’on ne regarde pas plus loin la véritable laideur du monde. Mais quand on s’en aperçoit, on ne peut que vouloir lutter contre cela. Cela passe par le renoncement à cet espoir chimérique, pour enfin se libérer par et pour la création artistique. Mais l’espoir revient toujours. Au final, on va du point A au point A, mais c’est le voyage qui compte… et ce point A, nous l’avons placé au beau milieu du Mouvement III, pour chahuter un peu l’auditeur, mais dans la logique circulaire, on aurait pu le placer n’importe où dans l’album.
Le nom du groupe évoque donc l’espoir, mais votre musique est principalement sombre et torturée. Quelles sont les influences du groupe pour Perpétuel ?
Jérémy : Il y a aussi pas mal de passages assez lumineux, du moins dans notre conception. Comme dans la vie, il y a des beaux moments et des moments plus durs, et les deux formes se complètent, se nourrissent. On explorait déjà cette dimension dans Espérer sombrer. Pour ce qui est des influences, c’est très large et difficile à résumer, chacun de nous écoutant des artistes très variés, lisant des livres très différents et aimant différents arts graphiques.
Rémi: Nos influences sont évidemment larges mais nous avons coutume de dire que nous nous retrouvons autour de groupes comme Neurosis, Amenra, Cult Of Luna et Deftones. Mais il y a tellement d’autres choses que la liste serait incroyablement longue.
Je sais que c’est une question difficile, mais est-ce que tu as un morceau préféré sur cet album ? Ou celui qui t’a semblé le plus naturel à composer ?
Jérémy : Mouvement I – A cœur joie qui est émotionnellement riche et présente les multiples facettes de Vesperine.
Rémi : Mouvement I – Universelle liesse est mon morceau préféré. Je le trouve plus qu’intense avec des moments d’extrême violence et des instants de grâce pure. J’aime ses contrastes et a une noirceur qui me parle. Il est aussi celui qui m’a semblé être le plus naturel à composer.
Que représente l’artwork, et quelles ont été les étapes de sa conception ?
Rémi : L’artwork est un assemblage de 2 paysages diamétralement différents. L’un représente une végétation riche avec des couleurs criardes : c’est l’abondance, le trop plein face à l’autre image qui est un désert grisâtre où le vide remplit le paysage. Ces 2 visuels sont superposés comme de vieilles tapisseries déchirées. Nous voulions souligner par ce visuel dans un premier temps le côté «perpétuel», quelque chose d’usé mais qui reste ; aussi grâce aux bandes verticales d’apparence déchirée qui se répète. Ensuite, nous voulions représenter la confrontation entre l’abondance et le rien, qui est pour nous ce que l’espoir nous vend. Nous avions ce cahier des charges et petit à petit, suivant l’avancée de Vincent Taïani, l’artwork s’est concrétisé.
La sortie de Perpétuel se fait en autoproduction, comme le premier album. Pourquoi avoir fait le choix de rester indépendant plutôt que de travailler avec un label ? Comment se passe la collaboration avec Agence Singularités côté promo ?
Rémi : Notre premier album Espérer Sombrer est sorti chez Apathia Records. Nous n’étions pas seuls, au tout début tout du moins, car celui-ci a décidé de cesser ses activités. Pour Perpétuel, nous voulions être labellisés mais pas à n’importe quel prix. Les deals qui nous ont été proposés ne nous convenant pas, nous nous sommes dit : ce que l’on nous propose, on en a pas spécialement besoin, on peut faire tout seul. Singularités sont chargés de parler de nous à la presse. Ce qu’ils font. Donc tout va bien. 🙂
Je n’ai pas encore eu l’occasion de vous voir jouer en live, comment se passe un concert de Vesperine de ton point de vue ?
Adam : Les concerts de Vesperine sont pensés comme une immersion. Le fait de ne pas avoir d’interaction avec le public en fait partie même si ça peut être clivant. Mais j’aime particulièrement cet aspect introspectif dans ce que l’on propose.
Rémi : Il fait noir et ca remue beaucoup. Aussi bizarre que cela puisse paraître, on essaie au maximum de rendre les choses immersives et esthétiques, agréables pour les oreilles autant que pour les yeux mais en même temps, nous sommes très attachés à notre côté «Punk», le «je m’en bats les couilles» si ça se passe pas comme prévu. Il y a parfois une sorte de chaos sur scène entre les lumières, les mouvements et les bruits. On aime ça. Un chaos organisé et esthétique.
