Interview : Jours Pâles

Spellbound, tête pensante de Jours Pâles, m’a laissé lui poser quelques questions pour la sortie d’Éclosion, le premier album de son projet.

Chronique d’Éclosion

English version?

Bonjour à toi, et tout d’abord un grand merci de prendre du temps pour mes questions. Comment décrirais-tu Jours Pâles à quelqu’un qui ne connaît pas du tout le projet ?
Spellbound (chant/composition) : Salut et merci à toi également pour tes questions plus que pertinentes et intéressantes. Je pense que Jours Pâles est un peu la bande son de ma vie : Cela retrace en musique une partie de mon vécu, que ce soit en figeant les instantanés et les tranches de vies récentes, ou les fêlures plus ancrées et profondes. Ce projet me permet de théâtraliser et d’extérioriser toutes les vicissitudes de l’existence, mais aussi les regains positifs ou les envies d’espoir. Musicalement cela donne donc quelque chose qui oscille entre mélancolie, moments plus intenses ou galopants, une musique axée sur des guitares mélodiques, tantôt rapides et tantôt calmes, un chant hurlé sur des fondations Rock dépressives, le tout agrémenté d’influences très diverses, allant de l’Electro (certes à très petites doses) au Metal Extrême. 

Jours Pâles était également le nom du premier album d’Asphodèle, d’où vient ce nom ? En quoi est-il lié à la musique ?
Spellbound : Jours Pâles représente tous ces moments de vie creux, languides, ces lendemains d’abus, ces états d’âmes vaseux… Mais fort heureusement, les jours savent parfois changer de tons et de couleurs, l’espoir renaît et nous en sommes désireux… Jours Pâles c’est un peu cette dichotomie. Un déchirement entre le beau et le laid, l’espoir et la noirceur, l’amour et la haine, les sursauts et les chutes. J’ai voulu repartir sur ce nom pour opérer une sorte de lien entre les deux projets qui pour moi sont intimement liés puisque j’étais également aux compositions sur Asphodèle et je me suis beaucoup investi avant que le projet ne finisse par faner… Il faut parfois savoir passer à autre chose, d’autant que ce projet était de toute façon très lié au duo que nous formions avec Audrey Sylvain et tout le concept était né du fruit de cette rencontre. La mutation opérée est donc quelque chose de naturel au final.

Éclosion, ton premier album sous le nom de Jours Pâles, est sur le point de sortir chez Les Acteurs De L’Ombre, est-ce que tu en es satisfait ? Qu’est-ce qui t’a fait te dire “l’album est prêt” ?
Spellbound : J’en suis satisfait à tous les niveaux, mais bien entendu et je pense que c’est à peu près la même rengaine pour beaucoup d’artistes, peut-être que je referais certaines choses différemment avec le léger recul que je possède désormais. Mais je reste ceci dit plus que fier et satisfait de la tournure des choses dans l’ensemble et cet album représente parfaitement mon état d’esprit et mes attentes du moment.

Comment s’est passé le processus de composition de cet album ? Est-il différent de celui qui a donné vie à l’album Jours Pâles ?
Spellbound : Le processus n’était guère différent de l’époque Asphodèle. Éclosion a été composé avec les mêmes instruments, dans les mêmes lieux, avec la même manière de fonctionner. Mes humeurs étaient forcément différentes et c’est probablement en partie pour cela que j’ai développé une musique plus agressive sur ce premier opus, mais dans l’ensemble rien n’a vraiment changé dans ma façon de créer. En général, je prends simplement une guitare et je me mets à composer des riffs, ça reste assez instinctif et viscéral… Puis je structure et développe ensuite les chansons autour de ces premiers jaillissements d’idées.

De manière générale, comment se passe la collaboration avec le label Les Acteurs De L’Ombre ?
Spellbound : Je côtoie Les Acteurs De L’Ombre depuis la troisième sortie de mon autre groupe, Aorlhac, et je connais désormais plutôt bien la manière de fonctionner de ce label. Comment pourrais-je me plaindre ? LADLO est un label de qualité, composé d’une équipe solide et leur éventail de compétences est large. Autant pour la promotion, que pour l’aspect visuel ou sonore, l’accompagnement est vraiment professionnel. Je suis donc plus que satisfait d’avoir leur confiance pour Jours Pâles et je pense qu’une belle collaboration est en train de s’installer entre nous. 