Jérémy : Un concert de Vesperine, c’est aussi être dans le moment présent. De notre côté, sur scène, plus rien ne vient interférer, nous ne sommes plus 5 musiciens avec leurs pensées propres, leur actualité, mais nous sommes uniquement tournés vers Vesperine, nous sommes Vesperine. On ne se donne qu’une seule consigne : être individuellement et collectivement sincères dans nos interprétations. La sincérité est la plus grande valeur artistique pour nous. De là découlent toutes les émotions que le public et nous pouvons ressentir.
Adam : Et puis on a la chance de travailler avec des techniciens sons et lumière qui nous accompagnent et nous permettent de créer cette immersion. Je pense notamment à la scénographie lumière pensée par Antoine Noirant que l’on va pouvoir étrenner pendant la tournée à venir.
Quels sont les plans pour la suite de Vesperine ?
Rémi : Tourner pour défendre sur scène Perpétuel. Jouer sur des scènes de plus en plus cool. Et composer la suite !
Est-ce qu’il y a des musiciens ou artistes avec lesquels tu souhaiterais collaborer dans le futur ?
Jérémy : J’adorerais pouvoir échanger et créer avec les gars de Coilguns. Je pense qu’ils sont très loin également dans la sincérité et l’intégrité de leur projet même s’ils ont un côté déjanté et punk bien plus marqué que nous.
Rémi: Je pense qu’avec Julie Christmas, on pourrait faire un truc vraiment cool dans Vesperine. Mais sinon, pas spécialement. Haha, désolé pour ta question mais je trouve que nous avons assez de matière pour que notre expression provienne de l’interne. Cela ne veut pas dire que je ne veux pas faire de musique avec d’autres. Mais Vesperine, c’est assez spécifique et le message est précis. Dans un autre cadre, je suis ouvert évidemment.
Penses-tu t’être amélioré en tant que musicien avec cet album ?
Jérémy : Ca ne fait aucun doute. On cherche toujours à améliorer nos morceaux, à diversifier nos approches, et par conséquent nos pratiques des instruments et nos façons de composer.
Adam : J’ai progressé dans beaucoup de domaines grâce à cet album, qu’il s’agisse de technique instrumentale ou de la recherche de sons. Plus largement, j’ai l’impression de m’être enrichi artistiquement, avec toute la réflexion menée lors de la composition.
Rémi : Absolument. Et ça me paraît essentiel. Si tu ne rencontres pas de difficultés dans l’art que tu exerces et si tu n’as pas besoin de travail pour les outrepasser, alors c’est qu’il manque un truc. C’est important d’être poussé dans ses retranchements pour créer.
Avec quels groupes rêves-tu de jouer ? Je te laisse imaginer une date pour la sortie de Perpétuel avec Vesperine en ouverture, et trois autres groupes.
Rémi : Bon, je suis personnellement un grand fan de Cult Of Luna donc ce serait mon choix.
Si on pouvait rajouter sur l’affiche Amenra, Neurosis et Deafheaven, je serais comblé. Avec en surprise du chef Nine Inch Nails.
Adam : LLNN, Converge, Alcest, pour ma part.
Jérémy: J’irais sans doute chercher dans les groupes dont je ressens le plus la sincérité. Je dirais : Amenra dont les expériences live sont parmi les plus fortes, intègres et authentiques que j’aie pu vivre. Et puis, on ne va pas se mentir, j’en suis très fan et ce serait une réalisation très forte pour moi. Puisqu’on évoquait Coilguns, les voilà aussi sur l’affiche. Et puis Birds in Row. Avec nous en ouverture (histoire de profiter comme il faut après), ça aurait de la gueule, non ?!
Dernière question : à quel plat pourrais-tu comparer la musique de Vesperine ?
Jérémy : Un curry thaï, peut-être le rouge. La richesse et la finesse des saveurs, la chaleur et la force du piment, tempérée par la douceur du lait de coco.
Rémi : De prime abord, il faut que l’assiette soit belle avec des couleurs. Le montage de qualité. Ce serait quelque chose amenant notre palais vers de l’amer pour tromper le goûteur, s’attendant à du sucré avec toutes les couleurs des aliments. Et une sauce au vinaigre pour acidifier le tout. Encore faim?
C’était ma dernière question, je te remercie pour ta disponibilité, et je te laisse les mots de la fin !
Rémi : Merci à toi, encore. Soyez patients avec Perpétuel. Ce n’est pas un objet de consommation comme les autres 🙂