La superbe illustration est signée Onodrim Photography, en quoi son travail est lié à ta musique ? Comment s’est passée la collaboration avec la photographe ?
Spellbound : Les retours sur la pochette sont unanimes jusqu’à maintenant, dans le bon sens. Je tâtonnais un peu quant à l’artwork et je suis tombé sur cette photo. J’en suis spontanément tombé amoureux en me disant qu’elle représentait tout ce que j’étais en train de mettre en musique. L’interprétation sera à la discrétion de chacun mais pour moi cette image est très forte et a beaucoup de sens. La collaboration fut simple avec Onodrim. Nous l’avons contactée et elle a été d’accord pour nous céder la photo.  

J’ai ressenti sur Éclosion un désespoir intense, une rage viscérale et un constat tragique, entouré d’une base musicale à la fois mélancolique, lancinante et déchirante, qu’est-ce qui t’a inspiré pour écrire cet album ?
Spellbound : C’est un mélange de plusieurs choses. Tout d’abord je n’ai rien trouvé de plus exaltant et rien ne me fait sentir plus vivant que composer ou interpréter de la musique. D’autre part et c’est bien sûr lié, j’ai comme beaucoup de gens pas mal de choses au fond de moi qui se doivent de sortir. Il se trouve que la musique est parfaite en ce qui me concerne pour extirper toutes les pensées négatives et les affres de la vie que nous devons tous plus ou moins subir, c’est donc une manière de vivre autant qu’un réel besoin, plutôt qu’une simple passion ou un passe-temps.

On entend souvent une voix principale emplie de tristesse soutenue par des différents chœurs, dont certains hurlés, en quoi cette multiplication des voix sert tes textes ?
Spellbound : J’essaye d’être le plus expressif possible et cela passe donc par plusieurs styles de chant : du plus hurlé au plus primitif en passant par des accents plus Death ou à l’inverse plus clairs, voire chantés puisque je maîtrise désormais bien mieux ce côté-là de ma voix. Le fait d’ajouter plusieurs couches les unes sur les autres sert surtout à donner un effet de puissance ou d’agressivité et c’est quelque chose que j’ai l’habitude de faire depuis longtemps. Selon les passages, j’aime vraiment cet effet « soutenu » et ample des superpositions vocales. Quand la musique se fait plus intense et plus pleine, je sais au contraire laisser les voix plus discrètes ou avec seulement une ligne principale, mais j’aime cet aspect de puissance que donne des voix simultanées. Cela provient aussi du fait que j’ai parfois du mal à me décider sur le ton ou le style de voix à donner à tel ou tel passage, et comme j’ai un éventail relativement large en termes de voix extrême, j’ajoute souvent plusieurs styles de vocaux sur un même riff, rendant le tout plus dense et en même temps plus complet.

Tout comme sur tes autres projets, le chant est principalement en français, pourquoi avoir choisi de garder notre langue ? D’où te vient ce style d’écriture si brut, si sincère et pourtant très imagé ?
Spellbound : Merci pour ta remarque. Je ne me considère pas comme particulièrement doué pour l’écriture de textes, du coup j’essaye simplement d’allier le fond et la forme, et que mes mots aillent le mieux possible avec les structures de mes chansons, et au final je reste assez évasif tout en parlant de faits souvent bien concrets. Il me semble naturel de m’exprimer dans ma langue natale, c’est celle que je maîtrise le mieux. Mon anglais n’étant qu’approximatif, il ne me permettrait pas d’aller au fond des choses ni de m’exprimer de manière sincère. Le seul passage de l’album qui n’est pas en français, c’est sur le titre Des jours à rallonge et c’est sur la voix de Graf (vocaliste de Psychonaut 4) qui ne pouvait chanter qu’en géorgien ou en anglais !

Sur cet album, on retrouve évidemment ta voix, mais également la guitare de James Sloan, la basse de Christian Larsson, et des apparitions de Graf, Lilas Ondine Dupont, Sylvain Bégot et Lonn. Comment es-tu entré en contact avec eux afin de donner vie au projet ?
Spellbound : Lonn n’a pas joué sur et album. Il devait faire un solo sur le titre Eclamé, mais pris par le temps, il a dû se désister au dernier moment, ce que je regrette. En plus d’être un guitariste soliste hors pair, il est également mon frère. Je n’exclue cependant pas qu’il puisse nous rejoindre sur les prochains méfaits. Concernant les autres musiciens, tout comme le premier album d’Asphodèle, il a fallu partir de zéro pour le line up et j’ai donc simplement contacté ou recontacté des musiciens avec lesquels j’avais très envie de travailler. Il s’avère que tous ont accepté très rapidement de se joindre au projet. La plupart des intervenants sont des artistes déjà connus au sein de leurs projets respectifs. James avec Uada, Christian Larsson avec Apati, Shining et Gloson, Graf avec Psychonaut 4, Sylvain Bégot avec Monolithe, Ondine avec Silhouette… Et certains, la plupart pour ainsi dire, ont également participé au seul et unique album d’Asphodèle. C’est vraiment énorme de bosser avec tous ces gars et j’en suis très fier.

Le côté DSBM/Black Ambient ressort beaucoup plus sur cet album, qu’est-ce qui t’attire dans ces styles plutôt que d’autres ?
Spellbound : Il est vrai que je suis très attiré par ces styles mélancoliques teintés de Rock. Je ne sais pas, probablement que la légèreté m’angoisse. La beauté brute réside pour moi dans cet aspect viscéral et sincère de la dysthymie, de la tristesse, de la haine et tout ce champ lexical, peu importe le nom qu’on voudra poser dessus. Toute la scène suédoise à la Lifelover et consorts, j’écoute ça depuis des années. Ça me parle, ça vibre et résonne en moi et j’y suis très sensible. Mais je ratisse bien plus loin que la simple scène Rock ou Metal et je trouve qu’il y a de la mélancolie dans tout type de musique et c’est pourquoi je ne m’attache à aucun style musical en particulier.

Le morceau qui m’a le plus marqué jusqu’ici, est Ma dysthymie, sa vastitude. Peux-tu nous en parler un peu plus ? D’où vient ce sample introductif ?
Spellbound : Ce titre m’a demandé un effort concernant les prises voix, car elles viennent de loin et font partie des lignes les plus expressives et agressives de l’album, je crois. Ce titre mélange plusieurs humeurs et le sample d’introduction provient d’un reportage des années 90’s se nommant Drogue, dis-leur. Il met en exergue des camés face caméra, des gens qui ne dénigrent pas leur addiction, qui la regrettent et en font un constat criant de vérité, alarmant et qui m’a particulièrement touché. Le protagoniste principal mis en avant sur sample était également présent sur le titre Jours Pâles de l’album d’Asphodèle. Il y a cette sorte de lien inconscient que j’ai créé entre les deux albums et je pense que globalement ce type d’ambiance sert bien le propos.

Que représente pour toi le Black Metal français par rapport au Black Metal international ? Est-ce que tu as senti une évolution depuis ton entrée dans cette scène ?
Spellbound : Je ne raisonne pas vraiment en termes de genre musical et je ne m’intéresse pas plus que ça à ce qu’il se trame au sein de la scène hexagonale ou même internationale… Nous étions là aux environs de 2007 avec Aorlhac et j’avais à peine la vingtaine. Je ne saurais dire si la scène a changé et dans quel sens. Je fais mon truc dans mon coin sans trop me préoccuper de tout ça !

Je sais que le Covid-19 a foutu en l’air pas mal de choses, est-ce qu’il a impacté d’une façon ou d’une autre l’album ? Comment as tu géré la situation en tant que musicien ?
Spellbound : La période que l’on connait n’a pas vraiment eu d’incidence sur la composition où l’album en lui-même, c’est bien entendu plus compliqué concernant les concerts car comme tu le sais après un album vient le temps des tournées et c’est donc un peu plus morose de sortir un cd par les temps qui courent, et de ne pas pouvoir aller à la rencontre des fans. J’espère donc que l’on pourra rapidement sortir de cette impasse et refouler les planches au plus vite.

Est-ce que tu as prévu quelque chose de spécial pour la sortie de l’album ?
Spellbound : A l’heure où je te réponds l’album est sorti depuis quelques jours, et j’ai simplement fait une petite fête pour marquer le coup, à base de beaux Imperial Stouts et de quelques bouteilles de champagne, ce qui, tu en conviendras, n’est pas très Black Metal. 

Quel est ton prochain objectif avec Jours Pâles ? Peut-on s’attendre à voir le groupe passer à la scène une fois que la crise mondiale sera derrière nous ?
Spellbound : Le prochain objectif est effectivement de porter le projet sur scène le plus vite possible. Comme évoqué plus haut, je ne sais pas où cette mascarade actuelle nous amènera mais dans tous les cas nous nous préparons activement. Bien sûr, le line up du premier album ne sera pas viable et je tâche donc de recruter, avec l’aide de mon pote Alex (également bassiste d’Aorlhac) de monter un line up cohérent géographiquement parlant.  

A part la musique, quels sont tes hobbies ? Est-ce facile de concilier vie personnelle, vie professionnelle et un (ou plusieurs dans ton cas) projet musical ?
Spellbound : La musique ne payant malheureusement pas (encore) les factures dans leurs totalités, je suis effectivement obligé de bosser à côté. C’est difficile de concilier travail et vie musicale, surtout quand tes projets commencent à décoller un peu et que tu dois te professionnaliser aussi dans la musique. Cela demande une réelle implication, c’est un stade très compliqué à vivre et à franchir. Mais je m’accroche et je reste positif, la passion n’ayant pas de limite. 

A quel plat français pourrais-tu comparer la musique de Jours Pâles ? En quoi sont-ils similaires ?
Spellbound : Alors là, je t’avoue que tu me poses une colle… Je dirais un plat sucré salé ou un truc bien hybride qui pourrait éventuellement faire sens avec le fait que Jours Pâles est difficilement catégorisable, mais sinon je vois pas. Je creuse ta question pour le prochain album !   

Y a t-il des musiciens avec lesquels tu voudrais collaborer à l’avenir pour la musique de Jours Pâles ?
Spellbound : Oui, bien que me considérant relativement chanceux d’avoir déjà pu collaborer avec des gens que j’admire et avec lesquels il m’aurait véritablement paru fou voire insensé d’être ne serait-ce qu’en contact, j’ai encore quelques noms en tête que je verrais bien venir s’ajouter aux participants. Je considère Jours Pâles comme un projet plutôt ouvert concernant les entrées et les sorties de musiciens. Je n’exclue pas de reprendre contact avec Niklas Kvarforth par exemple, qui devait poser des voix sur le premier album d’Asphodèle, mais pour des questions de plannings, cela n’avait pu se concrétiser. Je pense aussi à Kim Karlsson des regrettés Lifelover. Je me dis que rien n’est impossible désormais donc nous verrons bien ce que réserve l’avenir ! 

Dernière question : pour quels groupes rêverais-tu d’ouvrir ? Je te laisse créer une tournée avec Jours Pâles en ouverture, et trois autres groupes.
Spellbound : Oh, il y a pas mal de groupes que je pourrais citer mais disons qu’un affiche en ouverture de Psychonaut 4, Advent Sorrow et Shape of Despair serait sympathique !

Une fois encore, merci de m’avoir accordé de ton temps, je te laisse les mots de la fin !
Spellbound : Je te remercie également encore une fois pour tes questions et remarques. J’espère que mes réponses donneront de quoi se sustenter à tes lecteurs, n’hésitez pas à aller écouter les titres et à nous soutenir sur https://www.facebook.com/jourspales

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